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Par Carenews PRO - Publié le 21 mars 2024 - 08:00 - Mise à jour le 22 mars 2024 - 18:35 - Ecrit par : Camille Dorival
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« La force de l’économie sociale et solidaire repose sur l’intelligence collective et la coopération », entretien avec Benoît Hamon

SPÉCIAL ÉLECTIONS ESS FRANCE (2/3). Dans le cadre du renouvellement de la présidence d’ESS France, la structure chargée de fédérer et représenter les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), Carenews a souhaité interroger les trois candidats à la présidence. Pourquoi ont-ils souhaité présenter leur candidature à cette fonction ? Comment voient-ils l’ESS et quelles actions comptent-ils mener à la présidence d’ESS France ? Deuxième entretien avec Benoît Hamon, directeur général de Singa Global.

Benoît Hamon, directeur général de Singa Global, est candidat à la présidence d'ESS France. Crédit : DR.
Benoît Hamon, directeur général de Singa Global, est candidat à la présidence d'ESS France. Crédit : DR.

 

  • Pour quelles raisons avez-vous décidé de présenter votre candidature à la présidence d’ESS France ? 

 

J’ai le désir de reprendre, au cœur de l’écosystème de l’ESS, le fil d’une ambition inachevée : le changement d‘échelle de l’ESS. 

 

  • Quelles sont les 3 actions prioritaires que vous souhaitez mener à la présidence d’ESS France ? 

 

Depuis trois ans, ESS France a considérablement travaillé. Les idées et propositions pour permettre le changement d’échelle de l’ESS sont déjà sur la table. Cette élection à la présidence d’ESS France ne confronte pas de feuilles de route significativement distinctes, car le programme nous été transmis « clé en main » par les groupes de travail d’ESS France, les chambres régionales de l'ESS (Cress) et les familles statutaires de l’ESS. C’est d’ailleurs mieux ainsi. Il y a assez d’hommes ou de femmes providentiels comme cela en France pour qu’ESS France n’y rajoute pas le sien et rappelle que ce qui a fait la force et la résilience de l’ESS repose sur l’intelligence collective, la coopération et la collégialité. 

Quelles seront mes priorités ? Nous devons demain demander à l’Etat qu’il joue son rôle, mais ne pas faire dépendre notre action de sa réponse. En effet, les 10 milliards d'euros de crédits supprimés par Bercy, qui ciblent d’innombrables acteurs de l’ESS dans le champ de l’inclusion, du soin et de la prise en charge des personnes vulnérables, bientôt suivis par 20 milliards d’économies supplémentaires, donnent le « la » d’une relation avec l’État qui sera difficile. Il importe que les intérêts des entreprises et organisations de l’ESS soient argumentés, documentés, défendus. Quand bien même l’Etat, hier impécunieux, décide d’être aujourd’hui rigoureux, l’ESS, l’économie qui marche, celle des solutions et des innovations, n’acceptera pas que les solidarités soient éreintées tandis que la rente reste protégée.

ESS France devra donc hiérarchiser son plaidoyer. La loi de programmation en faveur du changement d‘échelle de l’ESS est un bon véhicule. Elle a l’intérêt de construire un chemin de progrès qui permet au gouvernement d’afficher une ambition et d’inscrire son effort dans la durée. Car c’est de constance dans l’action que nous avons besoin. Dès la loi de finances, plusieurs dossiers urgents seront sur la table, parmi lesquels les moyens que doit donner l’Etat aux Cress pour remplir la mission que la loi leur confie. Dans ce domaine, il ne sera pas difficile pour l’Etat de faire mieux, tandis qu’il accorde 50 fois moins de moyens aux Cress qu’aux chambres consulaires. Pourtant la loi attribue à celles-ci la mise en oeuvre dans les territoires des politiques nationales de l’ESS. 

Le deuxième chantier est celui des nouveaux horizons de l’ESS. Il s’agit de tracer de nouvelles frontières entre le privé lucratif et le non lucratif là où l’intérêt général et la dignité des personnes sont en jeu. Nous devons affirmer que le champ des soins à la personne et tout ce qui relève de la réponse à la vulnérabilité des individus, ne peut pas dépendre d’indicateurs de performance et de rentabilité, identiques au commerce des missiles ou des chaussures. Le secteur sanitaire et social, créateur de liens et garant de la dignité des personnes, doit principalement relever d’acteurs publics ou privé non lucratifs. Chacun perçoit en conséquence l’effort de coopération qui doit être consenti dans l’ESS pour structurer une offre de service de qualité, adossée à une filière qui fait dialoguer les acteurs du soin, les collectivités, les territoires et les populations. Plus généralement, la structuration de filières régionales de l’ESS (alimentation, recyclage, tourisme, mer, soins…) fera écho à la reconnaissance par l’Union européenne de l’économie sociale comme un des 14 écosystèmes industriels européens. Les Cress ont un rôle clé à jouer dans cette stratégie.

Enfin, il  faut réduire le décalage entre l’appétit des citoyens d’être utiles comme bénévoles, travailleurs ou entrepreneurs et l’image encore instable de l’ESS. L'économie sociale apparait encore aux yeux de beaucoup comme un oxymore. L'économie sociale et solidaire, comme un double oxymore. Nous savons pourtant que des milliers d’organisations et entreprises de l’ESS démontrent le contraire. Nous savons aussi que nous devons faire mieux.

Mieux, c’est démontrer, à partir d’indicateurs pertinents, l’impact social et écologique positif des entreprises de l’ESS. Mieux, c’est partager les effets positifs indiscutables de la gouvernance collective sur la robustesse et la pérennité des entreprises de l’ESS. Mieux, c’est rester en pointe des bonnes pratiques et dupliquer les innovations. Mieux, c’est revendiquer d’être redevables et transparents pour servir de référence aux entreprises de l’économie conventionnelle qui veulent et doivent changer, si nous voulons que notre économie toute entière pivote et engage une véritable transition écologique. Mieux, c’est enfin ressembler davantage à la société, et projeter dans la gouvernance des instances de l’ESS la diversité de genre et d’origine que nous retrouvons dans toutes nos organisations et entreprises. 

 


A lire également : Trois candidats à la présidence d’ESS France 


 

  • Pourquoi, selon vous, l’ESS a-t-elle du mal à s’imposer comme la norme de l’économie, alors qu’elle a de nombreux atouts pour faire face aux crises actuelles ? 

 

Les normes et les lois découlent de la culture dominante. La culture économique qui domine aujourd’hui est celle qui consent que le pouvoir dans l’entreprise appartient à celui qui met le plus d’argent sur la table. Néanmoins, si nous ne vivons pas encore sous le règne des principes l’ESS, nous connaissons peut être le crépuscule de l’hégémonie culturelle capitaliste. La notion d’hégémonie ne se réduit pas à la domination ; elle signifie aussi un pouvoir d’attraction. Or, la crise climatique, la polarisation des inégalités et la brutalité intrinsèque d’un système où le capital commande « seul » ébranlent un système économique dont chacun comprend désormais qu’il repose sur une impasse : la croissance infinie dans un monde fini. Les modèles économiques conventionnels sont en crise parce qu’ils peinent à résoudre la contradiction entre performance économique, prédation écologique et inégalités sociales. L’ESS elle-même a parfois tardé à embarquer la question écologique dans sa raison d’être. Cependant, dès la loi de 2014, puis lors de l’élaboration du guide des bonnes pratiques par le Conseil supérieur de l’ESS, l’impact écologique a été hissé au rang des indicateurs comparables à l’utilité sociale. 

Que faire pour changer la culture économique ? Il faut à mon avis commencer par changer le cadre institutionnel à l’intérieur duquel la science économique est produite. La réalité du paysage scientifique des économistes aujourd’hui est celle d’un rétrécissement de la pensée économique à sa sensibilité la plus orthodoxe. Un courant de l’économie règne sans partage. Ce modèle « mainstream est fondé sur un mixte constitué de méthodes mathématiques (assorties fréquemment d’une validation économétrique) et de la conceptualisation abstraite d’un homo œconomicus maximisateur ayant vocation, a priori, à expliquer toutes les interactions sociales », comme le soulignait l’Association française d’économie politique.

Si l’économie sociale et solidaire veut exister et ses modèles contribuer à la formation d’économistes conscients de l’imbrication étroite des phénomènes économiques et sociaux, ESS France doit soutenir la création d’une section « économie et société » au Conseil national des universités (CNU). Nous avons besoin de mélanger les disciplines pour redonner de l’oxygène à une pensée économique qui en a cruellement besoin. Cette décision appartient au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle est cruciale pour les acteurs de l’ESS car l’assèchement du pluralisme dans la recherche économique va de pair avec l’appauvrissement des programmes scolaires consacrés à l’étude des sciences économiques et sociales. 

La norme de l’économie pourra alors retrouver les vertus du pluralisme et de la diversité féconde des modèles entrepreneuriaux de l’ESS.

 


A lire également :

« L'économie sociale et solidaire doit s'affirmer comme une économie politique », entretien avec Damien Baldin 

« Il faut bâtir une diplomatie de l'économie sociale et solidaire », entretien avec Stéphane Junique

 


 

  • 10 ans après la loi de 2014 sur l’ESS, estimez-vous que cette loi a atteint tous ses objectifs ?  

 

Hélas, non. Car une loi sans portage politique est privée du carburant nécessaire pour atteindre ses buts. L’engagement intermittent et l’investissement en pointillé de l’État depuis l’adoption de la loi n’ont pas permis le changement d’échelle de l’ESS qui était l’objectif principal de la loi. 

La reconnaissance est là, substantielle mais fragile. Toutefois, parce que les acteurs de l’ESS ont été co-producteurs de cette loi, une part significative de la loi ne dépend pas seulement de l’engagement de l’Etat ou des collectivités locales. C’est ce qui a permis depuis 10 ans à l’ESS d’occuper une place nouvelle dans le débat public et dans les politiques territoriales. Nous le devons à l’engagement d‘ESS France et à celui des Cress, devenues interlocutrices privilégiées de tous les acteurs intéressés au développement de l’ESS dans les territoires. La loi ESS n’est pas un fétiche. Si elle doit évoluer pour proposer un cadre plus approprié au développement de l’ESS, travaillons-y. Mais je reste convaincu que l’essentiel est ailleurs, dans la constance de la volonté politique, nationalement et localement. 

Sans attendre, il revient donc aux acteurs de l’ESS de créer des coalitions et des alliances entre acteurs de l’ESS, autorités politiques locales et acteurs de l’économie conventionnelle qui rendent irréversibles les stratégies de développement de l’ESS. 

 

  • Pour vous, l’ESS doit-elle affirmer un positionnement politique ? Quelles relations envisagez-vous notamment avec le gouvernement si vous êtes élu à la présidence d’ESS France ? 

 

L’ESS n’a pas besoin d’affirmer un positionnement partisan. Là où la science économique se définit maintenant plus par une méthode que par un objet, l’ESS affirme que l’économie est une science avant tout morale et politique. Qui mieux que l’architecte du solidarisme et penseur de la République coopérative, Charles Gide, pour signifier cela  :« L’économie sociale descend de ces sphères sereines dans la réalité et dans les préoccupations de la vie : elle étudie de préférence les rapports volontaires, contractuels, quasi contractuels ou légaux, que les hommes forment entre eux en vue de s’assurer une vie plus facile, un lendemain plus certain, une justice plus bienveillante et plus haute que celle qui porte pour tout emblème les balances du marchand ».

Ce « programme politique » conserve toute sa modernité. Les relations avec le gouvernement comme avec les conseils régionaux ou les villes doivent se fonder sur une conviction simple : ESS France fait partie de ces corps intermédiaires, composantes essentielles de la démocratie sociale française, jamais assez consultés, parfois méprisés, qui veulent et doivent reprendre toute leur place dans l’élaboration des politiques qui les concernent. 

L’ESS propose à chacune de ses parties prenantes un apprentissage quotidien de la responsabilités et du compromis. C’est forts de cette science du dialogue et de la coopération que nous nous tournerons vers les pouvoirs publics. Je suis certain qu’en retour, le gouvernement saura rehausser la qualité de sa propre réponse. 

 

  • Quelle vision avez-vous d’ESS France et de sa place dans l’écosystème de l’ESS, aux côtés d’acteurs comme l’Udes, Impact France, Le Labo de l’ESS… ? L’outil ESS France est-il selon vous à la hauteur des enjeux ou faut-il le faire évoluer ? 

 

ESS France a une mission qui lui est donnée par la loi : représenter et développer l’ESS. Pour cela, elle s’appuie sur les représentants des familles de l’ESS, mais aussi sur l’irremplaçable réseau des Cress. Vis à vis des premiers, ma conviction est simple : la subsidiarité. Là où le plaidoyer de chaque famille se suffit à lui même, il n’y a pas besoin qu’ESS France se déploie. Là où nous avons besoin de créer un plaidoyer commun, de souligner une revendication, il appartiendra à ESS France d’incarner cette volonté collective et de proposer un chemin. Vis à vis des Cress, je souhaite qu’elles incarnent pleinement la légitimité ascendante que leur donne le lien qu’elles ont avec les entreprises et organisation de l’ESS sur le terrain. Elles sont l’échelon indispensable entre ESS France et le terrain.

Je souhaite aussi une gouvernance transparente et collégiale, avec des femmes et des hommes investis de rôles, de tâches et de responsabilités claires. Je souhaite qu’ESS France poursuive son action pour articuler, au bénéfice de toute l’ESS, le rôle des syndicats employeurs de l’ESS, les mouvements d’entreprises, les syndicats de salariés ou les think tanks qui contribuent à enrichir la réflexion intellectuelle sur nos modèles.  Je pense aussi que le rôle d’ESS France est de nous rapprocher des organisations syndicales salariés et bien sûr de l’Udes pour partager notre feuille de route et isoler des combats communs pour donner davantage de force à notre plaidoyer. 

 

Propos recueillis par Camille Dorival 

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