Le Bazaar Saint-So, à Lille, un lieu « ouvert » et « magique »
Ce tiers-lieu dédié à l’économie créative est situé dans les locaux d’une ancienne gare de fret réhabilitée. Il est à la fois un lieu de coworking, de bureaux partagés, de programmation culturelle et de convivialité. Reportage.
On arrive dans une halle très spacieuse, très haute de plafond, particulièrement lumineuse malgré la pluie battante de ce vendredi après-midi : les murs du Bazaar Saint-So sont couverts de baies vitrées. Une télétravailleuse commande un café. Des bénévoles d’une association échangent avec des bénéficiaires autour d’une table. Un régisseur installe son dispositif pour une projection de cinéma en plein air prévue le soir dans le tiers-lieu.
Nous sommes à Lille dans un espace de 5 000 mètres carrés situé dans le quartier Saint-Sauveur. Une gare de fret y a été construite au XIXe siècle. L’activité cesse en 2003 : le site devient une friche. Il reste deux bâtiments. En 2009, la ville réhabilite le premier et ouvre la Gare Saint-Sauveur, un lieu accueillant notamment une programmation culturelle. Elle lance un projet d’éco-quartier en 2013, et dans ce cadre, un appel à manifestation d’intérêt pour le second bâtiment, afin de lancer un lieu dédié à l’économie créative.
Le cluster d’entreprises lillois Initiatives et cité et la coopérative belge Smart le remportent et commencent les travaux en 2018, pour une ouverture en 2020. Le Bazaar Saint-So est lancé. Aujourd’hui, on marche encore sur l’ancien quai de gare dans le tiers-lieu. Le plafond et les piliers en béton ont aussi été conservés.
Expositions et tournois de ping-pong
Ce tiers-lieu est d’abord un « lieu ouvert », avec des « espaces non marchands, ce qui est important dans la ville », explique Benoit Garet, responsable du tiers lieu. « Son nom vient de l’écriture anglaise du bazar au Moyen-Orient, c’est vraiment ce que l’on cherche à développer : un lieu où on peut passer la journée à lire, manger, acheter des choses, obtenir des choses gratuitement… », décrit-il. Le lieu est ouvert la journée sept jours sur sept et le soir du mercredi au samedi.
Dans les « halles », l’espace par lequel on entre dans le Bazaar, il y a des transats et des poufs sur lesquels s’installer pour lire un livre ou échanger avec ses amis. Il y a aussi des tables de tennis de table et un baby-foot, un café où acheter des bières ou des boissons chaudes et des plats à partager. Deux expositions ont lieu en ce moment : Microtopies, présentant des maquettes de cabanes installées dans des communes proches de Lille, et Combo#6, une exposition de superpositions de photographies provenant d’Allemagne, du Congo et de France. Des événements culturels, des DJ sets, des conférences ou même des brocantes ont lieu régulièrement.
Une porte ouverte aux associations
Aujourd’hui, l’antenne lilloise d’Utopia 56 s’est installée sur une table du café. Deux jours par semaine, des membres de l’association viennent pour accompagner des jeunes en processus de reconnaissance de minorité. « Pour eux, c’est un temps de répit et de détente », observe Marie Davtian, coordinatrice de l’antenne. Plusieurs jeunes jouent au baby-foot. « On sort de l’entre-soi associatif, les jeunes découvrent un nouveau lieu. On se doute qu’ils ne viennent pas en dehors de ces moments, mais ça leur permet de profiter de cet endroit et quelque part, ça sensibilise aussi les passants. Il arrive souvent que des gens viennent nous demander ce qu’on fait »
Utopia 56 a demandé son accord à l’équipe du tiers-lieu, qui a accepté et laisse l’association agir en toute liberté depuis. Le mardi, une autre association, Linkee, organise des distributions de paniers alimentaires aux étudiants, constitués à partir d’invendus alimentaires collectés. Le mercredi, c’est l’association pour le maintien de l’agriculture paysanne (Amap) des Weppes qui réalise sa distribution. « Ce n’est pas le même public », plaisante Benoit Garet . Une manière de créer de la mixité.
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Un espace de travail pour l’économie créative et solidaire
À gauche de l’entrée, une quinzaine de télétravailleurs sont installés sur les tables mises à disposition dans une salle dédiée. « Le lieu me parle beaucoup, il est culturel, brasse beaucoup de monde et les gens sont sympas », se réjouit Leila, une juriste de 27 ans qui est venue « deux ou trois fois » et y travaille toute la journée. En dehors de son activité professionnelle, la programmation l’intéresse : elle pourrait rester ou revenir si une conférence annoncée suscitait son attention, par exemple. Laura, développeuse web de 32 ans, son assiette de carrot cake à côté de son ordinateur, est venue télétravailler toute la semaine. « C’est très lumineux et assez calme, salue-t-elle. Je vais essayer de motiver un ami à venir, les tables de ping-pong, c’est trop bien le midi ! ». 30 000 personnes sont venues télétravailler l’année dernière. « Cette année, je pense qu’on sera au moins le double », estime Benoit Garet.
L’accès aux espaces de coworking est complètement gratuit. Le financement du lieu repose sur la privatisation de salles ou des halles et les bénéfices du café, mais aussi et surtout sur la location d’espaces de travail partagés, non accessibles au public. Dans le bâtiment d’en face, des artisans peuvent louer des ateliers partagés. On trouve des céramistes, des graphistes, des illustrateurs, des brocanteurs… À côté des halles, des bureaux accueillent des organisations de « l’économie créative et solidaire ».
144 structures et 355 résidents travaillent quotidiennement dans ces lieux. « Environ la moitié sont des structures de l’économie sociale et solidaire, il y a aussi des entreprises individuelles, explique Benoit Garet. J’ai l’habitude de dire que nos racines, ce sont l’économie sociale et solidaire. Et je me dis qu’à la machine à café, des entreprises classiques rencontrent des coopératives ! ». Parmi les résidents, la foncière solidaire Novoloco, le service de courses en ligne en vente directe LeCourtCircuit ou les associations Emmaüs Connect et Singa Lille.
Convivialité et collaborations
Faustine Horgnies, architecte responsable des activités pédagogiques du centre d’architecture et urbanisme Waao, travaille ici depuis un peu plus d’un an. « C’est une fourmilière avec plein de structures de l’économie sociale et solidaire, de filières différentes », déclare-t-elle. Fourmilière qui crée des collaborations fructueuses : pour l’exposition que le Waao a organisé l’année dernière dans les halles, co-produite par le Bazaar, une résidente a participé à la rédaction des textes, d’autres ont fait la signalétique. Les bureaux sont répartis dans des « docks », des salles distinctes dans lesquelles plusieurs structures sont réunies. Mais des tables de travail et une cuisine partagée sont mises à disposition. Les résidents organisent souvent des événements de convivialité en commun.
Faustine Horgnies apprécie largement son bureau, mais aussi le lieu en général. « Il évolue très vite, ça fait un siècle et demi qu’il existe, il était très important à l’échelle du quartier. Il a une forme d’âme. C’est assez magique », s’enthousiasme-t-elle.
Célia Szymczak