Mary-Lou Mauricio, la photographe qui capture le CO2
Cette ancienne professionnelle de l’événementiel a décidé en 2020 de se reconvertir pour devenir photographe. Elle est à l’origine du projet « Born in PPM » qui vise à sensibiliser aux conséquences des activités humaines sur la planète. Portrait.
Ses portraits photo ont inondé le réseau social professionnel LinkedIn. Les modèles, fiers, fixent l’objectif de l’appareil photo, brandissant une partie de leur corps sur laquelle est inscrit au feutre noir un taux de PPM (partie par million). Ce nombre inscrit sur la peau, c’est la concentration de carbone dans l’air au moment de la naissance de la personne photographiée. Plus on est jeune, plus son taux de PPM est important... Logique !
Raoni, Yann Arthus-Bertrand... De grands défenseurs de l’environnement se sont prêtés à l'exercice et ont permis de populariser cette série artistique alertant sur le carbone lancée en 2022.
Il fallait un esprit à la fois créatif et engagé pour enfanter le projet « Born in PPM ». Cet esprit, c’est celui de Mary-Lou Mauricio. Intrépide et passionnée, elle s’est lancée dans la photographie il y a trois ans alors qu’elle entamait sa quarantaine. « Lors d’une discussion, une amie m’a rappelé que je voulais être photographe quand j’étais jeune, mais que je n’avais jamais osé », explique Mary-Lou. Un déclic !
Un changement de carrière après un burn-out professionnel
Ouvrons l’album photo de sa vie. Adolescente, Mary-Lou se passionne pour la photographie et suit des cours hebdomadaires. « Venant d’un milieu plutôt populaire, les études artistiques n’étaient pas une option », se souvient-elle. Après une école en communication, elle travaille dans l’événementiel, au sein de diverses entreprises telles que Cartier ou Louis Vuitton. En 2018, elle s’occupe de l’engagement citoyen pour l’entreprise de cosmétique L’Oréal : « Cette expérience m’a permis de davantage m’engager professionnellement, cela a été le début de ma bifurcation ».
Mais dans ce monde feutré et impersonnel de la grande entreprise, quelque chose lui manque. « En entreprise, je ne me sentais jamais à l’aise. C’est pour cela que j’ai souvent changé de poste au cours de ma carrière ».
J’ai essayé la photographie de mariage, les photos de famille... Ce n’était pas mon truc."
Gros tournant à partir de 2020. À la suite d'un burn-out, elle décide de faire de sa passion son métier. Elle s’offre une formation en photographie à l’École des Gobelins à Paris puis une formation en photojournalisme, et se lance progressivement dans le métier.
De la photographie, oui. Mais engagée ! « J’ai essayé la photographie de mariage, les photos de famille... Ce n’était pas mon truc », tranche Mary-Lou. Il faut dire qu’au moment de sa reconversion, elle vit en parallèle un véritable réveil écologique et cela même si elle a toujours été sensible au sujet. Après un atelier de la Fresque du climat, elle prend conscience de la gravité de la situation et notamment du danger que représentent les émissions de C02.
« Born in PPM », le projet aux plus de 4 000 clichés
Aujourd’hui, même si elle s'essaie au photojournalisme et à la photographie d’entreprise de manière occasionnelle, son projet phare reste « Born in PPM ». Depuis le lancement, elle a réalisé plus de 4 000 clichés, principalement à Paris et en banlieue parisienne, en studio, en entreprise ou lors des salons.
Elle souhaite par ce biais sensibiliser les participants. Outre la séance photo, les personnes photographiées suivent un atelier au sujet de l’impact des activités humaines sur la planète. Quelques questions leurs sont posées sur leur vision et leur vécu, leurs réponses sont enregistrées.
Les réactions des participants varient selon leurs vécus et leur relation à l’environnement. Lors d'une mission au sein d’une entreprise, une des personnes photographiées fond en larme, terrorisée par l’urgence écologique. Mary-Lou, inspirée, lui propose de la photographier alors que ses larmes coulent toujours sur son visage. Ce cliché marquera profondément la photographe. N’est-ce pas le but de l’art de représenter les émotions dans ce qu’elles ont de plus vrai ?
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Le projet est engagé, mais aussi très rusé. Il mise sur la volonté des individus de montrer leur appartenance à un réseau : en publiant cette photo sur les réseaux sociaux, on affiche qu’on est conscient de l’enjeu écologique et que l’on fait partie de la communauté des engagés. Les modèles sont donc également les communicants du projet et portent eux-mêmes le message engagé au sujet du climat.
Mary-Lou parie également sur la volonté des entreprises d’engager leurs collaborateurs. Elle leur propose d’installer un studio éphémère « Born in PPM » au sein de leurs locaux pour photographier les salariés et par la suite potentiellement réaliser une exposition. Elle a récemment travaillé pour le groupe Altice.
Actuellement, elle prépare un livre récapitulatif qui pourrait sortir en mars 2025, sorte d’héritage matériel du projet. Mary-Lou espère également confier le projet à des photographes à l’international pour qu'il puisse traverser les frontières.
Écolo jusqu’au bout des ongles
Même si elle est actuellement en recherche d’un nouveau concept, elle en est sûre, il ne sera pas comparable à « Born in PPM » : « c’était hors du commun, il a coché toutes les cases », se réjouit-elle. Le projet d’une vie ? Malgré tout, à l’avenir, elle souhaite user de la photographie pour sensibiliser à la cause écologique.
Lors des élections législatives anticipées de cet été, portée par ses convictions, elle n’a pas pu s’empêcher de mettre la photographie au service de l’engagement. Elle s'est lancée dans une nouvelle série nommée « Faire front » dont l’objectif était d’inciter à faire barrage à l’extrême droite. Elle photographie des personnes avec une enveloppe collée sur le front (jeu de mot). Ces clichés sont postés sur les réseaux sociaux accompagnés d’un témoignage.
Mais à l’avenir, son combat restera l’écologie. Il faut dire qu’elle l’a dans les tripes. Elle est bien loin la Mary-Lou travaillant pour Louis Vuitton avec un sac à main de luxe accroché à son bras. Aujourd’hui, elle refuse de prendre l’avion, alors même que ses parents vivent dans le sud du Portugal. « Je dois montrer l’exemple : je ne peux pas dire qu’il faut baisser son empreinte carbone tout en prenant l’avion », estime-t-elle.
Quitte à passer pour l’écolo de service auprès de ses proches : « Certains de mes amis pensent que je suis radicalisée », s’amuse-t-elle. Radicalisée, ou simplement précurseure ?
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Théo Nepipvoda