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Par Carenews PRO - Publié le 13 mai 2022 - 16:00 - Mise à jour le 21 juillet 2022 - 11:32 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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Phitrust : le fonds engagé qui défie les grandes entreprises

Le fonds d’impact investing Phitrust s'est fait entendre récemment lors des assemblées générales des groupes Stellantis et Danone sur des questions de gouvernance. Un mode opératoire qui est sa marque de fabrique. Interview de Denis Branche, qui a fondé Phitrust et qui en est le directeur général délégué.

Denis Branche, directeur général délégué de Phitrust. Crédit : Phitrust.
Denis Branche, directeur général délégué de Phitrust. Crédit : Phitrust.

 

Phitrust a fait du bruit ces dernières semaines lors d’assemblées générales de grands groupes. La société de gestion d’impact investing a critiqué ouvertement la rémunération du directeur général de Stellantis, Carlos Tavares, et a annoncé voter contre la résolution consultative à ce propos. Phitrust a calculé que son salaire s’élève à 66 millions d’euros au titre de l’exercice 2021. Lors de l’assemblée générale de Danone, la société de gestion a fait inscrire une résolution, avec d'autres actionnaires, qui a été adoptée sur le rôle du président d’honneur. 

Ce mode opératoire n’est pas nouveau pour ce fonds engagé, agréé par l’AMF en 1999. En tant qu’actionnaire, il considère que son rôle est d’agir par le dialogue dans un premier temps. Parfois, dans un second, par l’opposition en s’exprimant lors des assemblées générales. Son approche ESG est assez inédite pour cette méthode, mais également parce que le fonds s’intéresse en premier lieu à la question de la gouvernance, nécessaire pour faire évoluer tout le reste. En parallèle, Phitrust finance et accompagne des entreprises sociales dans leurs changements d’échelle pour démultiplier leurs impacts.

Nous sommes revenus sur ces actualités, mais aussi sur cette approche singulière avec Denis Branche, directeur général délégué et gérant.

 

  • Pouvez-vous nous expliquer cette manière d’opérer auprès des entreprises cotées propre à Phitrust ?

Notre manière d’opérer est d’ouvrir un dialogue avec le premier dirigeant de l’entreprise et d'essayer de voir quels sont les points d’accord et de désaccord. En cas de désaccord, ces sujets peuvent être portés en assemblée générale. Il existe alors différentes manières légales de porter le sujet : en posant des questions écrites ou orales mais surtout en déposant des résolutions. Phitrust est connu pour cela puisque nous avons déposé 50 résolutions depuis 2000. C’est très contraignant de déposer une résolution en France mais cela permet de pousser le dialogue, d’avertir les actionnaires.

 

  • Pouvez-vous revenir sur la résolution déposée chez Danone ?

On a présenté une résolution sur le rôle du président d’honneur et ses fonctions. Notre résolution a obtenu 59,4 %. Cela a permis de faire modifier le règlement intérieur du conseil d’administration et de consolider la gouvernance de Danone, une gouvernance qui était en train de changer complètement.

Quelle que soit la rémunération effective, nous avons fait notre travail d’actionnaire", Denis Branche, directeur général délégué de Phitrust.

 

  • Et sur le cas Stellantis ?

Au moment où on a eu tous les éléments fournis par la société, on a découvert que le salaire versé au directeur général, Carlos Tavares, était le plus élevé jamais versé à un dirigeant de société du CAC40.  En Assemblée Générale, la résolution sur la rémunération des dirigeants a fait l’objet d’un vote négatif à 52 %, Comme en droit néerlandais le vote de ce type de résolution est non-contraignant, le Conseil de Stellantis a reporté le sujet à 2023,  au moment où ils déclareront ce qui a été effectivement versé à leur Directeur Général. Quelle que soit la rémunération effective, nous avons fait notre travail d’actionnaire.

 

  • Chez Phitrust, vous considérez que l’actionnaire est devenu un investisseur qui ne se préoccupe plus guère de l’entreprise. Pourquoi ?

Cette tendance est due à à la forte libéralisation sans contrepartie de contrôle des marchés de capitaux durant les années 80 qui a développé cette logique de take the money and run, c’est-à-dire de “je viens, je fais une plus-value et je m’en vais”. Il s’agit d’une attitude d’investisseur ou de trader avec une vision de court terme. De notre côté, nous disons que nous sommes actionnaires, avec une responsabilité vis-à-vis des personnes qui nous confient l’argent mais aussi de l’entreprise. Nous sommes un acteur de l’entreprise, une partie prenante et de fait, nous avons une responsabilité. Il ne faut pas investir dans une société en se disant que je vais regarder le temps qui s’écoule de manière passive. Le rôle de l'actionnaire est aussi de réfléchir avec les instances sociales de la société et de les challenger : nous remarquons telle chose, nous ne comprenons pas ou ne sommes pas d’accord avec telle autre. On peut demander de donner plus de précisions, d’explications. L’investisseur long assume ses responsabilités et les risques qu’il prend en restant actionnaire : nous militons pour qu’il utilise les droits dont il dispose.

 

  • Pourquoi ce mode opératoire est-il le meilleur pour changer l’économie ?

C’est le seul mode opératoire légal. Nous n’allons pas casser la vitrine de LVMH avec des pavés si nous ne sommes pas contents de la rémunération du dirigeant. C’est ça le sujet : l’actionnaire a des droits, beaucoup de droits, qu’il exerce en assemblée générale et qu’il ne peut pas exercer autrement.

S’il n’y a pas de gouvernance équilibrée, notamment un conseil d’administration avec des personnalités capables de faire valoir des points de vue contradictoires, les autres sujets ne peuvent pas être traités", Denis Branche, directeur général délégué de Phitrust .

  • Vous vous intéressez particulièrement à la gouvernance des entreprises. Pourquoi ?

La gouvernance, qui apparait comme un sujet différent de  de l’environnement et le social, est en fait le point central, stratégique. Nous nous demandons si la gouvernance permet de prendre les décisions stratégiques liées aux problématiques sociales et environnementales. S’il n’y a pas de gouvernance équilibrée, notamment un conseil d’administration avec des personnalités capables de faire valoir des points de vue contradictoires, les autres sujets ne peuvent pas être traités. C’est notre spécificité : notre première analyse porte toujours sur la gouvernance et c’est sur elle que nous focalisons notre action.

 

  • Pourriez-vous également vous opposer directement sur des thématiques environnementales ou sociales ?

On l’a déjà fait chez Total en 2011. Nous avions déposé une résolution sur les sables bitumineux. C’est à cette occasion que nous avons expérimenté le fait que les sujets environnementaux ne peuvent être séparés de la gouvernance. Il en est de même pour le social, impacté par la transformation de l’entreprise dans le domaine environnemental qui va avoir un impact sur les compétences nécessaires et donc le recrutement ou le licenciement des personnes. C’est un tout : nous ne segmentons pas et donc nous ne sommes pas concentrés sur l’environnement en tant que tel. C’est un sujet central mais qui fait partie de l’ensemble de la transition que doivent faire les entreprises.

 

  • Vous considérez-vous comme activiste ?

Certains disent que nous sommes des activistes responsables. Même si le terme a une connotation négative. Il y a un problème de sémantique parce que nous sommes obligés de rajouter un adjectif au mot actionnaire pour comprendre ce que l'on fait.

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

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