L’emploi des personnes détenues, une cause délaissée par les entreprises
Créé en 2021, l’atelier-chantier d’insertion Wallbreaker embauche des prisonniers pour réparer des petits appareils électroménagers. À la maison d'arrêt d'Amiens, la Fondation M6 a invité journalistes et entreprises à découvrir leurs actions, dans l’espoir de mobiliser davantage sur l’employabilité et la réinsertion des personnes détenues. Reportage.

Le visage penché au-dessus de machines à café, robots de cuisine ou fours à micro-ondes endommagés, les détenus de la maison d’arrêt d’Amiens s’affairent à les réparer sous le regard de leur formateur. Dans un coin, un ventilateur tente de tempérer l’air chaud de l’atelier en ce mois d’été. Autour d’eux, un défilé inhabituel les entoure. Journalistes et responsables d’entreprises ont été invités par la Fondation M6, dont les actions se concentrent sur le soutien à la réinsertion des personnes sortant de détention. À l’occasion de ses quinze ans, la structure les a conviés à découvrir l’atelier-chantier d’insertion lancé en 2021 nommé Wallbreaker, et dont elle finance en partie les actions.
« Le but de la journée est de sensibiliser les entreprises à l’employabilité des détenus », présente Morgane Keromnes, la fondatrice de cette organisation. Dans deux établissements, à Amiens et à Toulon, Wallbreaker emploie des détenus à réparer de petits appareils électroménagers. Ici, les travailleurs se rendent à l’atelier tous les jours de 7h30 à 12h30, avec une pause à 10h, et touchent une rémunération de 5,25 euros de l’heure, soit environ la moitié du salaire minimum. Ils reçoivent en plus une formation et un accompagnement par une conseillère d’insertion.
« Travailler m’apporte une hygiène de vie et plus de liberté. Cela me permet de sortir de ma cellule », témoigne Paul*, un détenu de 50 ans et ancien barman. « J’apprends de nouvelles choses tous les jours », renchérit Xavier*, qui dit apprécier « le travail manuel ». « L’objectif de l’atelier est de leur permettre d’avancer avec une expérience professionnelle et un accompagnement, tout en se rendant utile à une cause : celle de la réduction des déchets », explique Morgane Keromnes.
Des entreprises difficiles à mobiliser
La collaboration entre Wallbreaker et la maison d’arrêt d’Amiens permet en ce moment de faire travailler huit détenus, sur les 549 comptés à l’ouverture ce matin-là. Une soixantaine sont également employés au service général de la prison, comprenant l’entretien des locaux et le fonctionnement de la vie en détention.
Pour le reste, la direction de l’établissement, qui a de la place pour trois autres ateliers, peine, malgré ses efforts, à trouver des entreprises volontaires pour implanter une partie de leurs activités dans la maison d’arrêt. « Nous avons organisé un forum pour faire découvrir les possibilités aux entreprises. Certaines avaient l’air très intéressées mais sans que cela ne soit suivi de propositions », déplore Alain Yomi, le directeur de l’établissement.
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En France, environ une personne détenue sur trois travaille. Une réalité encore loin de l’objectif de 50 % des personnes détenues se voyant proposer une offre de travail rémunéré, fixé par le ministère de la Justice. Pourtant presque atteint au début des années 2000, ce taux a reculé sous l’effet d’un désengagement des entreprises et d’une surpopulation carcérale grandissante. Dans les maisons d’arrêt - où sont incarcérées des personnes prévenues en détention provisoire ainsi des personnes condamnées à moins de deux ans de peine ou en attente d’affectation dans un autre établissement -, les détenus qui n’ont pas d’accès au travail ou à la formation restent la quasi-totalité de leur journée dans leur cellule. « Avant de pouvoir travailler en tant que cantinier, je passais 22 heures sur 24 dans ma cellule partagée avec un codétenu », témoigne ainsi Bruno*, sorti de maison d’arrêt il y a près d’un an.
Le travail : un moyen de lutte contre la récidive, défend la Fondation M6
L’accès au travail en détention permet pourtant de réduire efficacement les risques de récidive, plaide la Fondation M6. « Moins de récidive signifie aussi moins de victimes. C’est un enjeu qui concerne toute la société », met en avant Isabelle Verrecchia, la directrice générale de la fondation.
Alors que seulement 8 % des personnes détenues ont un niveau baccalauréat, qu’un détenu sur deux était sans emploi avant son incarcération et que six personnes sur dix récidivent dans les cinq ans suivant leur sortie de prison, la fondation s’est donnée pour mission de convaincre de nouvelles entreprises à s’engager pour la réinsertion.
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À Amiens, des responsables des pôles engagement du distributeur Carrefour et du producteur et transformateur de matériaux Saint-Gobain ont par exemple répondu présents à l’invitation. Malgré une volonté des équipes de se pencher sur le sujet, les actions pour la réinsertion des personnes détenus ne sont pas toujours bien reçues par les salariés des groupes, témoignent les responsables sur place. « Il y a une image décalée, il faut que le regard change sur les personnes détenues », défend face à ce constat Thomas Valentin, président de la Fondation M6.
Des journées « Découverte » pour faciliter la rencontre entre entreprises et anciens détenus
Pour lever les freins, la fondation organise plusieurs actions, dont des journées « Découverte », au sein de M6 ou des entreprises volontaires. Le but y est de faire se rencontrer anciens détenus et entreprises de différents secteurs, afin de redonner confiance aux premiers et de sensibiliser les secondes à la sortie de l’univers carcéral.
Elle apporte également son soutien financier à des associations et à des chantiers d’insertion, comme Wallbreaker. « 50 % des détenus travaillant au chantier ont une sortie dynamique, c’est-à-dire avec un travail ou une formation », met en avant la fondatrice de cette dernière structure. Des chiffres bien supérieurs à la moyenne nationale, où les sorties dites « sèches » restent la norme.
« L’accès à l’emploi comme au logement a pourtant une place importante dans le fait de ne pas retourner vers des faits délictueux », appuie Bruno. Accompagné par l’organisme L’Îlot, ce dernier souhaite aujourd’hui devenir développeur informatique.
* Prénom d’emprunt.
Élisabeth Crépin-Leblond