Philippe Perrault (La Macif) : « Notre fonctionnement mutualiste pourrait apporter des réponses en santé et pouvoir d’achat »

• Comment êtes-vous devenu président de La Macif après avoir été sociétaire ? 

Nous ne pouvons pas être représentants de sociétaires, sans être sociétaires. Je suis assuré à La Macif depuis 1977. Je venais d'acquérir ma première voiture. Je travaillais dans l’entreprise de La Française de Mécanique à Douvrin (Hauts-de-France), mes collègues m'ont dit d'adhérer à cette mutuelle pour assurer mes biens. J’ai découvert qu’on pouvait également participer à la mise en place de sa stratégie. Ensuite, j’ai eu une proposition pour devenir représentant de sociétaires dans ma région. 

J’ai accepté par conviction et engagement pour participer à une démarche de solidarité pour les sociétaires les plus fragiles. J’ai été délégué régional du Nord-Pas-de-Calais à l’époque. Puis, dans les années 90, je suis devenu administrateur et président de la région Nord-Pas-de-Calais où j’ai représenté le conseil d’administration.

Le président d’alors m’a demandé de devenir vice-président national. Je me suis occupé de l'engagement mutualiste. C’est-à-dire l’engagement auprès de nos sociétaires en termes de solidarité, d’habitat, etc. 

Quand La Macif s’est rapprochée de la mutuelle Aésio en 2021, pour fonder le Groupe Aéma, il y a eu une répartition des rôles et je suis devenu président de l’entité La Macif. Pascal Michard, quant à lui, est devenu le président du nouveau Aéma Groupe. 

• Quelles sont les spécificités du modèle démocratique mutualiste ? 

Nous sommes des représentants élus par des sociétaires tous les quatre ans. L’année dernière, nous avons renouvelé nos délégués de sociétaires répartis sur toute la France. Il existe plusieurs scrutins à différents niveaux : les sociétaires élisent 201 délégués nationaux et plus de 900 délégués de proximité. Ces 201 délégués nationaux élisent ensuite les 21 administrateurs en assemblée générale. Parmi ces derniers, est élu le bureau dont le président et les vice-présidents. J’ai donc été renouvelé d’abord comme délégué, puis comme président par le conseil d'administration.

Les délégués nationaux donnent quitus sur le travail accompli et sur les engagements pour les trois prochaines années, qui sont la jeunesse, la solidarité et les publics fragiles, et l'environnement. Nous nous inscrivons dans une démocratie représentative et participative. Aux dernières élections, en mai 2021, sur les 5,6 millions de sociétaires, nous avons eu près d’un million de votants, soit 15 % de participation. Pour une élection privée au sein d'une entreprise, c’est un très bon résultat, meilleur que celui de 2019. Deuxième élément important, les sociétaires ont pu participer à la redéfinition de la raison d’être de l’entreprise « (...) protéger le présent et permettre l'avenir, pour nous tous et les générations futures », grâce à une grande consultation de nos sociétaires, délégués et salariés en 2020.   

Pour définir notre nouveau territoire de marque, nous l’avons fait avec l’aide d’une plateforme où les sociétaires, élus et salariés ont participé à la nouvelle signature « La Macif, c’est vous ». Nous avons même proposé à des sociétaires d’incarner nos publicités en témoignant.  

• Quels sont les enjeux du rapprochement des mutuelles La Macif et Aésio (Aéma Groupe) pour le secteur des mutuelles ? 

Il y a eu effectivement un regroupement, en association des deux mutuelles depuis janvier 2021. C’est important que chaque mutuelle préserve son identité. La Macif est régie par le code des assurances. La mutuelle Aésio, fusion de trois mutuelles interprofessionnelles, est régie par le code de la mutualité. Nous sommes différentes et complémentaires. La Macif apporte son expertise en assurance de biens et de gestion d’assurance-vie. Et Aésio, son expertise en santé-prévoyance, au niveau collectif ou individuel.

Nous mettons en commun toutes nos compétences au service de la réponse à apporter à nos sociétaires et adhérents. D’autant plus maintenant avec l’acquisition de Aviva France devenue Abeille Assurances, nous apportons une réponse à 360 degrés à nos sociétaires. 

Aéma Groupe nous permet de peser dans le paysage mutualiste français. Il représente près de 11,5 millions d’assurés (entre les trois marques). Notre modèle démocratique nous confère du poids pour représenter la société qui s’exprime dans nos élections.  Lors des dernières élections (présidentielle et législative) nous avons publié un livret avec nos propositions à l’attention des candidats. Nous avons proposé des réponses par exemple à la problématique de l’accès aux soins, au débat sur la Grande Sécu et au 100 % Santé. 

Pour la question du pouvoir d’achat, nous travaillons avec Bercy sur la libéralisation des pièces détachées des véhicules pour réduire la facture des assurés. Autre exemple, pour l’assurance emprunteur, nous avons fait pression pour que l’assuré puisse en changer quand il le souhaite.  

• Votre mutuelle prend de nouveaux engagements. Comment se traduit ce mécénat ?

En 2021, nous avons privilégié la jeunesse. Pendant la période du covid, nous avons accompagné les jeunes dans le cadre de la précarité étudiante, à hauteur de 100 millions d’euros. Nous avons permis d’organiser, via les associations partenaires implantées dans les régions, des distributions de paniers alimentaires. Il y a eu le Parlement des jeunes en décembre dernier. Ils ont ainsi pu s’exprimer dans le cadre de la campagne électorale. 

En 2022/ 2023, nous allons nous concentrer sur les publics fragiles et l’environnement et le climat. Nous participons à l'expérience de Jean-Louis Etienne et sommes mécènes de Polar Pod. Son ambition est de mesurer le changement climatique à travers les mers australes. Il s'agit d’un projet pédagogique. Les résultats seront diffusés auprès des jeunes pour les sensibiliser. Dans nos territoires, via les Cafés mutualistes, nous ferons intervenir des experts sur le sujet lors de rencontres avec nos sociétaires. 

• Quel est le bilan à date du fonds Macif impact ESS ? 

C’est un fonds qui a été créé en décembre 2020, doté de 20 millions d'euros. Il est destiné à financer des structures de l'économie sociale et des entreprises ESUS qui ont des objectifs à fort impact social. Nous travaillons avec notre fondation pour sélectionner des projets innovants. Quand elle ne peut plus les financer, nous prenons le relais via ce fonds, car il y a un fort impact social. 

Nous avons déjà investi trois millions d’euros d’une part autour de l'habitat (La Foncière Chênelet, Habitat & Humanisme, et Résidsocial). Dans le cadre de la crise covid, nous avons aussi financé le plan de Relève Solidaire de France Active pour accompagner les entreprises de l’ESS. 

Autre investissement, le développement de la société Titi Floris, spécialisée dans le transport et l’accompagnement de personnes en situation de handicap sur le secteur du Grand Ouest. Enfin, nous accompagnons toujours le réseau d’associations Crésus qui lutte contre le surendettement et l’exclusion financière des ménages. 

Ce fonds fait partie d'investissements plus globaux orientés sur la RSE, l’ESG pour un budget de 275 millions. 

• Quelle est votre vision sur la place des mutuelles dans la société aujourd’hui ? Pensez-vous que l’ESS est un modèle pour les défis de demain? 

Les mutuelles sont une des grandes familles de l’ESS. L’économie sociale et solidaire est une réponse aux maux que nous traversons. Quand on parle des mutuelles, on pense « réparation » alors que ce n’est pas tout, surtout en cette période de crise. La Macif comme mutuelle engagée intervient principalement sur les problématiques sociétales d’aujourd’hui. Nous sommes en capacité d'innover, comme la création de la prestation solidarité chômage récemment.

Notre fonctionnement mutualiste devrait inspirer les pouvoirs publics, notamment dans les réponses en santé et au pouvoir d’achat. L’ESS a vraiment sa place dans la société en général et l’économie en particulier. 

Christina Diego