La Sapo, ou comment mieux partager la valeur en entreprise
Créé en 1917 le statut de société anonyme à participation ouvrière (Sapo) reste largement méconnu. Il permet pourtant d'attribuer une partie du capital et des droits de vote aux salariés d'une entreprise. La société de gestion Phitrust a ainsi fait le choix de se transformer en Sapo en 2023. Cela a notamment permis à ses salariés de se sentir plus impliqués dans l'entreprise.

En 2023, la société de gestion Phitrust, créée vingt ans plus tôt, change de statuts. Elle devient une société anonyme à participation ouvrière (Sapo), une forme d’entreprise largement méconnue, et qui existe pourtant depuis plus de cent ans.
« Le statut de Sapo a deux grandes vertus, explique Olivier de Guerre, fondateur et PDG de l’entreprise. D’une part il permet d’associer les salariés à la gouvernance de l’entreprise ; d’autre part il permet de les intéresser aux résultats de l’entreprise, en leur distribuant des dividendes. »
S'il a souhaité ce changement, c’est parce qu’il trouvait « intéressant de pouvoir associer les salariés de la société de gestion aux décisions et aux résultats », mais aussi par devoir d’exemplarité. « Cela fait vingt ans que nous soutenons l’investissement responsable ; il nous semblait cohérent avec notre activité d’évoluer vers ce modèle », explique Olivier de Guerre. Dans la même logique, Phitrust a également adopté la qualité de société à mission en 2021.
Un statut d’entreprise créé en 1917
Comme l’explique Roger Daviau, qui a écrit un ouvrage de référence sur ce statut d’entreprise (La démocratie au travail. Sapo, la société anonyme à participation ouvrière, éd. Repas, 2023), « la Sapo a été créée en 1917, dans une atmosphère de fin de Première Guerre mondiale. Des liens de fraternité entre les différentes classes sociales étaient nées dans les tranchées, et on cherchait à créer une forme juridique d’entreprise qui permette de mieux associer le capital et le travail. »
Concrètement, une Sapo comprend obligatoirement deux types d’actions. D’une part les actions classiques, dites « de capital », qui correspondent aux apports financiers des associés. D’autre part les actions dites « de travail », qui sont attribuées gratuitement à une « société coopérative de main d’œuvre » (SCMO) dans laquelle sont regroupés les salariés, comme une forme de valorisation de leur travail. « Cela confère aux salariés plusieurs droits, explique Roger Daviau. D’abord ils obtiennent des droits de vote à l’assemblée générale. Ils obtiennent aussi une partie des dividendes distribués par l’entreprise chaque année. »
La part de droits de vote et de dividendes peut être fixée de manière assez souple et varie d’une Sapo à l’autre. Chez Phitrust, la SCMO désigne un représentant des salariés au sein du conseil d’administration. « Cette présence est inscrite dans nos statuts, insiste Olivier de Guerre. Il n’est donc pas possible que les actionnaires ou administrateurs reviennent dessus. » Par ailleurs, les salariés de Phitrust (qui sont une vingtaine) détiennent 10 % des droits de vote à l’assemblée générale via la SCMO et perçoivent 10 % des dividendes de l'entreprise.
« Sans mes salariés, je n’aurais pas pu monter Nova Construction »
Dans d’autres Sapo, la proportion n’est pas la même. Ainsi, chez Nova Construction, entreprise de construction et de génie civile située à Lescar (Pyrénées Atlantique), les deux fondateurs détiennent 75 % des actions de l’entreprise et les salariés en ont 15 %. Comme l’explique l’un de ses fondateurs, Éric Pellerin, dans l’ouvrage de Roger Daviau, s’il a créé son entreprise en 2011 sous forme de Sapo, « c’était vraiment parce que je souhaitais associer les salariés à l’entreprise, tout en gardant la main sur les décisions qui pouvaient être difficiles. Je voulais de la réactivité. Pour moi, il est essentiel de que les salariés aient des parts dans leur entreprise, parce que, sans eux, je n’aurais pas pu monter Nova Construction. »
Comme l’explique Roger Daviau, la Sapo a en effet deux grandes différences avec la société coopérative de production (Scop), plus connue et plus développée. D’une part dans la Sapo, les salariés détiennent du capital « de travail » mais n’ont pas à engager de l’argent pour détenir ce capital, qui leur est attribué gratuitement (et qu’ils perdent sans compensation lorsqu’ils quittent l’entreprise). D’autre part, dans une Scop, les salariés doivent détenir au moins 51 % du capital de l’entreprise et 65 % des droits de vote à l’assemblée générale. Ils ont donc la main sur les décisions stratégiques de l’entreprise, ce qui peut freiner certains chefs d’entreprise à transformer ou créer leur société en Scop.
« Il n’y a pas un statut meilleur que l’autre, souligne Roger Daviau. Ils sont complémentaires et présentent des intérêts différents. » Pour lui, « la Sapo est une bonne option pour certaines reprises d’entreprise, notamment, mais aussi pour la création d’entreprises qui veulent donner une place importante aux salariés mais qui ont une activité qui nécessite de forts investissements pour se lancer. »
Ambiance-Bois, scierie-raboterie en autogestion
Il cite l’exemple d’Ambiance bois. Cette scierie-raboterie, créée en 1988 à Faux-la-Montagne, dans la Creuse, a adopté le statut de Sapo dès le départ. « Ambiance bois, c’est une bande de copains qui voulaient créer une entreprise sur un modèle d’autogestion, raconte Roger Daviau. Au départ, ils ont réfléchi au statut Scop, mais ils avaient besoin d’investisseurs pour financer les outils de production, très coûteux, et ces investisseurs n’étaient pas très motivés par la Scop, car ils voulaient garder un droit de contrôle proche de 50 %, ce qui n’est pas possible dans ce type d’entreprise. »
Aujourd’hui, Ambiance bois compte environ 25 salariés. La SCMO a 6 représentants au conseil d’administration, mais tous les salariés peuvent y assister. Les salariés détiennent la moitié des actions de l’entreprise, qui continue de fonctionner sur le modèle de l’autogestion, chaque décision importante étant débattue pour arriver à un choix consensuel.
Des salariés plus impliqués
Pour Olivier de Guerre, « le passage en Sapo a totalement changé l’esprit des salariés de Phitrust. Au départ, ils m’ont pris un peu pour un fou de vouloir mettre en place ce statut. Aujourd’hui, ils se sentent plus impliqués dans l’entreprise, ils font beaucoup plus volontiers remonter leurs idées. »
« C’est un statut d’entreprise qui permet beaucoup de souplesse, et correspond à un vrai besoin de mieux partager la valeur, insiste le PDG de Phitrust. Je suis très étonné qu’il n’y ait pas plus d’entreprises, et en particulier de sociétés de conseil, qui soient devenues des Sapo. »
De fait, Roger Daviau n’a recensé que 14 Sapo en France, dont 4 sont des entreprises « fantômes ». Depuis quelques années, il se bat pour faire mieux connaître ce statut et lui permettre de se développer. Dans un article récent pour la chaire Terr’ESS de Sciences-Po Bordeaux, il évoque quelques pistes pour faire évoluer la Sapo afin de la rendre plus attractive, en s’inspirant notamment de deux modèles : l’Esop (Employee stock ownership plan) américaine et l’EOT (Employee ownership trust) britannique, bien plus développées dans les pays anglo-saxons que leur petite cousine en France.
Camille Dorival