Shein aux Galeries Lafayette et au BHV : « la distinction entre fast et ultra-fast fashion est un mirage », réagissent plusieurs ONG
L’installation prochaine de corners Shein au BHV et dans cinq Galeries Lafayette suscite de vives oppositions. Dans ce contexte et alors que la proposition de loi anti-fast fashion doit faire encore l’objet d’un accord entre les parlementaires, plusieurs associations appellent à lutter contre les pratiques de l’ensemble de la fast fashion, y compris les marques européennes comme Zara, H&M ou Kiabi.

L’annonce de l’implantation prochaine de Shein au BHV et dans plusieurs magasins Galeries Lafayette la semaine dernière a provoqué une levée de boucliers immédiate. Mairies, associations, influenceurs engagés et entreprises ont pris la parole pour dénoncer le partenariat conclu entre la Société des grands magasins (SGM), la foncière exploitante des magasins concernés, et la marque d’ultra fast fashion chinoise.
« Nous exprimons notre profonde inquiétude face à la décision du BHV d’accueillir, dès novembre, le premier magasin permanent de l’entreprise Shein en France », partage par exemple sur son compte la maire de Paris Anne Hidalgo. « C’est un manque de respect pour la clientèle fidèle d’enseignes aussi historiques que le BHV et les Galeries Lafayette. En ouvrant leurs portes à l’ultra-fast fashion, ces grands magasins tournent le dos à leur rôle patrimonial et culturel, tout en fragilisant l’image de la mode française », renchérit dans un communiqué Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin (FFPAPF).
Les Galeries Lafayette, qui ont appris la nouvelle dans la presse, ont également exprimé leur désaccord quant à l’installation de Shein dans cinq de ses magasins affiliés en France. Dans un communiqué de presse, l’enseigne exprime son opposition « au regard du positionnement et des pratiques de cette marque d’ultra-fast fashion qui est en contradiction avec [notre] offre et [nos] valeurs ». « Elle est également contraire aux conditions contractuelles d’affiliation qui lient le groupe SGM aux Galeries Lafayette », ajoute-t-elle.
L’appel des associations à voter une loi anti-fast fashion plus ambitieuse
« La tentative de Shein de s’implanter et de se légitimer sur le territoire français ne fait que renforcer la nécessité d‘une loi de régulation ambitieuse pour l’ensemble du secteur », analysent de leur côté dans un communiqué plusieurs associations, rassemblant le collectif Éthique sur l’étiquette, Fashion Revolution France, Les Amis de la terre France, ActionAid France, Max Havelaar France et Zero Waste France.
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Pour ces organisations, qui militent pour une industrie de la mode plus responsable, « en s’implantant physiquement, mais surtout en médiatisant cette implantation, la marque tente de légitimer sa présence en France et à travers cela, elle démontre le caractère inopérant d’une loi qui la ciblait directement ». Alors que la proposition de loi anti-fast fashion, adoptée par le Sénat en juin, doit encore passer en commission mixte paritaire, elles dénoncent une distinction artificielle entre fast fashion et ultra-fast fashion, qui « risque de rendre caduques les efforts accomplis jusqu’ici ».
En juin, le Sénat a en effet adopté une version de la loi destinée à viser explicitement l’ultra fast fashion des géants asiatiques, comme Shein et Temu, et à épargner les enseignes de fast fashion d’origine européenne comme Zara, H&M et Kiabi. Ce choix était défendu par la rapporteure du texte Sylvie Valente-Le Hir, qui pointait la nécessité d’une distinction entre « innovation soutenable » et « surconsommation programmée », ainsi que la préservation des emplois générés dans les villes par les enseignes de fast fashion. Il était cependant décrié par plusieurs acteurs militants, comme la coalition « Stop fast fashion » et le collectif « En mode climat », qui défendent la nécessité de faire évoluer les pratiques de l’ensemble du secteur.
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Cette proposition de loi a également fait l’objet d’un avis rendu par la Commission européenne la semaine dernière. Si cette dernière valide les objectifs du texte contre la mode éphémère, elle signale des dispositions non conformes au droit européen. Parmi elles, l'interdiction générale de publicité pour les sites de mode ultra-éphémères, comme Shein et Temu, est jugée par la Commission contraire à la loi européenne sur le e-commerce.
Si [Shein] affiche un nombre de nouveaux modèles sans précédent, elle ne fait que prolonger une dynamique déjà existante dans le secteur ». Éthique sur l’étiquette, Fashion Revolution France, Les Amis de la terre France, ActionAid France, Max Havelaar France et Zero Waste France.
Un risque d’inefficacité des mesures ?
Pour le collectif Éthique sur l’étiquette, Fashion Revolution France, Les Amis de la terre France, ActionAid France, Max Havelaar France et Zero Waste France, la distinction entre ultra fast fashion et fast fashion risque également de rendre les obligations de la loi inopérantes. Elles citent l’exemple d’un autre partenariat, conclu entre Shein et l’enseigne de fast fashion Pimkie, visant à permettre à la marque française de commercialiser ses collections sur le site chinois.
« En s’associant notamment à Pimkie, Shein cherche à se rapprocher des autres enseignes et à prouver qu’elle aussi peut créer de l’emploi, payer des impôts et dynamiser un territoire », pointent les associations. « Ce faisant, elle révèle au grand jour le flou de la distinction opérée entre fast et ultra-fast fashion ainsi que la faiblesse des arguments justifiant d’une loi ciblant exclusivement des plateformes chinoises », dénoncent-t-elles. Dans ses différentes actions de communication, Shein défend en effet un rapprochement avec les marques de fast fashion européennes ainsi que des lieux de commerce physique qui favoriseront, selon la marque, les autres marques des grands magasins et l’attractivité des quartiers commerçants.
Les associations rappellent en outre les délocalisations massives de la production par les marques de fast fashion « traditionnelles », et dénoncent une « standardisation » des rues commerçantes, ainsi que la mise en œuvre d’un modèle déjà délétère.
« Si [Shein] affiche un nombre de nouveaux modèles sans précédent, elle ne fait que prolonger une dynamique déjà existante dans le secteur », estiment les associations. « De plus, cette voie est suivie par des acteurs dits de fast fashion : la marque française Kiabi, qui affichait 15 000 références en 2023, en propose aujourd’hui plus de 200 000 », soulignent-elles.
Élisabeth Crépin-Leblond