Aller au contenu principal
Par Carenews PRO - Publié le 20 mars 2024 - 11:07 - Mise à jour le 22 mars 2024 - 18:32 - Ecrit par : Camille Dorival
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

« L’économie sociale et solidaire doit s’affirmer comme une économie politique », entretien avec Damien Baldin

SPÉCIAL ÉLECTIONS ESS FRANCE (1/3). Dans le cadre du renouvellement de la présidence d’ESS France, la structure chargée de fédérer et représenter les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), Carenews a souhaité interroger les trois candidats à la présidence. Pourquoi ont-il souhaité présenter leur candidature à cette fonction ? Comment voient-ils l’ESS et quelles actions comptent-ils mener à la présidence d’ESS France ? Premier entretien avec Damien Baldin, directeur général de la fondation La France s’engage.

Damien Baldin, directeur général de La France s'engage, est candidat à la présidence d'ESS France. Crédit : F. Lafite.
Damien Baldin, directeur général de La France s'engage, est candidat à la présidence d'ESS France. Crédit : F. Lafite.

 

  • Pour quelles raisons avez-vous décidé de présenter votre candidature à la présidence d’ESS France ?

 

Toute ma vie a été dédiée à l’intérêt général. Depuis quatre ans, en dirigeant la fondation La France s’engage, j’accompagne des centaines d’acteurs de terrain, des femmes et des hommes qui dirigent des associations, des coopératives, des fonds de dotation, des chantiers ou entreprises d’insertion et portent des projets d’innovation qui ont un fort impact social et territorial. Je connais leurs savoir-faire, leurs forces, leurs engagements, mais aussi leurs difficultés. L’une de ces difficultés, en particulier, m’interpelle : ils disent « on ne nous entend pas assez, nous n’avons pas de porte-voix, nous ne sommes pas représentés auprès des pouvoirs publics ». Or la plupart d’entre eux ne connaissent ni ESS France, ni les chambres régionales de l’ESS (Cress). C’est pour eux que j’ai souhaité présenter ma candidature.

Je veux pouvoir aider concrètement ceux qui s’engagent dans l’ESS. Ces acteurs de terrain m’inspirent. Je pense à Nolwenn Febvre, infirmière bretonne créatrice de l’association des P’tits Doudous qui développe un programme d’amélioration de la prise en charge des enfants hospitalisés financé par le recyclage des déchets hospitaliers ; Frédérick Mathis, qui a créé la première école de la transition écologique dans son village de Lahage en Haute-Garonne, pour former les jeunes décrocheurs aux métiers manuels de la transition écologique ; Abdelaali El Badaoui, qui lutte contre les inégalités de santé dans les quartiers populaires ; ou encore Maud Sarda, qui a co-créé la coopérative Label Emmaüs, première marketplace solidaire. Chez tous, j’admire l’engagement militant pour l’ESS autant que le talent entrepreneurial. ESS France doit faire entendre leur voix et aider au développement de leurs projets en permettant les transformations politiques dont ils ont besoin.

La deuxième raison de mon engagement est citoyenne. Nos démocraties libérales et sociales, qui sont nées avec et par l’économie sociale et solidaire, sont menacées par des forces autoritaires et réactionnaires. L’ESS est indispensable pour valoriser l’engagement au service de l’intérêt général, pour rappeler que notre société et notre économie sont aussi soucieuses d’apporter du progrès social et écologique pour tous, quels que soient l’âge, le territoire, la nationalité, le genre et la culture.

 


À lire également : Trois candidats à la présidence d’ESS France 


 

  • Quelles sont les trois actions prioritaires que vous souhaitez mener à la présidence d’ESS France ?

 

La première concerne le financement de l'ESS. Accélérer le développement de l’ESS et pérenniser les structures en place nécessite des actions ambitieuses et volontaristes.

Je souhaite donc établir un dialogue nourri, étayé d’objectifs précis, avec les financeurs publics, notamment la Banque publique d’investissement (BPI), la Banque des territoires et le Secrétariat général pour l’investissement. Mais aussi un dialogue officiel avec les acteurs privés, pour que le système bancaire finance davantage l’ESS, à la fois sur l’investissement et sur la gestion courante.  

Avec l’État et les collectivités territoriales, nous devons aussi affirmer un modèle plus responsable et plus vertueux des subventions publiques, parce qu’elles servent autant le lien social que l’innovation. Parce qu’elles doivent continuer à faire vivre nos associations qui font elles-mêmes vivre nos libertés publiques. Parce que nous devons aider l’État à développer d’autres indicateurs de valeur à côté de ceux qui mesurent la seule performance économique sans considérer l’utilité sociale et territoriale.

Enfin, il me semble indispensable d’assurer un financement plus ambitieux et surtout plus autonome des chambres régionales de l’ESS et d’ESS France elle-même. C’est un sujet prioritaire où l’Etat, les régions et les grands acteurs de l’ESS ont une responsabilité partagée pour trouver des solutions pérennes, adaptées à chaque territoire.

En deuxième lieu, il me semble indispensable de développer une « culture ESS ». Autrement dit, contribuer à ce que plus d’entreprises deviennent des organisations de l’ESS ou travaillent avec elles, à ce que plus de jeunes, notamment des quartiers populaires et des territoires ruraux, entreprennent avec l’ESS et en aient une meilleure connaissance. Pour cela, et dès le plus jeune âge, il devient nécessaire d’enseigner les fondamentaux de l’ESS, rendre plus visible et lisible la puissance de notre tissu associatif, philanthropique et coopératif. Cette culture doit aussi irriguer les récits du réel et notamment ceux des journalistes.

Elle concerne aussi les fonctionnaires territoriaux comme d’État, qui sont nos interlocuteurs du quotidien et sont des alliés utiles de notre développement. Nous œuvrons ensemble à l’intérêt général et à l’utilité sociale. Nous devons donc veiller davantage à leur formation initiale et continue, pour que l’économie sociale et solidaire y soit plus présente.

Enfin, l’égalité entre les femmes et les hommes et la diversité sociale dans nos instances de gouvernance me tiennent particulièrement à cœur. Les incarnations du pouvoir doivent correspondre à la réalité de notre société et de ceux qui s’engagent sur le terrain. C’est un enjeu politique et de visibilité. L’ESS doit être exemplaire en matière d’égalité des chances. Collectivement, nous le savons, nous avons du chemin à faire. Je proposerai, de mon côté, à ESS France de mettre en place très vite une co-présidence femme-homme.

 

  • Pourquoi, selon vous, l’ESS a-t-elle du mal à s’imposer comme la norme de l’économie, alors qu’elle a de nombreux atouts pour faire face aux crises actuelles ?

 

Votre question comporte une partie de la réponse. La norme valorise des modes d’entreprises dont la réussite se mesure trop souvent à la simple valorisation financière de leur organisation. Or les entreprises ont aussi une responsabilité sociale, environnementale et territoriale qui dépasse le simple intérêt privé et touche à l’intérêt général. Cette responsabilité n’est pas assez visible dans les récits économiques dominants. Il nous revient de faire vivre un autre récit économique, entre celui de l’économie purement libérale et celui de l’économie marxiste.  Nous devons valoriser le récit d’une économie sociale, d’une économie solidaire.

L’ESS pèse 14 % des emplois privés : ce n’est pas rien ! Et en dehors de l’ESS, les entreprises à mission, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), la notion de valeur extra-financière des entreprises sont des notions de plus en plus audibles et embrassées par les organisations. Pour moi, il s’agit d’une première victoire de l’ESS, même si elle nécessite d’aller plus loin dans les exigences sociales et environnementales. Le développement de l’ESS se mesure aussi à l’influence que nous avons sur les autres entreprises.

Pour nous développer, nous devons arriver à une plus grande diversité de tailles de structures. Nous avons besoin de plus de petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI), mais nous avons aussi besoin de « champions » de l’ESS, de groupes. Cette diversité doit être au service de filières d’excellence qui rassemblent toute la diversité des acteurs de l’ESS. Nous devons plus démontrer que nous savons apporter des solutions concrètes qui répondent aux besoins de la population, et notamment des plus vulnérables d’entre nous.

Nous devons faire valoir notre capacité collective, à l’échelle nationale comme locale, à répondre aux enjeux du vieillissement, du logement, de la santé, de la pauvreté, de l’éducation, de l’insertion professionnelle, de l’accueil des réfugiés, des violences faites aux femmes, de l’alimentation ou encore de la petite enfance.

 


À lire également :

« La force de l'économie sociale et solidaire repose sur l'intelligence collective et la coopération », entretien avec Benoît Hamon 

« Il faut bâtir une diplomatie de l'économie sociale et solidaire », entretien avec Stéphane Junique


 

  • 10 ans après la loi de 2014 sur l’ESS, estimez-vous que cette loi a atteint tous ses objectifs ? 

 

La loi de 2014 a atteint un objectif symbolique et culturel fort : nous rendre solides et plus visibles. Elle fournit aussi un cadre législatif nous permettant de nous développer. C’est une loi qui peut nous permettre d’aller très loin si on arrive à en utiliser tout le potentiel. C’est pourquoi il ne faut pas, je pense, perdre du temps à nous demander comment la faire évoluer, sauf sur des aspects réglementaires.

Pour ma part, je pense qu’il faut nous concentrer sur les sujets sur lesquels nous pouvons vraiment agir et nous concentrer dans les semaines qui viennent sur le projet de loi Pacte II.

 

  • Pour vous, l’ESS doit-elle affirmer un positionnement politique ? Quelles relations envisagez-vous notamment avec le gouvernement si vous êtes élu à la présidence d’ESS France ?

 

L’ESS est une économie politique. C’est même l’économie politique du 21e siècle. Elle a un socle historique qui est celui du socialisme libéral, qui a émergé au 19e siècle et qui affirme que c’est par la capacité des citoyens à s’organiser de manière solidaire et indépendante de l’Etat et des entreprises classiques que progresse une économie au service de la justice sociale. Cela correspond à toute l’histoire des mutuelles, des associations et des coopératives.

Ce récit politique prend tout son sens et sa pertinence au 21e siècle, car nous sommes dans une société où les citoyens sont plus émancipés et plus autonomes, ont envie de prendre leur destin en main, de travailler collectivement, tout en ayant le souci de l’utilité sociale.

Nous devons donc affirmer un projet politique, non pas au sens partisan, mais au sens de l’intérêt général.

Concernant les relations avec le gouvernement, s’il est important de continuer à porter notre voix à Bercy, notamment dans le cadre du projet de loi Pacte II et du financement des Cress, nous devons gagner en visibilité interministérielle. En effet, il est essentiel de pouvoir devenir un interlocuteur évident de tous les ministères qui portent des politiques publiques d’envergure que l’ESS, à travers sa diversité et ses filières d’excellence, peut largement contribuer à rendre plus efficaces et plus justes.

 

  • Quelle vision avez-vous d’ESS France et de sa place dans l’écosystème de l’ESS, aux côtés d’acteurs comme l’Udes, Impact France, Le Labo de l’ESS… ? L’outil ESS France est-il selon vous à la hauteur des enjeux ou faut-il le faire évoluer ?

 

ESS France est devenu un outil formidable qui permet, en l’état, de répondre à beaucoup des enjeux dont nous avons parlé. Et ces acteurs dont vous parlez y sont déjà bien intégrés. Sans doute, pourrons-nous aller plus loin encore dans l’intégration des Cress au sein de la gouvernance ou encore dans la mise en œuvre de mécanisme de solidarité entre les grandes familles de l’ESS, que cela concerne le financement ou le plaidoyer.

Il faut conforter sa mission d’outil politique national et multirégional de l’économie sociale et solidaire, son rôle de confédération qui aide au quotidien les différentes têtes de réseau et les Cress, et mène avec elles les grands chantiers du temps long. ESS France est ce point d’équilibre où se gèrent les urgences et les crises et se prépare le futur.

Parmi ces sujets du temps long qui concernent l’ensemble de nos secteurs et de nos structures, j’en vois deux dont ESS France pourrait se saisir en priorité.

Le premier concerne l’intelligence artificielle : nous devons assurer le développement d’une intelligence artificielle au service de l’économie sociale et solidaire. Nous devons être demain à la pointe d’un usage éthique et efficace de cette technologie qui va bouleverser toutes nos activités sociales et économiques et qui doit être mise au service du progrès social.

Le second sujet est la question du travail : ESS France, dans un dialogue nourri avec les syndicats, doit pouvoir accompagner ses membres sur les enjeux de transformation du travail. C’est une responsabilité sociale autant qu’une nécessité pragmatique pour renforcer l’attractivité de l’ESS auprès des jeunes générations.

 

Propos recueillis par Camille Dorival 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer