CSRD : retour sur le détricotage de cette directive pour la durabilité des entreprises
Cette directive européenne impose aux entreprises de rendre compte dans un rapport de leur impact sur des enjeux sociaux et environnementaux. La Commission européenne a annoncé sa réforme fin 2024, dans un objectif de « simplification ». Où en est le processus législatif ? Carenews fait le point.

La CSRD (directive sur les rapports de durabilité) occupe depuis plusieurs années les esprits des directions liées à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Adopté en 2022, ce texte européen prévoit que les entreprises rendent compte de leurs impacts sur la planète et la société et qu’elles expliquent comment les enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance affectent leur activité dans un rapport. Un chantier important, qui a débuté avec la publication des premiers rapports dits « de durabilité » des grandes entreprises cette année. À terme, l’obligation doit concerner toutes les entreprises cotées ayant plus de 250 salariés ou un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros.
Or, en novembre dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, fait part de son intention de « simplifier » cette directive. « Les entreprises nous disent que le fardeau réglementaire pèse lourdement sur elles. Trop de rapports. Trop de chevauchements. Et trop complexe et coûteux à respecter. Nous devons rationaliser nos règles afin de réduire la charge qui pèse sur les entreprises », déclare-t-elle dans un discours au Parlement européen. Son parti, le Parti populaire européen (PPE), milite pour réduire les obligations auxquelles font face les entreprises. L’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi l’a aussi recommandé à la Commission dans un rapport publié en septembre 2024.
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Une bataille d’influence avant la révélation du projet
Plusieurs représentants du gouvernement français, dont le Premier ministre d’alors, Michel Barnier, appelle à une simplification de la CSRD. L’Allemagne et l’Italie plaident aussi pour l’assouplissement de la directive. Des propositions de retours en arrière sur l’écologie suivront, en France et à l’échelle de l’Union européenne, à propos d’autres textes de loi : c’est le début de ce que certains observateurs qualifient de backlash, retour de bâton en anglais.
Une bataille d’influence s’ensuit. Plusieurs grandes entreprises et réseaux se mobilisent pour préserver le texte, en appelant à sa simplification modérée, sans remise en cause de ses principaux objectifs. Les grands syndicats patronaux exigent une simplification plus importante. Les ONG, elles, prennent la défense de la directive.
Le 26 février, la Commission européenne rend public son projet, dans le cadre d’une législation dite « omnibus », qui vise à réformer plusieurs textes. Elle souhaite exempter de l’application de la CSRD 80 % des entreprises qui devaient être concernées par la directive dans le projet initial. Si la proposition est adoptée, seules les entreprises de plus de 1 000 salariés avec un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros devront réaliser un rapport de durabilité. La Commission entend aussi limiter « de manière substantielle » le nombre d’indicateurs obligatoires à renseigner et décaler de deux ans les obligations pour les entreprises concernées en 2026 et 2027. Une très large majorité de députés accepte ce report de l’application du texte en avril.
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Des ONG attaquent la Commission
En avril, huit ONG dont Notre affaire à tous déposent de leur côté une plainte formelle auprès de la médiatrice européenne, qui « œuvre à la promotion d’une bonne administration à l’échelle de l’Union. » Elles condamnent « le caractère non démocratique, opaque et précipité du processus par lequel la Commission européenne a élaboré la proposition Omnibus ».
Le processus « menant à cette proposition [a] été profondément défectueux, permettant à un petit groupe d’intérêts industriels de prendre le contrôle et de faire pression pour la déréglementation de lois clés sur le développement durable », estiment les ONG. Elles déplorent le manque d’évaluation des impacts environnementaux et sociaux de la modification de ces lois, l’absence de larges consultations « pour favoriser des réunions à huis clos dominées par les intérêts de l’industrie pétrolière et gazière » et l’absence d’évaluation de l’alignement de cette proposition avec l’objectif de neutralité climatique de l’Union européenne. Une enquête a été déclenchée à la suite de cette plainte.
Le Parlement se prononcera en octobre
En parallèle, le processus législatif suit son cours. Le Conseil de l’Union européenne, réunissant les représentants des États, s’accorde sur sa position le 23 juin. Il va dans le sens de la Commission, en proposant d’appliquer la directive aux entreprises de plus de 1 000 salariés, mais pousse plus loin en ajoutant un minimum de 450 millions d’euros de chiffre d'affaires. Emmanuel Macron salue l’accord et appelle à « alléger le contenu et la fréquence du reporting ».
Les discussions en séance plénière au Parlement européen doivent avoir lieu du 20 au 23 octobre prochains. Plusieurs commissions ont adopté leur avis sur le sujet : la commission Envi, sur l’environnement, propose de rehausser le seuil à 1 750 salariés. 45 députés de la commission ont adopté cet avis, rapporte AEF info. La commission Econ, chargée des affaires économiques, a pour sa part proposé de relever le seuil à 5 000 salariés et 450 millions d’euros de chiffre d'affaires annuel. Elle suggère que les entreprises puissent « omettre certaines informations » dont la divulgation porterait « gravement atteinte à leur position commerciale », à condition « que cette omission ne compromette pas une image juste et équilibrée du développement, des performances et de la position de l’entreprise ou du groupe, ainsi que de l’impact de leurs activités », indique encore AEF info.
Célia Szymczak