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Par Carenews PRO - Publié le 22 avril 2024 - 15:00 - Mise à jour le 22 avril 2024 - 18:01 - Ecrit par : Célia Szymczak
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« L’impact du mentorat dépend beaucoup de la qualité de la relation », entretien avec Jérôme Gautié

Un premier rapport d’évaluation du plan « 1 jeune, 1 mentor » et une revue de littérature internationale sur le mentorat ont été publiés début avril. Le rapport porte spécifiquement sur les structures mettant en œuvre le mentorat dans le cadre de ce plan. Retour sur les premiers éléments d’analyse avec Jérôme Gautié, président du conseil scientifique d’évaluation de ce plan.

Les premiers éléments d'analyse sur la mise en œuvre du plan « 1 jeune, 1 mentor », ont été publiées au début du mois. Crédits : iStock.
Les premiers éléments d'analyse sur la mise en œuvre du plan « 1 jeune, 1 mentor », ont été publiées au début du mois. Crédits : iStock.

 

En 2023, 160 000 jeunes de 5 à 30 ans ont été accompagnés dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 mentor », lancé deux ans plus tôt. Un conseil scientifique présidé par le professeur des universités Jérôme Gautié, composé de représentants du monde académique, de l’administration et du milieu associatif, est chargé d’évaluer ce plan. 

Dans ce cadre, une revue de la littérature internationale et un rapport d’étape portant sur les structures lauréates du plan ont été réalisés par l’Observatoire de la jeunesse, du sport, de la vie associative et de l’éducation populaire de l’Injep et publiés en avril. C’est la première étape du rapport final qui sera publié en 2025. Jérôme Gautié revient pour Carenews sur les premiers éléments d’analyse. 

 

  • Pouvez-vous rappeler les objectifs du plan « 1 jeune, 1 mentor » ?

 

« 1 jeune, 1 mentor » a été initié dans le cadre du dispositif « 1 jeune, 1 solution  », notamment à la suite de la crise de la Covid. L’objectif est notamment de réduire les inégalités dans l’accompagnement des jeunes pour leur orientation scolaire ou lors de leur entrée dans la vie active. 

 

  • Pourquoi le mentorat était-il peu développé en France jusqu’ici ? 

 

Dans les pays anglo-saxons, le mentorat a été instauré comme une politique publique dans les années 1920. Il s’est développé dans d’autres pays européens, mais moins en France, qui était un peu en retard sur le sujet.

Mais il existait avant le plan, sous des formes et des appellations diverses, comme du tutorat, du coaching, ou simplement de l’accompagnement. Jusque-là, il n’y avait pas beaucoup d’évaluation des effets, hormis les auto-évaluations de certaines associations qui mettaient en place ces formes d’accompagnement.

 

  • En quoi la mesure d’impact du mentorat représente-t-elle un défi ? 

 

En économie, une évaluation d’impact se fait plutôt à partir d’enquêtes quantitatives : on évalue les effets d'une mesure en comparant les résultats des bénéficiaires à ceux des non bénéficiaires, aux caractéristiques identiques. Cela peut être des taux de retour à l’emploi ou de réussite scolaire par exemple, mais aussi des indicateurs de bien-être ou de confiance en soi, l’acquisition de ce qu’on appelle les compétences socio-comportementales. 

Ces objectifs sont plus ou moins quantifiables. L’insertion professionnelle peut être mesurée en calculant le nombre de jeunes insérés rapidement sur le marché du travail ayant bénéficié de mentorat, en comparaison avec ceux qui n’en ont pas bénéficié. En revanche, le développement personnel par exemple, est beaucoup plus compliqué à évaluer. 

Par ailleurs, comme le mentorat recouvre des objectifs, des structures et des accompagnements très divers, c’est moins évident à évaluer qu’un dispositif plus homogène. 

Le rapport d'étape porte sur la connaissance des structures qui mettent le plan en œuvre, sur leur fonctionnement et sur le rôle des chargés de mentorat. Ce n’est pas une évaluation d’impact à proprement parler. Un deuxième volet de l’évaluation portera sur les couples mentor-mentorés, qui ils sont et comment fonctionne leur appariement. Nous aurons des données sur l’appréciation du mentorat par les mentorés et sur ce que le mentorat leur a apporté. Une étude d'impact au sens évoqué plus haut focalisée sur l’accompagnement scolaire sera aussi mise en œuvre pour mesurer des choses plus précises. 

 

  • D’après le rapport d’étape, le mentorat se caractérise par un coût faible. Pourquoi ?

 

Le mentorat repose sur le bénévolat des mentors. L’accompagnement est relativement léger, les réunions ont lieu le plus souvent une à trois fois par mois. Le coût est faible relativement à d’autres dispositifs d’accompagnement, et notamment des politiques de l’emploi. 

Mais le mentorat est-il vraiment une politique de l’emploi stricto sensu ? S’il est géré conjointement par le ministère du Travail et par le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, il a été conçu dans un vaste programme plus orienté vers l’insertion. 

 

  • Vous soulignez le défi de trouver un modèle économique pour les associations. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Une soixantaine d’associations sélectionnées par appel à projet ont reçu une aide de l'État, mais celle-ci ne couvre qu'une partie du coût. Les associations font face à des coûts de structure : la mise en place du mentorat et l’accompagnement des couples mentors-mentorés nécessite du personnel et de l’administration. Les ressources du plan ne suffisent pas à les financer.

 

  • Les associations ont-elles été créées pour mettre en œuvre des actions de mentorat ?

 

Il y a plusieurs cas de figure. Certaines ont été créées ex–nihilo, certaines ont financé des activités déjà existantes et d’autres ont créé une nouvelle activité. 

Mais même si elles agissaient déjà, quand elles sont rentrées dans le plan, il a souvent fallu monter en échelle, en s’engageant sur un plus grand nombre de mentorés suivis, par exemple. 

 

  • Vous mettez en garde contre le turn over important des chargés de mentorat. Quel est leur rôle et pourquoi ce turn over peut-il poser problème ?

 

Les structures, et plus particulièrement les grandes, ont souvent recours à des travailleurs temporaires, et notamment des jeunes en service civique. Or, ils ont un rôle crucial : ils sont chargés du recrutement des mentors, des mentorés, de les apparier et d’assurer le suivi de leur relation. 

Il faut les former, c’est aussi coûteux pour les structures. Une accumulation de savoir-faire et de savoirs est nécessaire : si ce sont des jeunes qui découvrent le métier, avec un taux de rotation important, cela peut nuire à la qualité du service rendu.

 

  • Pourquoi faut-il former les mentors ?

 

Le mentorat n’est pas un métier, les mentors sont bénévoles. Mais mentorer un jeune nécessite un minimum de savoirs sur le type de relations qu’on peut avoir avec les jeunes, leurs attentes, comment se comporter vis-à-vis d’eux. Dans près de 60 % des structures, la formation est au plus d’une demi-journée et elle n’est pas forcément obligatoire. Nous aurons plus de données dans la prochaine étude pour savoir combien de mentors suivent les formations. Cela ressort bien de la littérature : la qualité de la relation mentorale dépend beaucoup de la qualité du mentor et de sa capacité à mettre en place une relation de confiance et de réponse aux besoins du jeune. Cela s’apprend en partie. 

La formation du mentor est importante aussi d’un autre point de vue : le public du mentorat, ce ne sont pas seulement les mentorés, mais aussi les mentors eux-mêmes. Ces derniers doivent pouvoir tirer un bénéfice de la relation. Ils peuvent par exemple acquérir certaines compétences socio-comportementales, qu’ils peuvent valoriser personnellement et professionnellement. Une formation un peu formelle participe aussi à cette dotation de compétence des mentors. 

 

  • Vous identifiez de nombreuses ruptures de la relation de mentorat. En quoi est-ce problématique ?

 

Ce qui ressort de la littérature internationale, c’est que pour que la relation mentorale soit bénéfique, il faut que cette relation ait une certaine durée, au moins six mois et plutôt un an. 

Dans 24 % des structures, la durée moyenne est de moins de six mois et dans 51 % entre six mois et onze mois. 

Une durée trop courte signale plutôt un échec de la relation. Souvent, le mentoré arrête, même si ce peut être le mentor. Dans ces cas-là, la relation n’a pas d’effets positifs et peut même avoir des effets négatifs. Une relation qui ne s’est pas très bien passée peut jouer sur la confiance en soi et l’état psychologique. Il faut donc essayer de réduire le plus possible les ruptures anticipées. Les chargés de mentorat, le suivi de la structure et la formation du mentor jouent à ce titre un rôle important. 

 

  • L’une des conclusions principales de la revue de littérature internationale, c’est que les effets du mentorat existent, mais sont limités. Pour quelles raisons ?

 

Les effets ne sont pas énormes, effectivement, mais ils peuvent être très variables selon les publics et les types de mentorat. C’est toujours délicat de raisonner sur des moyennes. C’est un accompagnement léger, il peut avoir un impact léger. Cet impact dépend aussi beaucoup de la relation mentorale. 

Il ne faut pas juger le mentorat uniquement à l’aune d’un impact mesurable à court terme que l’on trouverait faible. Il faut toujours savoir ce que l’on mesure exactement, s’il n’y a pas d’autres choses qui peuvent se passer et qu’on mesure moins bien, comme le développement personnel.  

Ces éléments jouent à long terme sur d’autres variables, comme la réussite ou l’orientation et à terme l’orientation professionnelle. À long terme, le lien direct avec le mentorat ne pourra pas forcément être établi. C’est un enchevêtrement assez complexe. Quand on se fixe des objectifs de court terme quantifiables, il faut être prudent. 

 

  • Vous choisissez d’alerter sur les risques de violences sexuelles. Pourquoi est-ce un problème important ?

 

Nous n’avons reçu aucune alerte dans ce premier volet d’enquête. Mais cela ressort d'études internationales. Un adulte et un jeune sont face à face, ce type de relation est particulièrement à risque, a fortiori lorsque le jeune est mineur. 

Un certain nombre d’associations ne vérifient pas les antécédents judiciaires des mentors. Il faut qu’elles soient plus vigilantes. Il faut aussi qu’elles mettent en place des procédures d’alerte et qu’elles sensibilisent les mentorés pour qu’ils signalent le moindre problème.  

 

Propos recueillis par Célia Szymczak 

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