Mécènes Forum : « Nous commençons à voir des frontières un peu floues entre la RSE et le mécénat » (Laure Kermen, groupe ADP)
Laure Kermen est directrice de l'engagement sociétal et de la performance RSE du groupe ADP et déléguée générale de la Fondation. Carenews l’a rencontrée lors du Mécènes Forum organisé par Admical début octobre pour parler de sa vision du mécénat du futur.
- Globalement, quel est votre regard sur l’évolution du mécénat ?
L’évolution du mécénat va plutôt dans le bon sens. C’est encore trop le domaine réservé des grandes entreprises qui se sont emparées des différentes lois successives en la matière. L’enjeu aujourd’hui est que les petites entreprises s’en emparent également. Pour cela, il faut qu’on les accompagne. L’enjeu est d’aller les soutenir sur les territoires, non pas en se positionnant comme des donneurs de leçons, mais en leur proposant des méthodes et des formations. Par ailleurs, il est nécessaire que le mécénat soit encadré par des règles éthiques. Nous devons nous auto-encadrer pour que, par exemple, l’on sache ce qui relève du mécénat ou pas.
Mécènes Forum : comment développer le mécénat environnemental ?
- Et concernant la place du mécénat dans l’entreprise ? Quelle évolution envisagez-vous ?
Nous aurons, je pense, dans 20 ans, un mécénat d’entreprise qui ne sera plus du mécénat au sens où on l’entend aujourd’hui. La raison : la RSE devient aujourd’hui complètement intégrée à la stratégie de l’entreprise. Autre raison : le fait que l’on doive rendre compte de ses impacts externes et également des impacts de l’externe sur l’entreprise. Tout cela conduira à ce que le mécénat, qui s'appellera peut-être autrement, mais qui consistera toujours en l’accompagnement des territoires et du tissu associatif, soit constitutif de la stratégie sociale de l’entreprise.
Il s’agit d’un changement de modèle économique. On passerait d’un partage de la valeur en interne à un modèle de partage de la valeur avec les parties prenantes, que ce soit les clients, les collaborateurs, mais aussi le tissu associatif local et la riveraineté.
Avec ADP, nous avons un énorme enjeu avec les riverains de nos aéroports puisque nous impactons leur vie. La question est alors : comment l’entreprise, gros mastodonte économique sur le territoire, indispensable, partage-t-elle cette valeur créée ?
Nous avons changé notre façon de concevoir l’entreprise. Son rôle n’est plus uniquement de réaliser des bénéfices pour l’actionnaire, mais d’exercer sa responsabilité, en tant qu’acteur économique, sur son écosystème et son territoire.
- Le mécénat va-t-il donc forcément se rapprocher du cœur de métier de l’entreprise ?
Pas forcément. Notre métier est de faire voyager les gens. Pourtant, notre mécénat se situe autour des questions liées aux jeunes, à l’emploi, à leur formation. Il est également positionné sur des questions environnementales. Ce qui m’intéresse est de voir comment on peut participer à un projet structurant sur notre territoire qui va apporter quelque chose aux habitants.
Ce n’est pas lié au business directement, mais plutôt indirectement. Quand je travaille sur la jeunesse, l’éducation, la formation, cela va revenir pour alimenter l’entreprise et ses collaborateurs. En même temps, si cela a permis à un jeune de trouver du travail dans quelque chose qui n’a rien à voir avec notre activité, on s’en fiche. Ce qui est important, c’est que le développement du territoire se fasse en corrélation avec les entreprises qui le constituent.
- Le développement des directions de l’engagement qui regroupent RSE et mécénat est-il une bonne chose ?
Oui, car nous commençons à voir qu’il y a des frontières un peu floues entre la RSE et le mécénat. Aujourd’hui, la frontière est l'intérêt général. Mais la responsabilité sociétale répond pour partie à des questions d’intérêt général sur un territoire. Il faut que nous soyons clairs sur notre trajectoire et ce que l’on cherche à faire. Dès lors que ce le sera, cela ne posera plus de soucis.
Avec cette organisation, le côté volontaire et désintéressé du mécénat continuera demain. En revanche, il ne sera probablement plus défiscalisé.
- Vous en avez la certitude ?
C’est probable. La défiscalisation a permis d'amorcer l'engagement des entreprises. Elle peut être importante pour les plus petites structures. Pour les très grosses, je n’en suis pas convaincue.
Les grands groupes ne déclarent pas la totalité du mécénat qu’ils font, que ce soit en nature, mécénat de compétences ou financier. Ils déclarent principalement les soutiens significatifs. Pendant des années, chez ADP, nous ne déclarions qu’un tiers du mécénat de compétences que nous effectuions. L'enjeu n'est pas là.
- Vous avez, lors de vos prises de parole, parlé d’une proposition en particulier : obliger les entreprises à diriger 2 % du chiffre d'affaires vers le mécénat. Pouvez-vous préciser ?
Je ne sais rien de ce qu'il en sera. Mais on pourrait imaginer qu’un pourcentage du chiffre d’affaires soit consacré à des actions d'intérêt général pour chaque entreprise. L’entreprise ne peut pas être uniquement une machine à cash qui remplit les poches de ses actionnaires. Je ne trouve donc pas une telle idée choquante. L’entreprise prend de la richesse sur un territoire, elle doit en redistribuer.
Propos recueillis par Théo Nepipvoda