Aller au contenu principal
Par Carenews INFO - Publié le 8 juin 2023 - 10:00 - Mise à jour le 16 juin 2023 - 15:45 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Paris 2024 : « Des Jeux aussi énormes ne peuvent pas être durables » (Sven Daniel Wolfe, géographe urbain)

Les Jeux olympiques de Paris 2024 sont présentés par les organisateurs comme durables, ouvrant une nouvelle ère en matière écologique. Mais est-ce réellement le cas ? Interview de Sven Daniel Wolfe, chercheur à l’Université de Zurich.

Sven Daniel Wolfe, géographe à l'Université de Zurich. Crédit : DR.
Sven Daniel Wolfe, géographe à l'Université de Zurich. Crédit : DR.

 

C’est un fait, les Jeux olympiques ont des impacts écologiques conséquents. Les organisateurs de l’édition parisienne qui se déroulera en août 2024 se sont donné pour objectif de diviser par deux les émissions d’équivalent C02 par rapport aux autres éditions. Ils souhaitent faire de ces jeux un événement durable qui mette la préservation des ressources au cœur de la préparation. Mais est-ce réalisable ou pas ? Est-il possible d’organiser des Jeux olympiques réellement durables ?

Sven Daniel Wolfe est géographe urbain et politique à l’Université de Zurich (UZH) en Suisse. Il s’intéresse aux méga-événements sportifs tels que les Jeux olympiques. Il réfléchit aux impacts et à la durabilité de tels événements mais également aux mouvements de protestation qui l’entourent. Il a répondu à nos questions.

 

  • L’écologie fait partie intégrante du vocabulaire des organisateurs des Jeux de Paris 2024. Ils parlent de jeux durables. Est-ce la première fois qu’un tel narratif accompagne un événement olympique ?

Non, ce n’est pas la première fois que les organisateurs promettent de tels engagements. Déjà en 2000, les organisateurs des Jeux olympiques de Sydney en Australie promettaient que ces jeux seraient les premiers écologiques. De même pour les Jeux olympiques d’hiver en 1994 qui se déroulaient à Lillehammer en Norvège.

Plus récemment, en 2022, ce sont les organisateurs des Jeux olympiques d’hiver de Pékin qui ont promis la neutralité carbone. Honnêtement, c’est de la folie de penser que de tels événements peuvent être plus verts que les précédents, notamment sur le volet carbone. Avec ce discours, c’est plutôt une stratégie pour montrer que les Jeux olympiques peuvent continuer d’exister tels quels.

Malheureusement, les profits en jeu sont si énormes que ce n’est pas possible de les refuser en modifiant l’organisation des jeux. Entre la nature et les profits, nous savons qui va gagner. Si on ne change pas cette fondation faisant la part belle aux profits, je crois que les jeux vont continuer de grandir. Et en étant aussi énormes, ce n’est pas possible qu’ils soient durables.

 

  • Paris 2024 a estimé un bilan carbone prévisionnel de 1,58 million de tonnes équivalent CO2. C’est une division par deux par rapport aux jeux de Londres et de Rio de Janeiro. Comment percevez-vous ces engagements ?

Les organisateurs ont utilisé les infrastructures qui existaient déjà, ce qui est une bonne chose. C’est déjà mieux comparé à la Coupe du monde de football au Qatar ou aux Jeux olympiques d’hiver de 2014 organisés à Sotchi en Russie. Eux ont construit énormément d’infrastructures, c’est quasiment une ville sortie de terre. Ce n’est pas du tout durable ! 

Il faut lier les projets olympiques à un plan d’aménagement du territoire qui dépasse les jeux. Si les jeux ne sont pas liés à ces grands projets, le public va protester, car cela revient trop cher pour quelques jours d’utilisation.

 

  • Les organisateurs parlent de la notion d’héritage. Cette notion est-elle importante à vos yeux ?

Bien sûr. L’idée de l’héritage a été mise sur la table pour justifier les coûts des méga-événements. Elle permet de montrer que les organisateurs pensent l’avenir, et qu’ils ne vont pas construire uniquement pour l’événement. Le Comité International Olympique a fait des réformes impressionnantes qui ont changé la stature des jeux notamment en introduisant cette réflexion autour de l’héritage. C’est un progrès. 

Mais que signifie l’héritage ? L’héritage pour qui ? C’est trop vague. Il est possible d’utiliser ce mot pour justifier n’importe quoi. On peut détruire des maisons et le justifier en disant que c’est pour l’héritage. On doit toujours se demander  : qui profite et qui va perdre ? 

 

  • Il existe des critiques sur le manque de transparence autour du décompte du carbone émis. Quel est votre regard ?

Pour les Jeux olympiques, c'est une habitude de cacher la réalité des coûts en carbone. Les organisateurs de Paris 2024 ont fait la promesse que les jeux seront les plus verts de l’histoire. Mais j’en doute, car l’histoire montre que les organisateurs promettent n’importe quoi, mais que la réalité diverge au moment du bilan. Le problème c’est qu’après les jeux, quand vient le moment d’effectuer le compte final, l’attention globale, médiatique, a disparu.

 

  • Comment faire pour que les Jeux olympiques aient moins d’impacts négatifs, qu’ils soient plus durables ?

Le fait que les organisateurs de Paris 2024 utilisent les infrastructures déjà là, c’est vraiment un bon point. Il faut continuer. Mais d’un autre côté, ils vont voler jusqu’à Tahiti pour les épreuves de surf, ce qui n’est pas vraiment proche. Il y a un paradoxe entre la proximité et l’utilisation des infrastructures déjà existantes. 

La réponse c’est de réduire la taille, de faire des jeux plus petits. Les organisateurs au niveau du Comité International Olympique ne veulent pas continuer ces jeux destructeurs. Ils veulent rendre ces événements plus durables. Mais il y a une limite créée par cette problématique du profit.

 

  • Selon vous, les jeux sont trop dépendants de grandes entreprises internationales ?

Ils sont dépendants. Le business est trop lié à ces événements qui entraînent des profits énormes que l’on ne peut pas refuser.

 

  • Vous vous intéressez particulièrement aux groupes protestataires des méga-événements. Va-t'il y avoir un mouvement historique lors de ces jeux ?

Les jeux restent populaires auprès de la majorité de la population. Les militants parisiens essaient d’arrêter ou d’améliorer les Jeux olympiques. Le problème, c’est qu’il n’y a pas encore beaucoup de gens dans ces mouvements. Ils sont des dizaines, peut-être des centaines. Mais la puissance économique et politique de la France, des Etats-Unis et du CIO, c’est une autre échelle face à ces militants.

Les connaissant, peut-être que les Français peuvent lutter contre les Jeux olympiques (rires)car, mais dans les autres pays j’en doute. C’est difficile d’argumenter auprès des gens contre les grands événements alors qu’ils procurent un sentiment d’unité et de fraternité. Les gens adorent le sport. Ce n'est donc pas facile de protester.

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer