Aller au contenu principal
Par Carenews PRO - Publié le 27 juin 2023 - 14:11 - Mise à jour le 28 juin 2023 - 10:41 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Intelligence artificielle : « Il y a un risque de décrochage important pour l’ESS » (Thomas Edesa, Social Good Accelerator)

Comment l’économie sociale et solidaire s’approprie-t-elle l’intelligence artificielle ? Décryptage avec Thomas Edesa, responsable des programmes au Social Good Accelerator.

Thomas Edesa, chargé de programmes au Social Good Accelerator. Crédit : DR.
Thomas Edesa, chargé de programmes au Social Good Accelerator. Crédit : DR.

 

Thomas Edesa est responsable des programmes au Social Good Accelerator. Il s’agit d’un Think & Do Tank. Sa vocation : fédérer et mutualiser les ressources pour développer et soutenir l’Économie sociale et solidaire numérique en Europe.

 

  • L’économie sociale et solidaire s’est-elle suffisamment emparée de l’intelligence artificielle ?

 

Le monde de l’ESS ne s’en est pas plus emparé que le reste du monde économique. Je dirais même qu’il se l'approprie moins car les structures de l’ESS ont tendance à subir les changements plutôt qu’à y participer volontairement.

L’IA nécessite beaucoup de temps pour la comprendre, s’y mettre, se former. Aujourd’hui, la plupart des structures de l’ESS n’ont pas forcément ce temps. 

Comme les modèles économiques sont fragiles, il faut passer beaucoup de temps à chercher des financements, des relais de financement, à constituer des dossiers de candidature. Quand la majorité du temps est utilisée à cela, c’est compliqué de prendre en compte un nouvel outil.

J’ai réalisé un sondage sur Linkedin. La question était : Qui est-ce qui a déjà utilisé l’IA ? Seul un tiers des répondants l’utilise tous les jours. Et encore, j’ai sur mes réseaux des personnes qui sont plutôt très connectées. 

 

  • Qu’est-ce que l’IA peut apporter à l’ESS ? Du positif ou du négatif ?

 

Il y a évidemment du positif et du négatif. À priori, ce n’est pas un outil qui est fait pour tuer des gens, mais plutôt pour améliorer leurs vies. C’est donc plutôt un outil positif et favorable. 

Mais cela dépend de la manière dont on utilise l’outil : si l’objectif est de surveiller des gens qui réalisent des politiques publiques, ce ne sera pas la meilleure évolution pour l’ESS. Si maintenant, cela sert à gagner du temps pour mieux accompagner son public, c’est top.

 

  • N’existe-t-il pas un risque de créer un fossé encore plus important avec des entreprises classiques ?

 

Il y a un risque de décrochage important. Pour toutes les technologies, mais davantage pour l’IA, car cela va plus vite. 

La même chose a eu lieu dans les années 2000 avec la démocratisation d’internet et des ordinateurs individuels. À ce moment-là, internet est apparu pour le grand public, mais les pouvoirs publics et le secteur de l’ESS ne s’en sont pas saisis tout de suite.

Nous sommes en train de reproduire les mêmes erreurs. Il est déjà possible d’observer le décrochage en s’intéressant aux usages de l’IA qu’ont les grands groupes aujourd’hui. Ils font ce que l’ESS fera dans dix ans. 

 

  • Existe-il des solutions pour réduire ce fossé ?

 

Elles ne sont pas si évidentes. Il est possible pour les pouvoirs publics d’inciter. Ils peuvent financer des expérimentations, essayer de proposer des appels à manifestation d’intérêt, ou financer des associations comme la nôtre.

Après, cela appartient à chaque dirigeant de structure de s’intéresser au sujet, de venir à des webinaires. Mais c’est très dur de motiver des gens quand il n’y voient pas d'intérêt. 

 

  • En quoi l’IA peut-elle améliorer la mesure d’impact ?

 

Produire des rapports, mesurer l’efficacité de l’action nécessite une utilisation de la donnée. Cette mesure d’impact et ces données sont très importantes pour les politiques publiques, les structures de l’ESS et tout le domaine du care

L’intelligence artificielle traite et interprète mieux la donnée, car elle a une capacité de traitement très importante. L’IA, ce sont des algorithmes avec une capacité de calcul très supérieure à l’humain. Elle est capable de sortir des analyses et prédictions bien plus fines que celles qu’un chargé de mission est capable de faire.

Ensuite, l’IA est capable de croiser les données avec celles produites par d’autres structures du même secteur afin de les comparer. Cela peut pallier des lacunes de benchmark qui existent dans l’ESS en permettant la comparaison de choses comparables.  

 

  • En quoi l’intelligence artificielle peut-elle améliorer la réponse à un besoin social donné ?

 

Comme l’IA est en capacité de traiter d’énormes quantités de données, elle est capable de pointer du doigt un problème qui est sous-jacent, difficile à identifier par un humain. 

Après, il faut pondérer. L’IA ne remplace pas l’humain, surtout dans les métiers du care. Car l’intelligence artificielle ne fait pas preuve de sentiment, n’est pas capable de s'intéresser à un sujet, n’a pas d’envie particulière.

Cependant, elle est très efficace dans le traitement des données. En rentrant des données sur les besoins de 100 personnes, l’IA, de manière froide et neutre, sera capable de mettre en avant les besoins qui ressortent le plus. Là où l’humain va avoir des sentiments venant contrecarrer la réalité objective, elle va être neutre. La technologie possède cette capacité d'objectiver des choses grâce à cette analyse froide.

 

  • Quels types de solutions peut-on envisager que l’ESS produise grâce à l’IA ?

 

Il est possible d’en imaginer dans le domaine des prévisions du changement climatique et de l'éco-responsabilité. Une entreprise souhaite améliorer son impact environnemental. L’IA peut permettre de développer un logiciel de traitement très efficace de la donnée.

Par exemple, il va regarder les émissions de gaz à effet de serre et donner des pistes très concrètes pour les diminuer. 

Concernant la santé, l’Etat veut regrouper toutes les informations sur le site Mon espace santé. Si l’Etat l'autorise, ces données pourraient être traitées par de l’IA et donner des recommandations en termes de politiques de santé. 

 

  • En quoi l’IA peut améliorer les campagnes de financement notamment pour les associations ?

 

La recherche de financements oblige à remplir des appels à projets, des appels à manifestation d'intérêt. On passe beaucoup de temps à développer des idées pour répondre à ces appels. Alors que l’IA peut elle-même développer l’idée de base facilement. Cela permet de gagner énormément de temps. 

L’IA peut aider dans la stratégie d’appel de fonds. Elle est capable, à partir de stratégies d’autres structures, de donner des étapes clés. L’IA peut donner à un porteur de projet de l’ESS, en dix lignes, les dix fondamentaux pour une levée de fonds. 

Mais l’IA ne remplace pas l’humain. Quand on écrit un projet, on y met de l’envie, du cœur. L’IA ne peut pas reproduire cela. Cette part d’humain est minime, représente une page sur 100. Mais elle est essentielle, car c’est ce qui fait que la personne va accrocher au projet. 

 

  • Quels sont les dangers de l’IA pour l’ESS ?

 

Le risque est de penser qu’il s’agit d’une machine qui réfléchit par elle-même, ce qui n'est pas le cas. 

L’outil est capable de contrôler beaucoup de données et de générer des scénarios alternatifs. Il est donc possible de déstabiliser le secteur de l’ESS en s’en servant à mauvais escient. 

Après, l’IA utilise beaucoup de données venant du secteur de l’ESS. Elle n'invente rien, elle reprend des sources puisées pour les réutiliser. Chat GPT se base par exemple à 30 à 40 % de Wikipedia qui est un acteur encyclopédique, open knowledge. Ce rapport entre l’IA et les modèles économiques ouverts de l’ESS pose question. 

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer