Omnibus : l’avenir des directives européennes CSRD et CS3D sur la durabilité des entreprises encore incertain
La réforme dite omnibus de la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD) et de celle sur le devoir de vigilance (CS3D) sont en cours à l'échelle européenne. Les députés ont refusé le 22 octobre que l’accord obtenu au sein d’une commission parlementaire serve de base aux négociations qui doivent avoir lieu avec la Commission et les États membres.

Deux directives soulevant des enjeux importants pour la durabilité des entreprises sont actuellement réformées à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit de celle sur les rapports de durabilité, dite CSRD, adoptée en 2022, et de celle sur le devoir de vigilance des entreprises, dite CS3D, adoptée en 2024.
La première est censée imposer à terme aux entreprises de plus de 250 salariés – avec un minimum de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou de 25 millions d’euros total de bilan – et aux PME cotées d’évaluer et de rendre publiques les conséquences environnementales, sociales et de gouvernance de leurs activités. La seconde exige que celles de plus de 1 000 salariés et 450 millions d’euros de chiffre d’affaires recensent, préviennent, atténuent et suppriment les atteintes à l’environnement et aux droits humains commises sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, c’est-à-dire y compris par leurs fournisseurs et sous-traitants. Elle rend aussi obligatoire la mise en œuvre d’un plan de transition pour atteindre les objectifs de limitation du changement climatique.
En février dernier, la Commission a proposé une réforme dite « omnibus » des deux textes, dans le but de simplifier la charge administrative pesant sur les entreprises. Les discussions portent désormais sur l’ampleur de la simplification. Le Conseil de l’Union européenne, représentant les États membres, a rendu sa position en juin dernier. Les députés européens, quant à eux, se sont prononcés le 22 octobre sur un texte adopté par la commission des affaires juridiques (Juri) la semaine précédente. Ils ont refusé, à 318 voix contre et 309 voix pour, que l’accord obtenu en commission parlementaire serve de base pour les négociations avec la Commission européenne et le Conseil. Ils voteront donc à nouveau en séance plénière concernant les amendements au texte le 13 novembre.
Les ONG se mobilisent contre la réforme
« Victoire d’étape ! », s’est réjouie sur Linkedin Claire Nouvian, la fondatrice de l’ONG Bloom. Elle voit dans la réforme Omnibus « un texte catastrophique qui propose de démanteler la loi européenne sur le devoir de vigilance » et une « tentative de dérégulation des normes sociales et environnementales », pointant également les « injonctions des lobbies industriels, de la droite européenne et de Trump ».
La Commission, le Conseil et la commission Juri - dans l’accord rejeté par les députés -, suggèrent de limiter les obligations imposées par la CSRD aux entreprises de 1 000 salariés, avec un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros pour la Commission européenne, et à 450 millions d’euros pour le Conseil et la commission Juri.
En ce qui concerne la CS3D, le Conseil et la commission Juri proposent de relever les seuils à 5 000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Quand la Commission et le Conseil estiment qu’il faut limiter l’obligation de vigilance aux partenaires commerciaux directs, la commission parlementaire considère que celle-ci doit uniquement porter sur les domaines dans lesquels les risques sont plus importants. Les trois acteurs estiment aussi nécessaires de remplacer l’obligation de mise en œuvre des plans de transition climatique par une obligation d’adoption et de supprimer l’obligation de prévoir un régime de responsabilité civile en droit national.
« Il est à présent crucial que nous nous saisissions de cette occasion : mobilisons-nous massivement pour défendre les droits humains et l’environnement, a pour sa part commenté l’ONG Reclaim finance. Le Parlement européen est en effet la dernière institution européenne qui pourrait encore défendre dans sa position l’ambition de la CS3D et de la CSRD. Le Conseil de l’UE et la Commission européenne se sont déjà prononcés en faveur d’une déresponsabilisation des multinationales vis-à-vis des impacts sociaux et environnementaux de leurs activités, conformément aux demandes des lobbies industriels, et en opposition aux demandes des citoyen·ne·s européen·ne·s ».
De son côté, le Collectif Éthique sur l’étiquette a estimé que « le détricotage » pourrait être encore aggravé par « une bonne partie des eurodéputés » dans les discussions à venir. Il a appelé à la mobilisation, relayant une pétition contre la réforme en cours, signée à ce jour par plus de 90 000 personnes.
« Le rejet du rapport Omnibus crée une nouvelle zone d’incertitude pour les entreprises européennes, qui ont aujourd’hui besoin de stabilité et de clarté pour continuer à investir et transformer leurs modèles. Les dirigeants ne peuvent pas avancer dans un environnement où les règles changent en permanence. Nous appelons les forces politiques pro-européennes à faire preuve de responsabilité et à construire, lors du prochain vote (...) une simplification réellement adaptée aux réalités de terrain des entreprises, mais qui ne renonce pas à l’esprit et aux ambitions fondatrices des directives, a pour sa part réagi Caroline Neyron, la directrice générale du mouvement Impact France, réunissant des entreprises se revendiquant engagées sur le plan social et environnemental. Ces textes ne sont pas des contraintes idéologiques, mais des outils essentiels pour protéger nos entreprises de la concurrence déloyale, renforcer leur résilience et consolider la compétitivité durable du modèle européen. »
Une bataille d’influence en cours
Depuis plusieurs mois, une bataille d’influence a lieu sur ces textes. Quelques jours avant le vote des députés, plusieurs multinationales européennes ont écrit une lettre au président Emmanuel Macron et au chancelier allemand Friedrich Merz, demandant l’abolition pure et simple de la directive sur le devoir de vigilance, au nom de la compétitivité, comme le rapporte le média spécialisé Novethic - qui relate aussi que plusieurs signataires se sont désolidarisés depuis.
En réponse à la lettre des entreprises, 13 ONG dont le CCFD Terre solidaire, Oxfam ou le WWF, écrivaient « avec gravité » à Emmanuel Macron pour l’alerter sur « la dérégulation en cours au niveau européen et ses conséquences à venir sur les populations, les écosystèmes et le climat ». « La France et l’Union européenne doivent s’affirmer et montrer qu’elles ne légifèrent pas pour satisfaire des puissances étrangères ou des intérêts privés, qui plus est incompatibles avec les objectifs climatiques de l’Union », soutenaient-elles.
La rédaction