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Par Carenews INFO - Publié le 7 février 2022 - 15:00 - Mise à jour le 9 février 2022 - 08:21 - Ecrit par : Christina Diego
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Que se cache-t-il vraiment derrière la promesse de la seconde main ?

La récente levée de fonds record d'une plateforme de revente d’objets de seconde main remet au centre du débat le modèle des coopératives comme un pendant plus vertueux et porteur d’un projet plus solidaire. Décryptage.

Les coopératives face aux plateformes de la seconde main. Crédit : iStock
Les coopératives face aux plateformes de la seconde main. Crédit : iStock

 

Deux salles, deux ambiances. « 650 salariés, six millions de clients et 450 millions de levées de fonds pour Back Market. 60 salariés (10 fois moins), 60 000 clients (100 fois moins), 150 000 euros (3 000 fois moins) de levée sur Lita en 2021 pour Label Emmaüs. » 

C’est le post de Maud Sarda, cofondatrice et directrice de la plateforme solidaire Label Emmaüs, qui a fait son effet en ce début d’année, avec plus d’une centaine de commentaires et plus de mille likes sur Linkedin. 

 

Deux modèles, deux visions

À travers ce post, la dirigeante de la plateforme de e-commerce militante Label Emmaüs met en lumière la place du modèle des coopératives dans le paysage des plateformes qui font de la revente d’objets de seconde main leur business modèle. Ces deux échelles de grandeur se télescopent aujourd’hui dans le secteur de l’économie circulaire où tout le monde parle d’impact.  

Or, « quelle structure peut avoir plus d’impact qu’une coopérative ? Aucune. Et 100 % du bénéfice est réinvesti dans l’outil de travail qui assure la pérennité de la coopérative », nous explique Maud Sarda.

Les modalités d’investissements, de gouvernance et de répartition des bénéfices sont très éloignées des schémas des startups qui fonctionnent avec les règles du monde économique classique. 

 

Des investissements spécifiques

Certaines spécificités du modèle des coopératives peuvent freiner les investisseurs et donc limiter l’apport en capital. Dans le cas des SCIC, la distribution de dividendes est même inexistante.

Dans le modèle des coopératives, une part sociale qui valait 100 euros en vaudra toujours 100. Même à la sortie. La gouvernance d’une coopérative repose sur le principe égalitaire d’un sociétaire = une voix. Qu’ils investissent un million ou un euro, tous les sociétaires de la coopérative ont le même pouvoir », détaille Maud Sarda. 

 

Autre différence, la nature des investissements dans une coopérative, par exemple, les titres participatifs, émis par la structure et souscrits par un tiers, un investisseur. Ils permettent un investissement sans droit de vote ni part au capital. « Les titres participatifs sont régis par la loi de façon très précise. C’est une créance remboursable à partir de la septième année, au gré de l'entreprise émettrice, et parfois, elle peut même ne pas être remboursée. La plupart des fonds d'investissement ont par nature une durée de vie généralement de 10 ou 12 ans, et des contraintes de liquidité », nous explique Antoine Vedrenne, associé chez Citizen Capital. 

Autre possibilité, l'investissement en parts sociales. Une part achetée un euro est revendue un euro, quelle que soit la durée. « Cette absence de plus-value rend l’investissement en parts sociales plus compliqué pour les fonds d'investissement » détaille Antoine Vedrenne.

 

Ne manquerait-il pas une autre voie ? C’est ce que défend Maud Sarda. Il faudrait des modalités de participation au capital qui, à minima, puissent être proposées en co-investissement.

« C’est le capital qui donne de la solidité. L'endettement permet d’avoir de la trésorerie. Nous avons besoin d’avoir plus de capital, car tous les partenaires que nous allons voir y font très attention. Aujourd’hui, tous les indicateurs sont construits sur la confiance envers le capital d’une société », plaide-t-elle. D’autant que l’essor du marché de la seconde main ne va pas se tarir ou disparaître, bien au contraire. 

 

Le boom de la seconde main interroge

Une nouvelle enquête, réalisée à l’échelle européenne, publiée jeudi 3 février, confirme l’engouement de la seconde main pour les années à venir. « Six Européens sur dix, huit sur dix pour les moins de 35 ans, déclarent avoir mis en vente des biens d’occasion au cours de l’année ». L’argument avancé est de « gagner de l’argent et participer à un cercle vertueux pour lutter contre la surconsommation en donnant une seconde vie à un produit ». En effet, 10 % des vendeurs déclarent dépenser ensuite l'argent pour se faire plaisir. L’exemple le plus cité : revendre son ordinateur portable, ou smartphone, pour en acheter un plus performant ou le dernier modèle. Les vêtements usagés sont ainsi revendus par les particuliers sur des applis de seconde main comme Vinted ou Le Boncoin. 

Est-ce vraiment ainsi que les citoyens pourront réduire leur impact sur la planète, en reconsommant un autre téléphone ou produit ? Est-ce ce modèle de société que l’on souhaite construire ? Pas sûr. Encore moins du côté des acteurs de l’ESS, historiquement les pionniers de la seconde main. 

 La seconde main ce n’est pas n’importe quel business chez Emmaüs. Le don matériel des Français a permis de soutenir l’insertion professionnelle de dizaines de milliers de personnes et pas n'importe lesquelles, très souvent, celles qui n’ont pas de papiers, pas d’autres solutions. Cela représente un compagnon sur deux », indique Maud Sarda.

 

Le modèle du don d’objets menacé 

 

Vêtements, petit mobilier et appareils électroniques font partie des objets que nous avons toutes et tous « donnés », un jour, à une communauté Emmaüs. Les communautés d’Emmaüs ont été créées par l’Abbé Pierre pour accueillir de façon inconditionnelle des personnes très fragilisées, comme d’anciens détenus ou des chômeurs très longue durée. Et leur donner une seconde chance.  

 Le concept de la seconde main doit donner une responsabilité supplémentaire aux entreprises. Capter le gisement de dons d'objet, qui historiquement était réservé à des acteurs de la solidarité, ne peut pas se faire n’importe comment. En tout cas, pas juste en disant que vendre de la seconde main et non du neuf leur permet d’avoir un impact positif sur la société », explique Maud Sarda. 

 

Les Licoornes, une alternative aux Licornes

 

Neuf dirigeants de coopératives dédiées à la transition écologique ont lancé les Licoornes en juin dernier pour proposer une alternative aux licornes de la startup nation.  

Les dirigeants des Licoornes veulent transformer le système financier pour qu’il serve ceux de notre écosystème. Ce type de levées de fonds peut provoquer de l’incompréhension vis-à-vis du régulateur », précise Jérôme du Boucher coordinateur du collectif des Licoornes. 

 

Il prône le fait que le régulateur devrait mettre en place des mesures d’encadrement pour favoriser les entreprises qui vont dans le sens de l’intérêt général.  « Nous pensons que l’État a un rôle à jouer dans la régulation de l‘économie et notamment face à ces épiphénomènes de levées de fonds pour des entreprises peu vertueuses », indique-t-il.

 

Maud Sarda, une des dirigeantes du collectif des Licoornes, avance des pistes intéressantes pour nourrir ce débat, comme proposer du cofinancement avec des parts sociales et des titres participatifs pour rassurer les investisseurs, élever le niveau de défiscalisation de 25 à 30 voir 50 % pour qu'il y ait un intérêt à prendre des parts sociales dans une coopérative comme les SCIC. 

Porter la notoriété du modèle de la coopérative au plus haut niveau de l'État serait déjà une première chose, et pas uniquement celui des licornes à plusieurs millions. Le grand public ne connaît pas vraiment le modèle des Scop ou des SCIC, où il est possible de prendre des parts sociales grâce à son épargne par exemple », souligne-t-elle.  

 

Christina Diego 

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