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Par Carenews PRO - Publié le 22 mars 2024 - 08:00 - Mise à jour le 22 mars 2024 - 18:34 - Ecrit par : Camille Dorival
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« Il faut bâtir une diplomatie de l’économie sociale et solidaire », entretien avec Stéphane Junique

SPÉCIAL ÉLECTIONS ESS FRANCE (3/3). Dans le cadre du renouvellement de la présidence d’ESS France, la structure chargée de fédérer et représenter les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), Carenews a souhaité interroger les trois candidats à la présidence. Pourquoi ont-il souhaité présenter leur candidature à cette fonction ? Comment voient-ils l’ESS et quelles actions comptent-ils mener à la présidence d’ESS France ? Troisième et dernier entretien avec Stéphane Junique, président du Groupe VYV.

Stéphane Junique, président du Groupe VYV, est candidat à la présidence d'ESS France. Crédit : VYV.
Stéphane Junique, président du Groupe VYV, est candidat à la présidence d'ESS France. Crédit : VYV.

 

  • Pour quelles raisons avez-vous décidé de présenter votre candidature à la présidence d’ESS France ?

 

J’ai souhaité présenter ma candidature pour trois raisons essentiellement.

La première est d’ordre personnel. Je suis depuis toujours un militant des solidarités et de l’économie sociale et solidaire (ESS). J’ai eu des engagements associatifs dès mes 13 ans à la Croix Rouge, puis j’ai évolué dans le monde des mutuelles de santé.

La deuxième raison est liée à mon rôle de dirigeant du Groupe VYV. Nous avons fait de l’ESS un axe prioritaire de notre stratégie. Je suis convaincu que les grands acteurs de l’ESS doivent s’impliquer davantage dans la coopération avec les autres structures de l’ESS, et dans l’aide à la structuration du mouvement.

Enfin, nous sommes dans une période historique qui, je le crois, peut être un véritable « moment de l’ESS ». Les acteurs de l’ESS sont extrêmement pertinents pour répondre à certains enjeux, comme le grand âge, la petite enfance, mais aussi la question des biens communs. La société « post-Covid » a de nouvelles attentes sur ces sujets, et nous devons montrer que nous pouvons y répondre. Je crois qu’il y a une véritable opportunité pour l’ESS, pour incarner un modèle économique au service d’un projet de société.

 


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  • Quelles sont les trois actions prioritaires que vous souhaitez mener à la présidence d’ESS France ?

 

Dans le cadre de ma candidature à la présidence d’ESS France, j’ai élaboré une feuille de route qui s’est nourrie de ma rencontre avec divers dirigeants et acteurs de l’ESS dans toute la France. Pour moi, la vitalité des acteurs de l’ESS est une vraie chance sur laquelle nous devons nous appuyer.

Les rencontres que j’ai faites m’ont permis d’identifier les 10 victoires à obtenir pour conforter le mouvement à la fois dans son unité et sa diversité.

Si je dois retenir trois priorités, la première est de faire voter une loi de programmation pour l’ESS. Une telle loi doit nous donner les moyens financiers de nous développer, au niveau national et au niveau des territoires. Il faut aussi qu’elle permette de renforcer les politiques locales de l’ESS. Je rappelle que la loi de 2014 sur l’ESS prévoyait l’obligation d’élaborer des stratégies régionales de l’ESS. Or cela n’a pas été fait dans toutes les régions. Il faut aussi consolider les dispositifs de soutien à l’ESS et développer ses outils de financement. Il faut que BPI France ait un mandat pour développer l’ESS, et que les financements de la Caisse des dépôts et consignations soient davantage tournés vers l’ESS. Enfin, il est nécessaire de développer une stratégie d’innovation sociale, à travers la création d’un crédit d’impôt innovation sociale.

Ma deuxième priorité est d’inscrire ESS France dans des dynamiques locales. Le développement de l’ESS viendra d’abord de son ancrage dans les territoires. Cela implique notamment de consolider les chambres régionales de l’ESS (Cress), qu’elles soient mieux reconnues et qu’on leur reconnaisse une forme moderne de « consularité » au même titre que les chambres de commerce et d’industrie (CCI), notamment. Nous pouvons nous fixer l’objectif de 1000 salariés dans les Cress.

Troisièmement, je souhaite la structuration d’une diplomatie de l’ESS vis-à-vis de l’Union européenne et de l’international, portée par des acteurs de la société civile. Récemment, des instances internationales comme les Nations unies, le Bureau international du travail, et même l’OCDE qui pourtant est l’incarnation de l’économie libérale, ont reconnu l’importance du rôle de l’ESS au niveau mondial. Un plan d’action pour le développement de l’ESS a également été mis en place au niveau européen. A l’automne 2025 se tiendra le Forum mondial de l’ESS à Bordeaux. Nous sommes donc dans un moment très favorable pour bâtir une diplomatie de l’ESS.

Si je peux ajouter une autre priorité, je voudrais pousser un cri de colère sur la manière dont sont traitées les structures associatives. Depuis plusieurs années, les associations sont maltraitées dans notre pays, on réduit les libertés associatives, on ne considère pas les associations comme des acteurs économiques alors que leurs actions sont essentielles, on réduit leurs subventions. Depuis 2005, la part des subventions dans le budget des associations a été réduite de près de 40 %. Je regrette l’esprit de concorde qui prévalait en 2001 lors du centenaire de la loi de 1901 sur les associations. Il y a un urgent à refonder un nouveau contrat de confiance entre les associations et l’Etat.

 

  • Pourquoi, selon vous, l’ESS a-t-elle du mal à s’imposer comme la norme de l’économie, alors qu’elle a de nombreux atouts pour faire face aux crises actuelles ?

 

Cela s’explique par le fait que l’ESS est une façon d’entreprendre, et non une filière économique. Pour que l’ESS se développe vraiment, il faut qu’elle occupe une place majeure dans les filières liées au bien commun, qui sont en train de s’hyper-financiariser : le grand âge, la petite enfance, l’énergie, l’eau… Il nous faut raisonner davantage sur une logique de filières économiques.

Par ailleurs, nous ne faisons pas assez corps entre acteurs de l’ESS. Il faut que les structures de l’ESS de toutes tailles coopèrent davantage ensemble. Il faut développer un « réflexe ESS » entre nous.

Enfin, comme je l’ai dit précédemment, nous ne donnons pas assez de moyens aux territoires. Il faut renforcer le statut des Cress et leur donner plus de moyens, pour développer l’ESS sur les territoires. Il faut aussi davantage financer les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) : actuellement ils sont soutenus financièrement les deux ou trois premières années, mais on sait qu’il faut plus de temps pour consolider un modèle économique, quel que soit le type de structure.

 


À lire également : 

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« La force de l'économie sociale et solidaire repose sur l'intelligence collective et la coopération », entretien avec Benoît Hamon 


 

  • 10 ans après la loi de 2014 sur l’ESS, estimez-vous que cette loi a atteint tous ses objectifs ? 

 

Comme le soulignait l’avis du Conseil supérieur de l’ESS sur le sujet, c’est une très bonne loi, mais elle n’a pas été accompagnée de suffisamment de moyens pour permettre un vrai développement de l’ESS. Par ailleurs, depuis 2014, d’autres lois, comme la loi Pacte qui crée les sociétés à mission, ont bousculé ses attendus. Il faut tenir compte de ces évolutions pour actualiser la loi de 2014 en fonction.

 

  • Pour vous, l’ESS doit-elle affirmer un positionnement politique ? Quelles relations envisagez-vous notamment avec le gouvernement si vous êtes élu à la présidence d’ESS France ?

 

ESS France ne doit pas se transformer en structure partisane. L’ESS est un mouvement porté par des acteurs de la société civile. Le président d’ESS France doit représenter cette société civile, et structurer un collectif qui représente la diversité des structures de l’ESS. Ce ne doit pas être un président qui prend la lumière seul, mais qui s’appuie sur une équipe comportant plusieurs porte-parole.

Le président d’ESS France n’a pas vocation à être un ministre bis de l’ESS, mais un représentant de la société civile, un militant issu de l’ESS, un interlocuteur exigeant, mais respectueux du dialogue avec les pouvoirs publics. Il doit se faire la caisse de résonance des acteurs de l’ESS.

Je rappelle que certaines régions ne prévoient toujours pas de stratégie de développement de l’ESS alors que cela est théoriquement obligatoire depuis la loi de 2014. Si nous politisons à outrance le mouvement, comment parviendra-t-on à convaincre ces régions de le faire ? Il nous faut aussi mettre en place un partenariat avec l’Association des régions de France (ARF).

Bien sûr, chacun d’entre nous est attentif à ce qui pourrait arriver avec l’élection présidentielle de 2027. Mais le rôle et la place d’ESS France sont de porter un projet de société, de représenter les intérêts d’une communauté d’acteurs de la société civile. Pour cela, il faut certes créer des rapports de force avec les pouvoirs publics, mais il faut aussi dialoguer avec eux, rechercher le compromis, la co-construction.

 

  • Quelle vision avez-vous d’ESS France et de sa place dans l’écosystème de l’ESS, aux côtés d’acteurs comme l’Udes, Impact France, Le Labo de l’ESS… ? L’outil ESS France est-il selon vous à la hauteur des enjeux ou faut-il le faire évoluer ?

 

ESS France n’est pas seulement là pour représenter les différentes familles de l’ESS. C’est un lieu pour échanger, coconstruire des idées. Par conséquent, je crois qu’ESS France doit devenir un Parlement des acteurs de l’ESS. La République de l’ESS, lancée par Jérôme Saddier, l'actuel président d'ESS France, a permis d’affirmer les valeurs de l’ESS et son projet de société. Il nous faut maintenant devenir un lieu de convergence, de débat, d’orientation, pour l’ensemble des structures de l’ESS. Il ne s’agit pas de changer les statuts d’ESS France mais de penser un mode de fonctionnement différent et une ouverture plus grande à notre environnement. Cela implique d’associer à nos réflexions des structures non membres d’ESS France, notamment des think tanks comme le Labo de l’ESS ou le Ciriec, mais aussi les chercheurs qui travaillent sur l’ESS.

Nous pourrions mettre en place un programme thématique de travail sur deux ans, comme cela est fait au Conseil économique, social et environnemental (Cese), pour mener des réflexions en commun.

Je crois notamment qu’il nous faut travailler sur des indicateurs différenciants pour l’ESS, permettant de mesurer son utilité sociale ou son impact, selon la dénomination qu’on préfère utiliser. Il existe aujourd’hui des indicateurs épars, comme l’Impact score mis en place par Impact France, Valor’ESS de l’Udes ou encore les travaux menés par l’Avise, la Fonda et le Labo de l’ESS. Un Parlement des acteurs de l’ESS aurait permis d’en débattre et de trouver des compromis.

Nous devons aussi mener tous ensemble le combat de la reconnaissance des métiers du soin, qui concerne toutes les familles de l’ESS. Actuellement chaque tête de réseau porte son propre plaidoyer. Or il faut que nous portions ce combat collectivement.

 

Propos recueillis par Camille Dorival 

 

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