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Par Carenews PRO - Publié le 9 mars 2022 - 11:02 - Mise à jour le 21 juillet 2022 - 11:35 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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Thierry Sibieude : « Tous ces gens qui disent faire de l’impact du jour au lendemain, cela me parait difficile ! »

Thierry Sibieude est professeur à l’ESSEC Business School. Il est spécialiste des questions d’impact et d’entrepreneuriat social. D’ailleurs, il a cofondé en 2002 la chaire d’entrepreneuriat social. Entreprises à mission, ESS, finance solidaire… Nous avons évoqué avec lui les grandes tendances de ce champ en perpétuelle évolution.

T.Sibieude, professeur à l'ESSEC Business School. Source : Carenews.
T.Sibieude, professeur à l'ESSEC Business School. Source : Carenews.
Top 50 de l'entrepreneuriat à impact 2021
Cet article est issu du Top 50 de l’entrepreneuriat à impact 2021. Initié par Carenews, piloté par HAATCH et l'ESSEC et soutenu par BNP Paribas, ce classement dévoile les 50 structures (entreprises, associations, coopératives) les plus impactantes de 2021. Découvrez le détail de la deuxième édition du Top 50 et ses lauréats dans le livre de 136 pages qui présente la méthodologie, les critères d'évaluation, les portraits, les chiffres, les analyses et dossiers de fond sur les réseaux de l'ESS ou la mesure d'impact.
  • Depuis un an, quelles évolutions avez-vous pu percevoir concernant l’impact ?

Il y a eu une confirmation de tendance. Ces enjeux sont de plus en plus présents dans le débat, dans les préoccupations affichées des entreprises et j’espère dans leurs actions. Un risque commence à émerger : celui du galvaudage de la notion d’impact. À force de le mettre à tort et à travers, on finit par le vider de son sens. 

 

  • Les débats qui émergent autour du périmètre de l’économie sociale et solidaire sont-ils légitimes ?

Les périmètres réglementaires sont ce qu’ils sont. Ils sont définis par la loi. Après, il va être intéressant et nécessaire de structurer l’engagement croissant d’un certain nombre d’organisations dont la finalité est au service d’activités à impact. Et là, il y a une démarche contradictoire. D’un côté, on a envie que le maximum d’entreprises s’engage pour œuvrer à une transformation juste de la société, mais de l’autre, n’importe quelle entreprise peut dire avec n’importe quelle petite action qu’elle fait de la transformation juste et durable. Il va falloir gérer la contradiction. Pour cela, il ne faut pas que les acteurs historiques se replient sur eux en disant qu'il n’y a qu'eux qui sont purs et que tous les autres sont des imposteurs. De l’autre côté, il ne faut pas que tout le monde puisse dire qu’il fait de l’impact.

 

  • Observez-vous cette usurpation de la notion d’impact que vous évoquez ?

On observe une augmentation importante et subite du nombre de gens qui disent faire de l’impact. Or, pour en faire, il faut réunir un certain nombre de conditions. Il y a notamment un enjeu autour de la balance entre impact et rendement financier. Donc tous ces gens qui disent faire de l’impact du jour au lendemain… Ça me parait difficile.

 

  • Comment se protéger de l’usurpation ? 

En étant très strict sur un certain nombre de conditions, notamment par rapport à l’évaluation et à la preuve. Quelles preuves et quels éléments de réalité celles et ceux qui se revendiquent de l’impact sont ils en capacité d’apporter ? 

 

  • L’année 2021 a été charnière pour les sociétés à mission. Quel bilan tirez-vous ?

Les sociétés à mission sont un pari audacieux sur l’intelligence collective. C’est un bon outil, s’il est bien utilisé, pour favoriser des activités dont l’impact sera maximal sur le plan social ou environnemental. Maintenant, c’est comme tous les outils : si vous l’utilisez mal, ce n’est pas sûr que ça marche.

 

  • Il est donc possible de mal utiliser l’outil « société à mission » ?

Bien sûr ! Vous pouvez très bien vous revendiquer entreprise à mission et vous contenter de faire de la communication sans que cela ne change rien à vos pratiques. Vous pouvez très bien afficher une très belle politique RSE et ne rien faire. C’est vieux comme le monde. L’entreprise peut aussi être soucieuse et vigilante sur une partie de son activité, mais pas sur le reste. L’exemple serait une entreprise exemplaire en France, mais qui s'autoriserait des comportements différents dans d'autres pays.

 

  • Serait-ce positif que toutes les entreprises soient à mission dans 10 ans ?

Si toutes les entreprises étaient à mission avec le dispositif de suivi et d’évaluation de leurs performances environnementales, avec un reporting de même nature que celui qui est fait dans le domaine financier, appliqué à l’extra financier, ce serait très bien. S’il n’y a pas de cadre de référence, de langage commun, forcément ça partira dans tous les sens. Il y aurait, à ce moment-là, un galvaudage et un dévoiement du terme de mission.

 

  • Comprenez-vous que ces entreprises à mission inquiètent des acteurs historiques de l’ESS qui ont l’impression qu’on leur  « vole la vedette » ?

C’est l’éternel problème de la nouveauté. Nous avons toujours l’impression que le nouveau a plus d’attrait. Si c’est cela, je trouve ça idiot. Si le fait d’être à mission permet la prise en compte de questions pour lesquelles les acteurs historiques se battent depuis longtemps, tant mieux. En revanche, si ces nouveaux acteurs veulent juste pour prendre la lumière tout en continuant de faire ce qu’ils faisaient, avant alors les acteurs historiques auront raison de ne pas être contents.

 

  • Cette année, la plateforme Impact a été lancée pour rendre publiques les performances ESG. Comment voyez-vous l’arrivée d’un tel dispositif ?

C’est une très bonne chose que les pouvoirs publics aient créé un dispositif dans lequel on retrouve l’ensemble des données ESG. Il sera nécessaire à l’évaluation de l’impact des entreprises dans un deuxième temps. Après, il faut inciter les acteurs à nourrir et alimenter cette plateforme. Et là, le travail de pédagogie n’a pas été suffisamment fait. Ça ne va pas se faire naturellement. Sur cette question, un vrai travail d’acculturation des acteurs est nécessaire. 

 

  • La France a pris la présidence de l’Union européenne en janvier. Peut-elle être une locomotive sur l’économie sociale ?

La France a toujours été en avance sur ces questions d’ESS. Le mouvement mutualiste ou coopératif y est très fort depuis longtemps. Avec cette présidence, il y a des opportunités. À condition de ne pas se limiter à des actions de court terme. C’est le risque de la politique, car un ministre a une durée de vie de 2 ans maximum durant lesquels il doit essayer de marquer les esprits. Malheureusement, l’impact oblige à réfléchir au moyen et au long terme ce qui n’est pas forcément compatible avec l’agenda politique.

 

  • Se passe-t-il quelque chose du côté de la finance solidaire et verte ?

Les travaux n’ont jamais été aussi nombreux sur cette question donc c'est plutôt une bonne nouvelle. Après, nous sommes aux prémices.  Nous observons un vrai effort pour construire des bases solides, mais nous sommes loin d'être rendus. Aujourd’hui, même si l’investissement à impact gagne plus de 50 % d’une année sur l’autre, il reste inférieur à 1% des actifs sous gestion… Il y a encore des marges de manœuvre.

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

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