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Par Carenews INFO - Publié le 27 février 2024 - 12:00 - Mise à jour le 27 février 2024 - 18:02 - Ecrit par : Célia Szymczak
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Règles douloureuses, endométriose, ménopause en entreprise : le « congé menstruel, c’est une toute petite partie du sujet »

Alors que beaucoup de débats ont eu lieu sur le congé menstruel, d’autres mesures sont indispensables pour permettre aux femmes de mieux vivre leur cycle menstruel et leur ménopause. Un enjeu essentiel pour la santé et la qualité de vie au travail, mais encore largement impensé.

Le congé menstruel est l'une des mesures utiles, mais elle doit être accompagnée d'autres actions. Crédits : iStock.
Le congé menstruel est l'une des mesures utiles, mais elle doit être accompagnée d'autres actions. Crédits : iStock.

 

En 2023, trois textes visant à créer un « congé menstruel », un arrêt de travail sans délai de carence pour les personnes menstruées connaissant des douleurs avant ou pendant leurs règles, ont été déposés au Parlement. Les sénateurs ont rejeté l’un des textes le 15 février. Mais même si aucune obligation n’est pour l’instant faite aux entreprises sur ce sujet, certaines prennent déjà en compte les conséquences des cycles menstruels au travail. Ainsi, la start-up Louis Design propose un jour de congé par mois aux personnes souffrant de règles douloureuses depuis mars 2022, sans demander de justificatif médical. Le groupe Axa a lancé en octobre 2023 un programme permettant des aménagements de travail flexibles et des équipements au bureau pour les personnes ayant des troubles de santé menstruelle et de ménopause, que l’entreprise a doublé d’une campagne de sensibilisation. 

Le tabou des règles commence à se briser dans le monde professionnel, mais « c’est très lent », observe Valérie Desplanches, présidente de la Fondation pour la recherche sur l’endométriose. Pourtant, la question concerne les entreprises. Une personne ménopausée sur deux est impactée par sa ménopause dans son travail, selon un sondage réalisée en 2022 par Harris interactive pour la mutuelle Alan. Les symptômes sont multiples : fatigue, troubles de l’humeur et du sommeil, bouffées de chaleur mais aussi aggravation de la santé cardiovasculaire et du risque osseux, y compris à la périménopause, la période qui la précède. Et la ménopause concerne 14 millions de femmes en France. 

D’autre part, 38 % des personnes menstruées ont des règles douloureuses, des dysménorrhées. Avec des symptômes qui peuvent être extrêmement sévères dans le cas de l’endométriose, une pathologie qui touche une femme sur dix au moins. Dans toutes ces situations, la qualité de vie et la productivité des femmes sont affectées, en plus de leur éventuelle perte de confiance en elles. 

 

Sensibiliser et informer

 

De plus en plus d’entreprises choisissent donc d’instaurer ce congé menstruel. Il nécessite parfois un certificat médical, voire une reconnaissance de qualité de travailleur handicapé. « Le congé menstruel, c’est une protection, il y a un absentéisme fréquent sur une petite période et les jours de carence ne sont pas pris en compte, c’est un vrai poids économique pour les femmes qui ont des dysménorrhées », explique Valérie Desplanches, « mais en fait, c’est une toute petite partie du sujet ». Elle ajoute que « la prise de parole des entreprises s’est quand même faite avec des coups de communication. C’est devenu un argument massue, le congé menstruel sans réel accompagnement ». 

 

Une entreprise qui sensibilise ouvre une porte. Elle montre qu'elle est consciente que cette pathologie peut avoir un impact dans le cadre professionnel. 

Valérie Desplanches, présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose

 

La première étape, « indispensable » aux yeux de la spécialiste, c’est d’organiser des séances d’information et de sensibilisation. La question peut être abordée lors de journées de formation pour la sécurité au travail, ou dans le cadre des discussions sur la semaine de quatre jours. Dans le cadre de son programme Endopro, la Fondation pour la recherche sur l’endométriose fait intervenir un médecin et une patiente experte devant l’ensemble des salariés de l'entreprise. « On s’aperçoit qu’il y a une première libération de la parole. Une entreprise qui sensibilise ouvre une porte. Elle montre qu’elle est consciente que cette pathologie peut avoir un impact dans le cadre professionnel », explique Valérie Desplanches. Ce faisant, elle incite les salariées à parler. 

« Sans information et sensibilisation, il y a deux risques : que les personnes qui en ont besoin ne prennent pas le congé et que des discriminations se renforcent à l’encontre des femmes, qu’elles le prennent ou non », confirme la sociologue Aline Boeuf, autrice d’une soutenance de master sur l’impact du cycle menstruel dans le monde professionnel. D’ailleurs, elle explique que « les études sur l’éducation menstruelle pour les hommes montrent que les propos les plus discriminatoires et sexistes sont tenus par les personnes qui ont le moins d'informations ». L’information des employeurs et des managers présente la même utilité dans le cas de la ménopause.   

« Différencier n’est pas discriminer »

 

La question des discriminations s’avère centrale. Des personnes ont fait part à Aline Boeuf de la peur de « valider les propos sexistes disant que les femmes ne sont pas efficaces au travail, qu’elles n’ont pas leur place dans le monde du travail » en prenant un congé menstruel. Mais cet argument ne doit pas conduire à reculer sur la question du congé menstruel, indique la chercheuse. « C’est contreproductif d’aller dans l’argumentaire du risque de discrimination, ça limite toutes les possibilités d’avancées sociales », avance-t-elle. « J’entends que ça peut être détourné avec des arguments fallacieux pour confirmer une sorte de faiblesse du corps féminin. Mais pour moi, c’est la preuve que le monde du travail a été pensé par les hommes pour les hommes ». 

 

Le monde du travail a été pensé par les hommes pour les hommes.

Aline Boeuf, sociologue, autrice d'une soutenance de master sur l'impact du cycle menstruel dans le monde professionnel

 

25 % des femmes ont changé de métier ou de statut pour s’adapter à l’endométriose, selon une étude de la sociologue Alice Romerio sur la question. Valérie Desplanches entend beaucoup de témoignages de femmes qui lancent leur auto-entreprise pour travailler « à leur rythme ». Au prix d’une moindre couverture sociale, et sans pouvoir être payée lorsque leur symptômes les empêche de travailler. « C’est une précarisation », déplore Valérie Desplanches. La crainte de créer des  « avantages » spécifiques ne doit pas non plus freiner les entreprises. « Différencier n’est pas discriminer », rappelle-t-elle.  « Il y a une spécificité dont il faut tenir compte, et l’endométriose est un facteur d’inégalité. Il faut aborder le sujet  comme tel ».  

Adapter les conditions de travail

 

Mais le congé menstruel n’est pas la seule mesure à mettre en place. Valérie Desplanches précise que « l’absentéisme est le dernier choix des femmes, elles veulent surtout venir travailler ». Lorsqu’il est expérimenté, très peu de personnes le prennent. Un recours plus large au télétravail et la possibilité d’adapter des rythmes de travail apportent une flexibilité qui facilite le quotidien des personnes concernées par la ménopause et les douleurs de règles. « Des personnes travaillant sur l’accompagnement social de personnes en difficulté sur le marché du travail me disaient que ce qui les aidait, c’est une grande indépendance dans la gestion de leur agenda et de leur planning », illustre Aline Boeuf. « Elles ne prenaient pas de rendez-vous lorsqu’elles avaient des douleurs et se concentraient sur la gestion des emails et les dossiers administratifs ». 

 

L'absentéisme est le dernier choix des femmes. Elles veulent surtout venir travailler. Valérie Desplanches. 

 

La distribution de produits menstruels, mais aussi l’accès à des toilettes propres avec des lavabos dans l’enceinte des toilettes, font également partie des mesures importantes à prendre en compte. Les problèmes urinaires font partie des symptômes de l'endométriose et de la ménopause : l’accès à des toilettes à proximité est donc central. 

Il y a aussi la question de l’aménagement des postes de travail. Valérie Desplanches explique que les personnes atteintes de dysménorrhée peuvent rencontrer des difficultés à rester trop longtemps dans la même position, qu’elles soient assises ou debout. Ainsi, des tables dont la hauteur est modulable peuvent les soulager. L’accès à des ballons gonflables en plus des chaises pour s'asseoir peut aussi améliorer leur confort

Et puis l’endométriose, comme les fortes douleurs de règles et la ménopause, entraînent une fatigue importante. « J’ai entendu des témoignages de femmes qui se sont endormies sous leur bureau parce qu’elles n’en pouvaient plus », déplore Valérie Desplanches. D’où l’intérêt de salles de repos, qui peuvent par ailleurs être utiles pour l’ensemble des salariés.

 

Des référents parmi les collaborateurs

 

Enfin, le congé menstruel ne répond pas à tous les besoins. Par exemple, il n’est pas adapté pour les personnes en périménopause ou en ménopause. Il ne convient pas non plus à toutes les organisations du travail. Aline Boeuf cite des témoignages d’infirmières, qui lui ont indiqué ne pas pouvoir prendre de congé à cause du manque d’effectifs. Par ailleurs, les douleurs ne surviennent pas forcément au moment des règles, parfois avant.

Pour évoquer ces questions et déterminer au mieux les solutions, et face au tabou, il peut être utile de nommer des collègues référents dans les entreprises. Lorsque les femmes parlent de l’endométriose, explique Valérie Desplanches, c’est auprès de leurs collègues, mais pas des managers, ni des ressources humaines et rarement des services de santé. 

Nommer des référents : la mesure peut paraître ambitieuse pour une petite entreprise. Mais la taille d’une structure n’est pas un frein à la prise en charge de ces questions. Dans les plus petites entreprises, en particulier les start-ups, où les équipes sont souvent plus jeunes, la parole est plus libre et la flexibilité plus importante. Dans les grandes entreprises, la masse salariale peut faciliter les remplacements et l’instauration de règles est plus aisée. Il n’existe pas de solutions qui conviennent à toutes les femmes et à toutes les organisations, résume Valérie Desplanches, mais « chaque entreprise peut avoir des solutions ».

 

Célia Szymczak 

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