Les acteurs de l’ESS réagissent au nouveau Premier ministre
La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre a suscité de nombreuses réactions parmi les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ces derniers interpellent notamment le nouveau locataire de Matignon sur l’urgence écologique et sociale.
La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre le 5 septembre, après 60 jours d’attente, n'a pas manqué de susciter les réactions des acteurs du monde l'engagement.
Membre du parti de droite Les Républicains, ancien ministre de l’Environnement puis de l’Agriculture et ancien commissaire européen, mais aussi fils d’une militante associative de longue date dont il a souligné l’engagement lors de sa prise de fonction, l’homme aux déclarations et au parcours contrastés ne fait pas l’unanimité au sein des voix associatives et syndicales, qui appellent à la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux.
Chez les associations de protection de l’environnement, l’espoir et le doute cohabitent
Du côté de l’écologie, les associations sont partagés entre un bilan relativement positif à la charge du nouveau Premier ministre, à l’origine d’un fonds destiné à aider les collectivités à faire face aux catastrophes naturelles ainsi que porteur éponyme de la loi Barnier en 1995 qui a institué entre autres le principe du pollueur-payeur et la Commission nationale du débat public, et le doute sur sa réelle capacité d’action.
« Il y a des choses positives dans son bilan », a par exemple reconnu, pour le média Reporterre, Jean Burkard le directeur du plaidoyer de WWF France. « Michel Barnier est quelqu’un qui a affirmé à plusieurs reprises que l’agriculture ne pouvait pas être laissée aux seules lois du marché. C’était d’ailleurs le titre de son dernier discours de ministre de l’Agriculture, en 2009. On saura le lui rappeler », prévient de son côté Laurence Marandola, porte-parole du syndicat la Confédération paysanne, dans le même média.
« Michel Barnier ne s’est pas illustré ces dernières années en ardent défenseur de l’écologie et il est à craindre qu’il ne fasse pas de la transition écologique une priorité », déclare, plus pessimiste, le Réseau Action Climat sur le réseau social X. L’association, qui fédère différents acteurs engagés dans la lutte contre les changements climatiques, appelle le nouveau locataire de Matignon à « prendre en compte l’urgence climatique » notamment en supprimant les coupes budgétaires demandées au ministère de la Transition écologique par le gouvernement démissionnaire.
« Nous devons admettre que Michel Barnier, en tant que ministre de l’Agriculture, a su résister aux pressions, notamment celles de la FNSEA, durant les négociations du Grenelle sur les pesticides. Il a maintenu les objectifs de réduction des pesticides du Plan Ecophyto et son indicateur de référence, le Nodu », considère Générations Futures. L’association de défense de l’environnement appelle cependant le nouveau Premier ministre « à un changement radical de cap », par rapport au gouvernement précédent, « en mettant en avant l’urgence d’une politique plus ambitieuse et responsable en matière de santé environnementale ».
L’appel à prendre en compte les questions sociales et l’ESS
Les acteurs de la solidarité ont également pris la parole pour inviter Michel Barnier à être attentifs à la prise en compte des enjeux sociaux.
« Les Petits Frères des Pauvres seront attentifs à ce que le nouveau Premier ministre considère, dans la composition du futur gouvernement, le vieillissement comme un enjeu majeur pour nos politiques publiques », déclare par exemple l’association Les Petits Frères des Pauvres sur son compte LinkedIn rappelant qu’en France « deux millions d’aînés » souffre d’isolement social et 3, 6 millions de personnes âgées connaissent l’exclusion numérique. « Pauvreté, habitat, lutte contre la maltraitance... Alors qu’une loi de programmation Grand Âge, attendue depuis des années, avait été promise avant l’été 2024, les besoins restent immenses », rappellent les Petits Frères des pauvres.
Michel Barnier aurait tout intérêt à soutenir l’ESS. Elle a été au rendez-vous du front républicain, c’est aussi son meilleur relai pour réduire les tensions sociales et réconcilier la société.
De son côté, ESS France appuie sur l’importance de conserver un portefeuille ministériel explicitement dédié à l’ESS, et positionné au sein du ministère de l’Économie et des Finances. « L’ESS, par sa contribution, permet d’importants coûts évités pour la puissance publique. Surtout elle permet des “coups évités” : elle représente un véritable filet de sécurité pour la cohésion sociale, la vitalité de notre démocratie ou encore la dignité des personnes », met en avant l’association représentative des acteurs et réseaux de l’économie sociale et solidaire. Celle-ci s’inquiète en particulier des « conséquences d’une politique d’austérité qui concentrerait ses économies sur des actions constitutives de notre contrat social telles que la prise en charge des publics vulnérables, en matière de santé ou encore d’inclusion ».
L’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes) réaffirme son engagement à collaborer avec le futur gouvernement. « Face à la crise budgétaire actuelle et les choix qui devront être faits, l’Udes appelle l’attention du Premier ministre sur l’importance de prioriser les politiques publiques en direction des structures de l’économie sociale et solidaire parce qu’elles interviennent dans le quotidien de nos concitoyens pour leur apporter des réponses et contribuent à hauteur de 10 % de la richesse économique du pays », met-elle en avant.
« Michel Barnier aurait tout intérêt à soutenir l’ESS. Elle a été au rendez-vous du front républicain, c’est aussi son meilleur relai pour réduire les tensions sociales et réconcilier la société. Elle lui permettrait également d’élargir son assise parlementaire avec le soutien de la gauche », analyse quant à lui Timothée Duverger, ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux, chargé de mission à l’économie sociale et solidaire et au développement durable.
À lire également : Au lendemain des législatives pour les acteurs de l’engagement, soulagement et appel à la mobilisation
Un déni démocratique ?
Enfin, certaines associations ne manquent pas de critiquer la nomination d’un homme dont le parti n’est arrivé que quatrième aux élections législatives du 7 juillet, et qui a placé dans ses priorités d’action « la maitrise de l’immigration » malgré une majorité relative obtenue à l’Assemblée nationale par la coalition des partis de gauche.
Greenpeace France dénonce ainsi une nomination « qui semble avoir été négociée pour satisfaire les exigences des chefs de partis de droite et d’extrême droite ». « Ce choix ne reflète pas le résultat des élections de juillet dernier », déplore également le directeur général de l’organisation Jean-François Julliard dans un communiqué.
« La nomination au poste de premier Ministre de monsieur Michel Barnier, qui laisse craindre la perpétuation d’une surenchère de stigmatisation et d’atteinte aux droits des personnes migrantes, que la droite et l’extrême-droite réclament déjà, ne peut susciter qu’incompréhension et effarement ; ses positions exprimées sur les questions migratoires, les propositions de démantèlement de l’aide médicale d’Etat, de remise en cause des engagements constitutionnels et internationaux de la France, s’étant avérées particulièrement outrancières et répressives », s’indigne encore l’association d’aide aux réfugiés la Cimade dans un communiqué de presse.
« Emmanuel Macron confirme son mépris pour les aspirations démocratiques des Français », écrit quant à elle Fanny Petitbon, responsable France de l’ONG environnementale 350.org. « Il ignore délibérément les millions de voix qui réclamaient un changement profond de politique et tourne le dos à la mobilisation historique en faveur d’une société plus juste et écologique. Ce choix risque d’aggraver les inégalités et la précarité, particulièrement pour les populations les plus vulnérables, face à une inflation galopante et une crise climatique qui s’intensifie », dénonce-t-elle.
« Nous voulons dire qu’un gouvernement sans majorité au parlement doit savoir se retourner vers la société civile pour penser et mettre en œuvre les transformations dont notre pays a besoin », propose de son côté ESS France.
Élisabeth Crépin-Leblond