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Par Carenews INFO - Publié le 21 novembre 2023 - 12:00 - Mise à jour le 26 janvier 2024 - 01:08 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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L’avion vert : mythe ou réalité ?

Biocarburants, électro-carburants, hydrogène… Les propositions pour un avion « vert », peu émetteur de carbone, mises en avant par la filière aéronautique semblent nombreuses. Mais décarboner le secteur aérien est-il vraiment possible ? Les solutions technologiques suffiront-elles pour réconcilier avion et climat ?

Airbus espère lancer un premier avion fonctionnant à l'hydrogène en 2035. Crédits : iStock
Airbus espère lancer un premier avion fonctionnant à l'hydrogène en 2035. Crédits : iStock

 

Selon une étude publiée en 2020 dans la revue Atmospheric environment, les émissions du secteur aérien représentent au moins 3 % des émissions globales de CO2. Pour les réduire, le Parlement européen a adopté un règlement le 13 septembre 2023, prévoyant que 70 % des carburants utilisés pour l’aviation dans l’Union européenne soient « durables » d'ici à 2050. Les règles font partie du paquet législatif « Fit for 55 » visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et à garantir que l’Union européenne devienne neutre sur le plan climatique d'ici à 2050.  

Pour décarboner l’aérien, les députés européens ont déployé un calendrier. Au moins 2 % des carburants d'aviation devront être durables en 2025, 6 % en 2030, 20 % en 2035, 34 % en 2040, 42 % en 2045 jusqu’à atteindre le taux de 70 % en 2050. Mais décarboner le trafic aérien à horizon 2050 est-il vraiment possible ? 

« Carburant durable d'aviation » (CDA) ou en anglais SAF pour « sustainable aviation fuel », alternative au kérosène, est le nom donné aux carburants utilisés dans les avions à réaction et certifiés comme durables selon les normes internationales. En 2022, la production totale de CDA était de 250 000 tonnes, soit moins de 0,1 % des plus de 300 millions de tonnes de kérosène utilisées par l’aviation. 

Parmi les carburants durables reconnus par le Parlement européen, on retrouve les biocarburants de deuxième génération, les carburants de synthèse ou « électro-carburants », les carburants produits à partir de gaz résiduel et de déchets plastiques ainsi que l’hydrogène « vert ». Si tous sont des alternatives bas-carbone au kérosène, leurs limites sont pourtant nombreuses. 

 

Les biocarburants, une alternative limitée

 

Les biocarburants, issus de la biomasse, doivent, pour être considérés comme des carburants d’aviation durables en Europe, être « de seconde génération ». C'est-à-dire que leur production ne doit pas entrer en concurrence directe avec des cultures destinées à l’alimentation. Sont exclus également les biocarburants dérivés de palme et de soja. 

Constitués de résidus agricoles ou forestiers, d’algues, de biodéchets, ou encore d’huiles de cuisson usagées ou de certaines graisses animales, ces biocarburants « avancés » présentent l’avantage d’être miscibles avec le kérosène et donc immédiatement utilisables par les modèles d’avions actuels. « Certains sont très vertueux avec des taux de réduction des émissions de CO2 de 80 à 90 %, voire des taux négatifs », explique Florian Simatos, enseignant-chercheur à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace. En septembre dernier, la Direction générale de l’aviation civile a mis un coup de projecteur sur la cameline, cultivable en France et dont l’huile permettrait de produire du biocarburant d’aviation.

Le secteur aéronautique souhaite en accélérer la production car le principal problème des biocarburants est la quantité de biomasse disponible. Celle-ci est limitée et son usage par l’aviation entre en concurrence avec les objectifs de décarbonation d’autres secteurs énergivores. « Atteindre un taux de 70 % de carburants d’aviation durable en 2050 est hautement improbable. Leur taux sera plutôt de l’ordre de 5 ou 6 % d'ici à 2030 », estime ainsi Alexis Chailloux, responsable de campagne voyage durable chez Greenpeace. « En 2007, l’industrie aérienne promettait 10 % de biocarburants pour 2017. En 2023, ils représentent toujours moins de 1 % » argue-t-il. Pierre Leflaive, responsable transports du Réseau action climat, ajoute  « même si on atteignait 100 % de biocarburants, cela ne signifie pas zéro émission concernant la production ». 

Pour Florian Simatos, le chiffre de 70 % promis par les députés européens se heurte à la croissance du trafic aérien. « Dans la littérature scientifique, je n’ai pas connaissance de scénarios qui atteignent des taux aussi importants de biocarburants ou d'électro-carburants. Les estimations hautes que l’on peut trouver sont plutôt de l’ordre de 5 % de CDA pour 2030 », résume le chercheur tout en pointant que les biocarburants posent encore la question de l’usage des eaux et des sols. 

En outre, les biocarburants comme les autres CDA nécessitent « un vecteur énergétique » explique l’enseignant-chercheur. « La moitié de l’énergie produite en fabriquant ces carburants est perdue », assure-t-il. 

 

Les électro-carburants, un procédé coûteux

 

La capacité de production à grande échelle pose également problème pour les électro-carburants. Autre famille de CDA, ces carburants de synthèse visent à reproduire de manière synthétique des chaînes d’hydrocarbures, dont le kérosène. Pour produire un fioul liquide capable de le remplacer directement dans les avions, il est nécessaire d’allier du carbone à de l’hydrogène. Leur production implique donc de capter du carbone, par exemple dans l’atmosphère, et de produire de l’hydrogène par électrolyse. Des procédés hydrochimiques combinent ensuite les deux éléments chimiques pour les transformer en hydrocarbures. 

Or, chaque étape de cette production nécessite de l’électricité et fait grimper les coûts. « Pour l’instant, on ne produit des électro-carburants qu'à petite échelle et il n’y a pas de projet commercial car il y a beaucoup d’incertitudes liées aux prix. Le problème, c'est l'importation à plus grande échelle », explique ainsi Florian Simatos. 

 

L’hydrogène, une technologie peu mature

 

Enfin, la technologie d’avion à hydrogène, qui nécessite de renouveler la flotte aérienne, n’est pas encore au point. Pour l’instant, seul Airbus a annoncé un avion utilisant cette énergie à l’horizon 2035. 

Le projet ZeroE (pour « zéro émission ») promis par le constructeur franco-allemand ne réalisera pas de vols longs courriers. Car le principal désavantage de l’hydrogène est qu’il nécessite d’élaborer des avions spécifiques capables de conserver le carburant sous forme liquide. Or, « l’hydrogène est volumineux » explique Florian Simatos et doit être conservé dans des réservoirs cryogéniques à - 253 °C, ce qui pèse de manière significative sur le poids de l’avion. 

Enfin, pour être décarboné, l’hydrogène doit être produit en utilisant des énergies nucléaires ou renouvelables. Or, comme pour les électro-carburants, la demande en électricité est conséquente et se retrouve en concurrence avec d’autres secteurs. En 2020, les chercheurs de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse (Atecopol) calculaient par exemple que le fonctionnement de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle à l’hydrogène nécessiterait « 5 000 km² d’éoliennes (entre 10 000 et 18 000 éoliennes réparties sur la surface d’un département français), 1 000 km² de panneaux photovoltaïques, ou 16 réacteurs nucléaires ». 

 

La solution, la sobriété énergétique ?

 

Face à ces constats, associations écologistes et scientifiques tombent d’accord. La décarbonation du secteur aérien dans les années à venir ne sera rendue possible que par une réduction du trafic. « Il y a un véritable consensus scientifique sur les limites des solutions technologiques », affirme Pierre Leflaive. 

« Nous sommes dans une situation d’urgence climatique et aucune solution ne permet d’y répondre » alerte quant à lui Florian Simatos. D’autant plus que la pollution causée par les avions dépasse la question du carburant. Les effets non CO2, comme les traînées de condensation formées à l'arrière des avions, restent certes moins longtemps dans l’atmosphère, mais selon plusieurs études, multiplieraient par deux, voire par trois, l’impact de l’avion sur le réchauffement climatique. 

Taxation de l’aérien, suppression des vols de courte durée, quotas de billets d’avion… Les solutions proposées sont politiques et demandent d’arbitrer avec des données sociales et économiques. La loi Climat et Résilience promulguée en 2021 prévoit par exemple la suppression des vols intérieurs courts, mais s’appuie également sur la « compensation des gaz à effet de serre », un mécanisme dont l’utilité est fortement décriée.

 

Elisabeth Crépin-Leblond 

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