Label Emmaüs, la marketplace solidaire qui défie Amazon
Depuis 2016, la coopérative Label Emmaüs propose une boutique en ligne de vente de produits issus du réemploi. Elle a ainsi créé une quarantaine d’emplois, dont une douzaine en parcours d’insertion. Face aux géants du e-commerce, elle ne cesse d’innover et de réaffirmer ses spécificités de marketplace solidaire.

Dans le sous-sol d’un grand entrepôt de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, une jeune femme souriante pioche un joli chemisier beige dans un grand chariot. Elle l’installe sur un mannequin en bois, le prend en photo, puis se dirige vers son ordinateur. Là, elle renseigne toutes les caractéristiques du vêtement, fixe un prix de vente, et met l’article en ligne.
Fatma travaille chez Label Emmaüs depuis un mois. Elle fait partie de la douzaine de salariés en parcours d’insertion de la structure, dont la moitié était allocataire du revenu de solidarité active (RSA) avant d’être embauchée. Elle y acquiert les compétences liées aux métiers de la vente en ligne, qu’elle pourra faire valoir sur le marché du travail à la suite de son parcours d’insertion, qui durera au maximum deux ans.
Label Emmaüs propose ainsi des emplois à des personnes en difficulté sur le marché du travail sur deux types de métiers : opérateurs e-commerce (gestion de la vente en ligne de livres et de vêtements, enregistrement, gestion de stock, préparation de commande, service après-vente, etc.) et chargés de service client (suivi des commandes, des colis, etc.).
« Nous proposons des métiers qui s’appuient beaucoup sur les supports numériques, ce qui reste assez rare dans le monde de l'insertion, encore tourné majoritairement vers les métiers du BTP, de l'entretien des espaces verts ou des services à la personne », souligne Maud Sarda, fondatrice et présidente du directoire de Label Emmaüs. Avec succès, puisque, selon les années, 70 % à 80 % des salariés connaissent une « sortie positive » à l’issue de leur parcours d’insertion : accès à une formation qualifiante, un CDI, création d’activité…
allier Insertion par l’activité économique et économie circulaire
Fatma montre minutieusement toutes les étapes de son travail à Maxime Baduel, le délégué ministériel à l’économie sociale et solidaire, en visite sur la plateforme ce jour-là, en compagnie de son équipe. Au rez-de-chaussée, d’autres salariés s’occupent de trier et de ranger les livres d’occasion récupérés auprès de bibliothèques ou de ressourceries de la région parisienne, qui seront mis en vente sur la boutique en ligne de Label Emmaüs.
Parmi les livres collectés, tous ne seront pas vendables. « Mais nous permettons à 40 % des livres que nous récupérons d’éviter le pilon, en les revendant sur notre plateforme », annonce fièrement Maud Sarda. Sur les deux millions de livres en vente sur la boutique en ligne, 350 000 sont stockés dans l’entrepôt de Noisy-le-Sec, dans des rangées de bibliothèques colorées.

La marketplace de l’économie sociale et solidaire
Label Emmaüs a été fondée en 2016 sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (Scic). Le projet : créer une boutique en ligne pour y proposer des produits issus du réemploi, mis en vente par des structures de l’économie sociale et solidaire. Depuis, la plateforme s’est largement développée. En 2023, près de 2,4 millions de produits issus du réemploi ont été mis en ligne sur la marketplace. Celle-ci est alimentée par 180 structures de l’ESS : 60 structures Emmaüs, mais aussi des ressourceries, des antennes de la Croix rouge, du Secours catholique ou de Territoires zéro chômeur de longue durée.
La coopérative compte 2 500 sociétaires, répartis en cinq collèges : les salariés, les structures Emmaüs fondatrices du projet, les structures Emmaüs vendant sur la plateforme, les partenaires de l’ESS et les personnes soutiens (personnes physiques ou morales soutenant le projet). Chaque collège dispose de droits de vote à l’assemblée générale et au conseil de surveillance de la structure, les décisions stratégiques se prenant toujours de manière collective.
Une coopérative membre de l’alliance des Licoornes
Au-delà de son statut de Scic, Label Emmaüs a mis la coopération avec d’autres structures au cœur de son modèle. En 2021, elle a été à l’origine, avec d’autres coopératives, notamment Enercoop, Mobicoop ou encore la Nef, de la création l’alliance des Licoornes, dont Maud Sarda est actuellement coprésidente. L’objectif : proposer, valoriser et développer de nouvelles façons d’entreprendre, fondées sur la coopération, dans le but de « transformer radicalement l’économie ».
Au sein des Licoornes, Label Emmaüs tente ainsi de réinventer le commerce en ligne, en alliant deux principes forts : l’insertion de personnes en difficulté sur le marché du travail et l’économie circulaire. La tâche n’est pas facile, notamment face aux géants que sont Amazon ou Shein. Depuis quelques années, la coopérative est également confrontée au développement des plateformes de vente de produits de seconde main, notamment Vinted, « qui n’a évidemment pas du tout le même projet social que nous », souligne Maud Sarda.

Label École, pour former gratuitement aux métiers du digital
Malgré les défis, Label Emmaüs ne cesse de se développer, mais aussi d’innover. En 2019, pour compléter l’accompagnement vers les métiers du numérique de publics en difficulté sur le marché du travail, la coopérative a créé Label École, un réseau d’« écoles e-commerce inclusives », qui forment gratuitement des demandeurs d’emploi aux métiers du e-commerce. Elle s’appuie pour cela sur un réseau de formateurs bénévoles, des professionnels du secteur digital, le plus souvent issus d’entreprises partenaires.
Une formation de six mois à temps plein est ainsi proposée pour devenir chef de projet e-commerce. La formation, ouverte y compris à des personnes qui n’ont pas le bac, permet d’obtenir un équivalent bac+3, donnant accès à un master si les apprenants souhaitent continuer leur parcours. « Il y a un vrai besoin, souligne Maud Sarda. Aujourd’hui, nous avons dix fois plus de candidats à nos formations que de places disponibles. »
Après l’ouverture d’une première école à Noisy-le-Sec, un deuxième établissement a ouvert à Marseille en septembre 2024, et un autre doit voir le jour à Roubaix. Label Emmaüs cherche également à développer ses formations en Ile-de-France et va lancer un master en alternance spécialisé en marketing digital en septembre prochain.
Camille Dorival