Pressions, baisse des subventions... Le calvaire des associations dans les communes dirigées par l’extrême droite
Les associations implantées dans des communes dirigées par le Rassemblement national s’inquiètent d’une arrivée au pouvoir à l'échelle nationale du parti d’extrême droite.

Les communes dirigées par des maires du Rassemblement national depuis 2014 ou 2020 se voulaient comme des laboratoires pour le parti d’extrême droite, désireux de démontrer sa capacité à diriger. Pour certaines associations implantées sur ces communes, l’expérience a pourtant viré au carnage.
La ville d’Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, a élu en 2014 le frontiste Steeve Briois. À l'époque, une de ses premières décisions en tant qu’édile est de mettre fin à la mise à disposition gratuite de locaux municipaux à la section locale de la Ligue des droits de l’homme (LDH), une situation qui durait pourtant depuis une dizaine années. La justification : il juge l’association trop politisée et lui reproche d’avoir pris position contre sa candidature municipale en distribuant des tracts. Déjà en 2007, alors qu’il est élu à la commune, il baptise l’association « La ligue des cloportes ».
Toute association qui émet une critique est considérée comme ennemie et est attaquée." David Noël à propos d'Hénin-Beaumont.
« La municipalité considère que toutes les associations doivent lui être soumises », considère David Noël, l’actuel président de la Ligue des droits de l’homme Pas-de-Calais et de la section de Hénin-Carvin. « Toute association qui émet une critique, même minime, est considérée comme ennemie et est attaquée ».
L’association a finalement trouvé refuge dans la ville voisine de Noyelles-Godault, dirigée à l’époque par un maire MoDem. Depuis, les relations avec la mairie d’extrême droite sont inexistantes. L’association continue tout de même de mener son action de sensibilisation dans les établissements scolaires de la ville.
Tensions autour d’une commémoration d’anciens combattants
Plus généralement, David Noël, également ancien élu communiste, a constaté un changement d’atmosphère généralisé vis-à-vis des associations implantées à Hénin-Beaumont : « Ils souhaitent décourager les présidents d’associations à force de les critiquer sur le journal municipal ou en ligne et qu’ainsi, par lassitude, ils quittent le combat. Ils entendent alors qu’ils soient remplacés par des gens qui vont être moins dans la lutte », se désole-t-il.
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L’association locale d’anciens combattants d’Algérie, la Fnaca, a subi les foudres de l’équipe aux commandes de la mairie, se voyant qualifiée en 2015 dans un mail d’un conseiller municipal de l’époque de « négationnistes d’obédience gauchiste », selon la Voix du Nord. La mairie lui a également mis des bâtons dans les roues pour l’organisation d’une commémoration du cessez-le-feu de la guerre d’Algérie qui se déroule chaque année le 19 mars. Dans une lettre, Steeve Briois répond aux accusations et estime que la Fnaca et d’autres associations font du « militantisme politicien » autour de ces commémorations.
Dans cette commune de 26 000 habitants, les pressions envers les associations ne sont donc pas inhabituelles...
Les subventions comme moyen de pression
Après la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron le 9 juin et les bons scores du premier soir des législatives, les chances que le Rassemblement national parvienne au pouvoir à l’issue des élections législatives sont importantes. « Au niveau national, s’ils appliquent ce qu’ils font à Henin Beaumont, j’ai les plus grandes craintes. Il s’agira d’un recul évident pour les libertés publiques », estime David Noël.
Même crainte du côté du Mouvement associatif qui rassemble plus de 700 000 associations. Dans un communiqué à ce sujet publié le 14 juin, le mouvement rappelle la mise à la porte du Secours populaire de son local à Hayange en Moselle en 2016 car l’association était considérée par la mairie d’extrême droite trop « politisée et pro-migrants ». « Ces exemples trahissent une vérité simple : si l’extrême droite s’en prend aux associations, c’est surtout parce qu’elles agissent au service de tous et toutes, sans discrimination, car les droits sont universels, aucune préférence nationale ne s’y appliquant ; et c’est parce qu’elles sont le réceptacle de la parole citoyenne, du débat contradictoire et d’un pluralisme indispensable à notre vie démocratique », peut-on lire dans le communiqué.
Au niveau national, s’ils appliquent ce qu’ils font à Henin Beaumont, j’ai les plus grandes craintes." David Noel
Outre la pression morale exercée, l’arme des subventions pourrait être massive. Après leur accession au pouvoir, certaines municipalités d’extrême droite ne renouvellent pas des subventions accordées à des associations ne correspondant pas à leurs valeurs, ce qui a pour conséquence de rendre leur fonctionnement compliqué. D’autres mairies réduisent même le budget global des associations. Comme à Mantes-la-Ville, passée au Front national entre 2014 et 2020. En 2016, le budget accordé aux associations a été diminué de 35 % au grand dam des structures locales.
En France, 44 % des revenus des associations proviennent de subventions ou de commandes publiques en 2017. L’arrivée au pouvoir du Rassemblement national pourrait ainsi menacer plus largement le modèle économique de certaines structures qui pourraient voir leurs revenus réduits à peau de chagrin.
Un désintérêt pour les quartiers périphériques
La misère est-elle moins pénible au soleil ? La ville de Béziers dans l’Hérault est dirigée par Robert Ménard, maire médiatique très à droite, ancien secrétaire général de l’association Reporters sans frontières, ayant appelé à voter pour Marine le Pen en 2022. Élu en 2014, il rabote en 2015 les subventions fléchées aux associations de la ville, selon un élu de l’opposition qui prenait la parole à l’époque lors du conseil municipal. En 2024, le budget de la ville prévoit près de 2,4 millions d’euros de subventions en 2024 pour les associations. Un budget plutôt stable depuis cette baisse.
À l'époque, Robert Ménard coupe notamment la subvention versée jusqu’alors à l’association Arc-en-ciel qui œuvre dans le quartier sensible de la Devèze. La raison : trop politique. Auparavant, la commune versait 50 000 euros annuellement à la structure d’action sociale qui proposait notamment des activités aux habitants. Résultat : elle est obligée de fermer ses portes en 2015.
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Gérard Antoine préside l’association Orange la Devèze qui œuvre pour les habitants du quartier. L’association ne reçoit pas de subventions notamment pour s’assurer une indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. « Tout l'argent de la mairie finance le rugby alors que pendant ce temps les associations ferment leurs portes », juge-t-il. « Il n’y a plus rien dans les quartiers qui permette aux jeunes d’avoir des occupations. La mairie préfère qu’il y ait de la casse dans ces quartiers plutôt que de subventionner les associations », continue-t-il.
Gérard Antoine déplore plus généralement un désintérêt pour ce quartier situé en périphérie de la ville : « À Noël, il n’y a même pas une guirlande dans nos rues installée par la mairie », considère-t-il, alors que le maire s’est battu en justice pour pouvoir installer une crèche dans l’hôtel de ville.
Des affichages d’associations enlevés
La branche locale de la Cimade, association nationale de soutien aux réfugiés et personnes migrantes, s’est attirée les foudres de Robert Ménard. Lors d’un conseil d’évaluation des prisons de la ville, le maire était pour le moins étonné de la présence de l’association : « Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici ? », s’est-il offusqué selon les paroles rapportées par Laurence Alloiteau, responsable du groupe local. « Vous nous devez le respect », s’est empressée de répondre la bénévole. « Il y a des associations qui ne méritent pas le respect », a conclu le maire. Choc pour la militante associative. De plus, selon elle, tous les affichages réalisés par la Cimade dans la ville sont enlevés par la mairie.
Théo Nepipvoda