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Par Carenews PRO - Publié le 14 mai 2024 - 14:00 - Mise à jour le 20 mai 2024 - 17:25 - Ecrit par : Célia Szymczak
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Paris 2024 : les personnes en situation de handicap vont-elles faire partie de la fête ?

L’accessibilité est loin d’être totale dans Paris et les villes hôtes des Jeux olympiques et paralympiques. Une situation que déplorent les associations représentant les personnes en situation de handicap.

L'accessibilité des transports, logements et établissements recevant du public est encore partielle en France. Crédits : Carenews.
L'accessibilité des transports, logements et établissements recevant du public est encore partielle en France. Crédits : Carenews.

 

 

« Paris 2024 n’est pas responsable de l’état d’inaccessibilité de la France », estime Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité universelle au sein de l’association APF France handicap. Du 26 juillet au 11 août, puis du 29 août au 8 septembre, des millions de visiteurs sont attendus à Paris et dans 73 collectivités pour les Jeux olympiques et paralympiques. 

Comment les organisateurs des Jeux se sont-ils mobilisés pour améliorer l’accessibilité pour les personnes ayant un handicap, qu’il soit moteur, auditif, visuel, sensoriel, mental, cognitif ou psychique ? Cette mobilisation a-t-elle été suffisante ? « Nous n’avons pas tout changé, nous n’avons pas résolu le problème de l’accessibilité, mais nous avons eu la chance de contribuer à une vraie évolution », estime Ludivine Munos, responsable de l’intégration paralympique pour Paris 2024 et elle-même ancienne athlète paralympique en natation. 

Des places faciles d’accès sont prévues pour les personnes en situation de handicap, ainsi que des places adaptées pour les personnes en fauteuil roulant. Mais cela ne suffit pas. 

 

Des mesures « palliatives » pour le transport 

 

Le transport est un enjeu fondamental. La question de l’accessibilité du métro parisien a fait grand bruit : seule la ligne 14 et les récents prolongements de certaines lignes sont accessibles. Toutes les lignes ne sont pas vocalisées pour les personnes aveugles et malvoyantes. 

Au-delà du métro, seuls 47 % des arrêts de transport collectif urbain en France étaient accessibles en 2022, selon une enquête réalisée par la Délégation ministérielle à l’accessibilité et le Cerema. La loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoyait pourtant que les transports collectifs soient accessibles en 2015. 

À Paris, les tramways ne sont pas toujours accessibles aux personnes malvoyantes, puisqu’il faut souvent traverser une partie de la chaussée pour y accéder. Les bus sont globalement accessibles pour les personnes en situation de handicap, selon Nicolas Mérille, avec une limite. « Une plateforme se déploie quand le bus arrive, mais elle ne fait pas l’objet d’une bonne maintenance, observe-t-il, et en première ou deuxième couronne, tous les arrêts ne sont pas accessibles ». 

Paris 2024 a donc mis en place une flotte de 1 000 taxis accessibles et des navettes dédiées aux personnes en fauteuil roulant. Celles-ci feront la liaison entre huit gares parisiennes et les sites de compétition. Par ailleurs, les personnes en situation de handicap pourront se faire déposer à l’intérieur de la « zone rouge » et quelques places de parking leur seront réservées. En tous cas, « ce sont des mesures palliatives », pour Nicolas Mérille, qui déplore un « héritage est très faible ». « La flotte de taxis est sous-dimensionnée », ajoute Fernando Pinto da Silva, de la Fédération des aveugles et amblyopes de France. 

 

100 millions d’euros pour les établissements recevant du public

 

Autre enjeu : le logement. 4 200 chambres sont accessibles aux personnes en situation de handicap en Île-de-France, d’après Nicolas Mérille. Mais Ludivine Munos n’est pas très inquiète. 280 000 billets ont été réservés aux personnes en situation de handicap et à leurs accompagnants, ils n’ont pas tous été vendus. Paris 2024 a échangé avec les opérateurs de tourisme, les a formés et sensibilisés. Les organisateurs des Jeux ont aussi accompagné Airbnb dans l’amélioration de son filtre d’accessibilité, précise Ludivine Munos. Elle raconte aussi effectuer des tests au hasard dans certains hôtels, et toujours trouver des chambres accessibles. 

Reste l’accessibilité des établissements recevant du public (ERP), dont font partie les restaurants, les commerces ou les salles d’exposition. Là encore, le bât blesse. Ils auraient dû être accessibles en 2015, suivant la loi de 2005. Ce n’est le cas que de la moitié d’entre eux environ - le délai pour la mise en accessibilité a été repoussé.   

 

Il aurait fallu que l’Etat agisse déjà depuis la loi de 2005.

Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité universelle pour APF France handicap

 

Un fonds d’accessibilité doté de 300 millions d’euros sur cinq ans a été créé par le gouvernement en novembre 2023. 100 millions devaient être mobilisés jusqu’à fin 2024, avec une priorité donnée aux établissements situés dans les communes hôtes des Jeux. « Il aurait fallu que l’État agisse déjà depuis la loi de 2005. Il débloque 100 millions parce qu’il y a les Jeux et qu’il faut mettre un peu de cosmétique », déplore Nicolas Mérille. Il appelle également à des mesures « répressives » pour les établissements qui ne respectent pas leurs obligations. 

 

Suivi des épreuves 

 

Qu’en-est-il de l’accessibilité numérique ? « Le sujet est compliqué, nous manquons de compétences en France du côté des développeurs informatiques », constate Ludivine Munos. Des formats HTML sont disponibles pour améliorer l’accessibilité numérique du site de la billetterie. Mais l'accessibilité n’a pas été pensée dès la conception des sites, selon Fernando Pinto da Silva, qui est expert du sujet. « C’est quand même dramatique qu’on ne pense pas l’accessibilité dès la conception, déplore-t-il, le format HTML c’est sans doute mieux que rien, mais ce n’est pas réellement inclusif ».

Un point positif : concernant les équipements neufs, comme l’Adidas Arena et le centre aquatique de Seine Saint-Denis, « certaines mesures ont dépassé la réglementation », salue Nicolas Mérille. Il évoque les fontaines à eau accessibles aux personnes à mobilité réduite dans le stade ou les zones d’aisance canine pour les chiens guides d’aveugle dans le centre aquatique. « Les sites rénovés l’ont été avec les plus hauts standards d'accessibilité », assure Ludivine Munos.

 

Au-delà des structures qui vont accueillir les Jeux, c’est important que les personnes en situation de handicap aient accès aux médias pour les informations sur le sujet »

Fernando Pinto da Silva, expert accessibilité numérique de la Fédération des aveugles et amblyopes de France

 

La Fédération des personnes aveugles et amblyopes de France promeut par ailleurs l’audiodescription des épreuves. Un projet visant à audiodécrire 460 heures d’épreuves, pour neuf sports paralympiques et six sports olympiques, est en place selon Ludivine Munos. « On aimerait aller un petit peu plus loin », souligne Fernando Pinto da Silva. « Au-delà des structures qui vont accueillir les Jeux, c’est important que les personnes en situation de handicap aient accès aux médias pour les informations sur le sujet », précise-t-il, alertant sur l’accessibilité des sites d’informations. D’autre part, les discours officiels et cérémonies seront traduits en langue des signes, mais ce ne sera pas le cas des épreuves sportives. 

 

Susciter un « électrochoc » ? 

 

Nicolas Mérille et Ludivine Munos sont en désaccord au sujet de l’héritage laissé par ces Jeux sur l’accessibilité. Le premier estime qu’il sera « très faible ». La seconde le mentionne plusieurs fois, au sujet par exemple des 1 000 taxis ou des centres sportifs. « Je crois profondément au changement de regard, nous avons sensibilisé de nombreux prestataires », note Ludivine Munos. « La loi a été votée il y a 19 ans et nous sommes encore à nous réjouir de la sensibilisation », lui répond Fernando Pinto da Silva. « Il va sans doute falloir aller au bout de la démarche avec des sanctions ». 

Ludivine Munos s’attend à un engouement important pour les Jeux paralympiques. « 24 millions de personnes ont regardé les Jeux paralympiques de Tokyo depuis la France, avance-t-elle, nous allons le vivre de manière encore plus grande puisque les Jeux se déroulent chez nous ». Cela favoriserait selon elle un changement de regard sur le handicap. Nicolas Mérille en doute. « Le grand public connaît très mal les questions relatives au handicap, il y a un faible engouement pour les Jeux paralympiques », considère-t-il. 

« On voit une mobilisation de toutes les parties prenantes », salue-t-il toutefois. « Ces jeux peuvent être un non-échec - et tant mieux ! -, mais nous souhaitons qu’ils créent un électrochoc, montrent la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, poursuit-il, pour illustrer le fait que ces personnes n’ont pas le choix de leur médecin, de leur cinéma, de leur mode de transport, de leur restaurant ». Il parle de « maltraitance » par l’État, et d’un « apartheid social, d’une ségrégation qui ne dit pas son nom ». Il rappelle la condamnation de la France par le Conseil de l'Europe pour violation des droits des personnes en situation de handicap. 

 

Célia Szymczak 

 

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