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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 14 mars 2024 - 17:59 - Mise à jour le 14 mars 2024 - 17:59
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[INTERVIEW] Elsa Bouneau (Fondation Petits frères des pauvres) : les personnes âgées précaires, un enjeu social majeur

L’isolement, la solitude, la précarité des personnes âgée n’apparaissent pas aujourd’hui comme une préoccupation majeure pour les gouvernants. Certes, des dispositifs d’aides existent, mais ils ne sont pas en capacité de répondre aux multiples problèmes individuels rencontrés sur le terrain. Il faut un travail attentif, adapté aux personnes concernées nécessitant du temps et de l’attention. C’est un des rôles des acteurs de la philanthropie que faire face quotidiennement tout en sachant que devant l’ampleur du problème ils ne pourront pas tout faire. La Fondation des Petits Frères des Pauvres est une des rares fondation qui s’engage sur les deux champs âge et précarité. Échange avec Elsa Bouneau, sa directrice.

 

[INTERVIEW] Elsa Bouneau, Fondation Petits frères des pauvres. Crédit photo : DR.
[INTERVIEW] Elsa Bouneau, Fondation Petits frères des pauvres. Crédit photo : DR.

Un dispositif d’intervention très élaboré

  • Elsa Bouneau, vous être la directrice de Fondation des Petits Frères des Pauvres. La fondation s’inscrit dans le dispositif des différentes entités des Petits Frères des Pauvres. 

 

 

Effectivement dans l’écosystème des Petits Frères des Pauvres, il y a trois entités principales : 

    • l’Association Petits Frères des Pauvres qui a été fondée en 1946. Elle assure globalement le             plaidoyer et l’accompagnement quotidien des personnes âgées isolées et précaires. 
    • La Fondation des Petits Frères des Pauvres, reconnue d’utilité publique et abritante, issue de la transformation de la Fondation Bersabée existant depuis 1977 : elle est à la fois opératrice et distributrice. Elle gère un patrimoine immobilier de logements sociaux, soit individuels dans lesquels elle loge des personnes qui vivent seules dans des appartements diffus implantés dans des copropriétés « normales » ou dans établissement d’hébergement ou de logements (pensions de famille…) dont nous sommes seul propriétaire. Son deuxième métier est celui de la collecte et de la distribution de fonds. 
    • l’Association de gestion des établissements des Petits Frères des Pauvres. Elle gère les établissements d’hébergement et de logements collectifs (propriétés de la Fondation) et les maisons de vacances, avec la présence de travailleurs sociaux, de directeurs d’établissements, etc. Elle prend en charge l’accompagnement social, loge les publics qui ont besoin de vivre dans des immeubles collectifs. Elle gère aussi des lieux de vacances où les ainés peuvent être accueillis pendant quelques jours dans le cadre de séjours vacances organisés par des bénévoles de l’Association Petits Frères des Pauvres. 

Un changement de statut original

  • Vous nous avez évoqué le début avec la fondation Bersabée qui s’est transformée en Fondation des Petits Frères des Pauvres. Quel a été le chemin ?

 

Le chemin fut le suivant : dans les années 1970, il y a eu de gros enjeux autour des centres anciens. Le public accompagné par l’Association Petits Frères des Pauvres risquait la délocalisation. On allait le faire sortir des centres-villes parce qu’ils n’avaient plus les moyens et les envoyer aux marges de la ville. À ce moment, l’association s’est dit qu’elle allait acheter du patrimoine immobilier pour leur permettre de rester en cœur de ville à proximité de leurs commerces, de leurs activités, leur réseau social. Il y a donc eu cette volonté initiale. Pour gérer ce patrimoine immobilier, l’Association a créé une fondation reconnue d'utilité publique, la Fondation Bersabée. Des legs immobiliers sont venus étoffer le parc de logements. En 2000, il a été imaginé que la fondation pourrait avoir une action plus large et puisse devenir abritante. Cette fondation Bersabée a donc alors été transformée en Fondation des Petits Frères des Pauvres, le patrimoine et la mission de l’ancienne fondation a permis de créer la 1re fondation abritée par la fondation abritante des Petits Frères des Pauvres. Elle abrite aujourd’hui 16 fondations dont la fondation historique. 

Âge, dénuement, solitude, lutter contre un désastre social

  • Pour revenir aux origines, quels sont les buts et les objectifs de l’Association qui a été créée en 1946, quel est le périmètre de son action ? 

 

L’Association Les Petits Frères des Pauvres accompagne des publics de personnes âgées en situation d’isolement et de précarité, historiquement des personnes de plus de 75 ans. C’était le seuil en dessous duquel on n’intervenait pas. Face à une précarisation galopante, nous nous sommes rendu compte que des publics ont pu avoir des parcours d’errance, de rue, et que le seuil d’âge n’est plus le bon. Pour ces publics isolées et précaires aux parcours erratiques, nous les accompagnons à partir de 50 ans et en logeons un certain nombre dans nos établissements ou en diffus. 

 

  • Cela représente beaucoup de monde.

 

Déjà aujourd’hui, mais encore plus demain cela fera énormément de monde. Nous sommes dans un véritable boom démographique et un boom de précarité galopante qui font que nous avons de plus en plus de personnes âgées, de plus en plus pauvres et par ricochet de plus en plus isolées aussi. Nous sommes en face d’une montagne devant nous. Nous nous inquiétons que les pouvoirs publics n’en prennent pas la mesure, et nous savons aussi que seuls nous ne pourrons pas y faire face. L'enjeu est énorme.

 

  • On lit dans la dernière publication de la Fondation de France sur les personnes isolées, qu’elles représentent 11% de la population. Les chiffres augmentent tous les ans avec des personnes qui sont totalement seules. Elles ne sont certainement pas toutes précaires, mais la solitude peut aussi représenter un facteur de précarité parce qu’elles ne peuvent s’appuyer sur personne.

 

Tout à fait. L'isolement va entraîner une forme de mort sociale. Qui dit mort sociale dit aussi déconnexion avec les services publics, avec la santé, etc. Il y a un enchaînement qui fait que la dégradation va s’installer de manière croissante. 

 

  • Dans l’ensemble de votre dispositif, combien de personnes cela concerne-t-il aujourd’hui ?

 

L’association, grâce à plus de 15 000 bénévoles, accompagne 30 000 personnes, certaines régulièrement et d’autres ponctuellement lors de séjours, repas de Noël…

Mettre des logements à disposition et fournir un accompagnement très proche des besoins

  • Quand vous dites que l’association accompagne, quelle est la forme de cet accompagnement en pratique ? Comment l’association intervient-elle pour recréer du lien social ? 

 

 

L’association recrée du lien social, grâce à ses bénévoles qui visitent les personnes à domicile, mais aussi à l’hôpital, en Ehpad, voire en prison ! Les équipes organisent de nombreuses activités collectives pour ceux qui en manqueraient et pour les plus les plus isolés et précaires, elle peut les emmener en vacances. Si cela s’avère nécessaire, elle peut aussi organiser une réorientation vers du logement plus digne, grâce au parc de logements de la Fondation ou d’autres opérateurs. Les bénévoles sont épaulés par des salariés.

 

  • Avez-vous beaucoup de logements à disposition ?

 

La fondation est propriétaire de plus de 650 logements en diffus ou en établissements. Nous avons aussi un dispositif d’intermédiation locative qui nous permet de mobiliser des logements chez certains bailleurs sociaux.

 

  • Je suppose que le turnover ne doit pas être très grand ?

 

Comme nous avons des publics âgés, il y a un turnover. Certaines personnes arrivent parfois à rentrer dans un logement du parc social, et d’autres peuvent décéder. Il y a donc un peu de rotation. 

 

  • Le logement que vous procurez est-il du logement collectif ? Êtes-vous propriétaires d’immeubles ou disposez-vous plutôt d’appartements ici et là ? 

 

Nous avons environ 250 logements qui se trouvent dans des immeubles collectifs, des résidences sociales, des pensions de famille que nous destinons plutôt à des personnes qui ont eu des parcours socialement plus difficiles. Nous avons également du logement classique dont nous avons hérité, qui nous a été donné ou que nous avons acheté. Il s’agit là de petits logements individuels en copropriété mis en location à tarif très social.

 

  • Comment les gens paient-ils ? 

 

Les aides sociales financent une partie du loyer et les locataires règlent eux même le très faible reste à charge. 

 

  • Quelle est votre part ?

 

Nous fournissons le logement tout à fait normal avec une gestion locative adaptée proposé à tarif très social, de l’ordre de 300 euros avec des baux tout à fait classiques, en 3-6-9 ans. 

Des bénévoles en action

  • Comment se passe la partie accompagnement ? 

 

Ce sont les bénévoles de l’association qui font cela. Des équipes de salariés les appuient, elles sont organisées régionalement et territorialement. Au niveau du territoire, les demandes d’intervention vont se faire à travers des réseaux d’affinité, comme les CCAS. Ils observent, par exemple, que Madame Dupont est veuve, vit seule et n’a pas de contacts. Ils vont se retourner vers l’Association. Si la personne remplit nos critères (âge, isolement, ressources), un·e bénévole va être désigné·e pour passer du temps avec elle et éventuellement proposer une activité, par exemple deux heures le mercredi après-midi puis la ramener vers des activités collectives, comme le repas de Noël, des jeux de cartes ou autres afin de recréer ce lien. Cela permet d’identifier s’il existe des besoins qui ne seraient plus pourvus pour la remettre dans les rails de l’accès aux droits. L’idée est vraiment d’assurer une présence humaine fraternelle et gratuite. Bien sûr, il ne s’agit pas de services d’aides à domicile. On parle ici seulement de lien social.

 

  • Vous avez mentionné l’activité des bénévoles avec des équipes départementales ou régionales. Avez-vous des bureaux dans toutes les régions ?

 

Oui, l’association est organisée autour de « fraternités régionales » avec une présidente ou un président et une directrice ou un directeur qui fonctionnent avec une équipe de salariés et qui sont implantées à Toulouse, à Marseille, à Lyon, à Bordeaux… Ces fraternités irradient sur un territoire qu’elles maîtrisent mieux que depuis Paris. Aujourd’hui, il existe plus de 350 groupes locaux sur le territoire y compris en Martinique, Guadeloupe, à Saint-Martin… Les Petits frères des Pauvres sont implantés dans une vingtaine de pays avec des associations affiliées à la fédération internationale ou à des partenaires.

 

  • Quel est précisément votre travail ?

 

La Fondation des Petits Frères des Pauvres a deux services autour de l’immobilier : un service de gestion locative qui crée et gère les baux, encaisse les loyers, fait les états des lieux des entrées et des sorties et accompagne les locataires et un service immobilier qui assure l’entretien du patrimoine et le développement des nouveaux projets immobiliers. 

 

  • La Fondation a-t-elle aussi ses propres programmes ?

 

Effectivement. Il y a un autre volet dans notre action, soutenu par la collecte auprès des grands donateurs. Tout ce qui est collecté par la Fondation est redistribué à l’euro près dans le cadre de programmes qui sont pilotés par le Pôle Projets et fondations abritées. Nous gérons quatre grands programmes : l’habitat, la santé (avec la fin de vie, l’accès au soin, les maladies neuro-dégénératives…), la culture, le « Mieux vivre » et nous apportons aussi des aides matérielles.

 

  • Ce sont des programmes qui vous sont propres et ils ne sont pas obligatoirement destinés aux Petits Frères des Pauvres ? 

 

Effectivement, ce sont des programmes qui nous sont propres. Globalement, sur la collecte que nous recevons, nous distribuons un peu moins de la moitié à l’écosystème Petits Frères et l’autre moitié à plus d’une centaine d’autres associations. Le budget des projets soutenus est de l’ordre de 4 millions d’euros par an.

Construire les projets dans la durée avec les récipiendaires pour être au plus proche des besoins

  • Pour les associations que vous soutenez, vous avez une forme de co-construction avec elles. Ce ne sont plus des appels à projets ? 

 

Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est de la co-construction. Nous mettons en place des appels à projets classiques, mais il est vrai que nous travaillons assez étroitement avec les porteurs de projets, en particulier sur l’appel à projets sur l’habitat partagé qui a été reconduit cette année avec une enveloppe de 750 000 euros. 

Lors de la remise des prix, nous avons réuni durant une journée tous les lauréats pour qu’ils partagent un moment de montée en compétence collective, d’identification des difficultés que les uns ou les autres auraient pu rencontrer. L’idée était aussi de pouvoir les faire se rencontrer, échanger, et qu’ils puissent « benchmarker » entre eux pour s’éviter de tomber dans des pièges que les autres auraient déjà rencontrés. 

Nous allouons une partie de l’appel à projets sur l’investissement et une autre partie sur l’ingénierie pour aider les associations sur des projets menées sur le long terme, de l’implantation sur un territoire, la recherche d’un terrain, à la construction d’un bâtiment jusqu’à son ouverture aux habitants. Pourtant, même si nous avons accordé le financement, le lieu créé, les travaux faits, les premiers occupants arrivés, il peut parfois rester des difficultés. Certains porteurs de projets reviennent vers nous pour que nous puissions les soutenir là où des besoins persistent. 

L’idée est d’être suffisamment proches des porteurs sans pour autant rentrer ni dans la gouvernance, ni dans la stratégie qui ne sont pas nos métiers. Notre objectif est vraiment de favoriser une pleine réussite pour ces lieux. Quand nous avons apporté 50 000 euros en ingénierie et 200 000 en investissement, nous n’avons pas envie que le projet n’aboutisse pas. 

 

  • Vous intervenez sur la construction ?

 

La Fondation a développé une expertise sur l’habitat partagé. L’idée est d’aller sur des interstices entre le domicile et l’EHPAD. Nous sommes face à des gens qui ne peuvent plus du tout rester dans leur maison, mais qui en même temps n’ont pas du tout envie d’aller dans des établissements collectifs. Nous travaillons donc sur ce que l’on appelle « habitat partagé » ou « habitat inclusif ». Dans cet appel à projets, nous avons voulu avec l’aide financière de la Caisse des Dépôts et Consignations Banque des Territoires, aider des projets qui sont des projets à maturation très lente. 

 

  • Quand les projets arrivent au terme de la phase d’investissement, votre accompagnement porte-t-il sur la construction ou davantage sur l’objet social de l’accompagnement ? 

 

Parfois, il nous arrive de refaire un tour de table si cela est nécessaire lorsque nous avons décidé les investissements et que les demandeurs se rendent compte qu’il manque encore des fonds. Nous allons alors être en appui de la structure, faire profiter de notre garantie d’image pour remobiliser tous ses partenaires, pour toucher à la fois les acteurs du département qui sont sur cette thématique, les CCAS… et arriver à faire en sorte que l’opération lancée puisse fonctionner. Nous revenons ainsi dans la discussion, même si notre rôle sera davantage de porter un regard de vigilance pour s’assurer que les fonds que nous avons donnés arrivent in fine à leur bon usage, par la création d’un lieu qui permet à des personnes âgées et isolées de vivre ensemble.

Une chaine d’acteurs pour faire vivre les projets

  • C’est un peu une nouvelle forme de philanthropie aujourd’hui.  C’est-à-dire que vous ne vous limitez pas à lancer un appel à projets pour distribuer une somme sans assurer de suivi. Il ne s’agit pas de co-construction mais un co-accompagnement, de la réflexion commune, de la structuration. Travaillez-vous avec des grosses associations en général ? 

 

Non, ce sont surtout de toutes petites structures, des associations qui naissent parce qu’il y a un enjeu sur un territoire rural ou dans de petits bourgs. C’est une bonne échelle pour que cela marche financièrement. C’est assez épatant de voir que le projet naît souvent de la volonté de deux, trois ou quatre personnes qui se disent : nous avons ce bâtiment à disposition, nous avons envie de redynamiser le bourg, nous savons que Mme Dupont a très envie de rester sur la commune… C’est cette synergie qui va créer une opportunité. Nous sommes là car ce sont des gens qui ont souvent assez peu d’expérience dans le montage de projets et dans la demande de financements. Il semble important de dire que nous sommes très appuyés par le Réseau associatif HAPA qui accompagne toutes les associations dans la construction de leur projet jusqu’à sa réalisation. C’est donc un réseau de porteurs de projets d’habitat partagé qui s’autoforme, qui s’informe, qui fait du plaidoyer ensemble… 

La Fondation est très mobilisée pour la réussite de cette forme d’habitat. Nous travaillons d’ailleurs avec la Caisse des Dépôts – Banque des territoires, et avec le Réseau HAPA et nous avons créé ensemble une association qui s’appelle HAPI. C’est le volet politique, pour « faire émerger » l’ambition de l’habitat partagé, en particulier dans les départements - la compétence relève en effet des départements- qui ne seraient pas encore suffisamment impliqués sur ce sujet. Je veux créer un projet d’habitat partagé, j’ai deux ou trois portes d’entrée. HAPI va labelliser « mon projet d’habitat partagé » et ouvrir les portes des financeurs.

 

  • Ce que je comprends, c’est que les projets qui vous sont soumis correspondent véritablement à une demande locale au niveau le plus « micro ». Cela peut être un appartement, deux appartements…

 

En général, pour que le modèle économique tienne, nous sommes au moins à cinq ou six appartements dans une petite maison. Les lauréats ont des projets à l’échelle de micro-territoires, c’est de l’ultra local avec la rencontre de synergies très locales. C’est cela que je trouve génial dans l’habitat partagé.

 

  • Comment s’organise cet habitat partagé ? Chacun a son espace et il y a des services collectifs ?

 

En fonction des endroits, les schémas d’organisation peuvent être très différents. Dans certains endroits, les logements font 20 m2 avec un grand espace de vie et un grand espace extérieur. À l’inverse, dans d’autres endroits les appartements ont de plus grandes surfaces et ce sont presque des T2 avec une cuisine commune et un jardin. Le curseur se situe entre le niveau individuel et le collectif, il faut répondre à la situation locale.

 

  • Si dans l’espace partagé, il y a des services collectifs (cuisine, lingerie, restaurant …), qui est chargé de la gestion ? Est-ce l’association qui vous a sollicité ou cela fait-il partie du projet ?

 

En général, les associations qui viennent vers nous ont vocation à gérer ces lieux-là avec une aide portée par les départements qui s’appelle « l’aide à la vie partagée ». Il s’agit d’une ligne budgétaire qui relève des crédits des départements et qui permet effectivement à une personne d’animer ce lieu, de s’assurer que les liens avec les médecins sont pris, etc. Mais cela représente à peine un temps plein, je pense. Normalement les gens vivent comme chez eux. Lors de la journée de travail et d’échanges entre les différentes associations, nous avons organisé une table ronde sur l’habitat inclusif avant la remise des projets. Parmi les intervenants se trouvait une association qui s’appelle Habit’âge qui se situe dans l’Ouest et qui venait d’ouvrir une maison à Combrée (Maine-et-Loire). Cette maison a été ouverte en novembre 2023 et l’animatrice disait que pour l’instant les occupants n’avaient quasiment pas besoin d’elle pour s’organiser. Il faudra bien sûr aider les nouvelles personnes à entrer dans ce logement avec des moments difficiles, car ce sont des lieux qui accueillent des personnes vieillissantes. Il est probable que l’un des occupants va perdre certains repères, la question se posera alors de savoir que faire dans ce cas et comment l'accompagner. C’est extrêmement bien pour les occupants d’être chez eux avec si besoin un référent. 

 

  • Les mairies doivent être très contentes qu’on gère la question des personnes âgées sur leur territoire ?

 

Effectivement, on se rend compte que la question de l’isolement des personnes âgées est tout à fait impensée, les besoins en formation et accompagnement sont importants. On constate chez les Petits Frères des Pauvres un certain dénuement face à ce qui pourrait ou devrait être fait par les bailleurs sociaux, ou des CCAS. 

Nous étions, avec l’association, au Salon des Maires pour montrer comment nous, les associations, pouvons fournir un accompagnement sur le repérage de l’isolement, reprendre attache avec les personnes et les sortir de cet isolement qui amène souvent à une augmentation de la précarité et à un vieillissement plus rapide.

 

  • Les maires ont-ils la capacité de vous faire accéder au foncier pour des projets de construction ? 

 

Je me rends compte dans les montages financier que la difficulté n’est pas tant de trouver du foncier (hormis dans les grandes métropoles), elle est davantage d’avoir un modèle économique viable. Pour tenir un loyer très faible, si l’on n’est pas sur du logement conventionné, l’investissement est peu soutenu par les partenaires publics. C’est quand même souvent de l’investissement privé et le mécénat est assez seul pour ce type d’opérations qui encore une fois, vont toucher cinq, six, sept ou huit personnes, donc à toute petite échelle. Malheureusement, pour redynamiser des centres bourgs, permettre à des personnes de rester sur la commune, reconstruire ou préserver du lien social, revaloriser un patrimoine ancien parfois dégradé, vous êtes peu soutenus financièrement par les pouvoirs publics. 

Faire face au tsunami de la montée du quatrième âge

  • Vous êtes un agent majeur de la lutte contre la précarité et de la création du lien social chez les personnes âgées. Votre action est essentielle, car vous traitez le sujet du quatrième âge qui n'est pas pensé et en tous cas « non-traité » dans les politiques publiques ?

 

Oui. Il est vrai qu’aujourd’hui, comme nous ne parvenons pas à avoir un projet de loi « Bien Vieillir » ambitieux, nous restons dans le flou. Notre action sur la population du grand âge en situation de précarité nous est assez spécifique. Nous avons devant nous à la fois la courbe démographique et la question de la paupérisation de la population, un défi immense, une montagne ou plutôt un véritable tsunami. La question est vraiment comment arriver à apporter notre pièce à l’édifice, toutes proportions gardées car seuls ou même avec d’autre fondations nous ne pourrons pas faire face. Il est urgent que le Gouvernement s’empare de cette question.

 

  • Et toutes les autres activités dans le domaine de la santé, culture et autres, sont-elles dans le cadre d’appels à projets standards ? 

 

Pour la culture, nous avons un appel à projets standard. Pour la santé, nous allons lancer le premier appel à projets à la fin de cette année. A priori, nous serons sur un format standard. Il s’agira de l’accès aux soins pour les personnes âgées isolées et précaires. Ce n’est pas tout que d’avoir créé un centre médical à l’entrée d’un village. Il s’agit de savoir comment on va chercher la personne éloignée et l’amener jusqu’aux soins. Et je prends là le plus simple des cas.

En dehors des appels à projets, nous gardons une porte d’accès pour des actions que l’on peut financer directement. 

 

  • Et les aides matérielles ?

 

Les aides matérielles sont principalement portées par les fondations abritées. Nous avons par exemple une grosse fondation testamentaire qui travaille sur cette question et qui apporte de l’aide matérielle aux personnes âgées qui en ont besoin (chauffage, alimentation, soin…). De son côté, l’Association dispose d’une enveloppe pour financer des aides individuelles. Mais, dans tous les cas, il faut veiller à ne pas se substituer aux dispositifs publics.

La fondation abritée, un dispositif très opérant à fort effet de levier

  • Le dispositif de fondations abritées est donc pour vous un dispositif de cohérence d’objets et d’actions. Rentrent-elles totalement dans vos programmes ou partagez-vous les programmes, ou font-elles certaines choses de leur côté et d’autres avec vous ?

 

Les fondations abritées pour l’instant ne sont pas parties prenantes des appels à projets. Elles ont leur propre système de distribution. Néanmoins, quand nous sommes sollicités sur de petits projets, inférieurs à 5 000 euros par exemple, la Fondation des Petits Frères des Pauvres les renvoie vers des fondations abritées car nous ne les traitons pas. Chacune des fondations abritées a bien sûr sa thématique et nos équipes vont leur présenter des projets, soit que nous ne pouvons pas porter parce qu’ils sont trop petits et/ou qu'ils correspondent en tous points à leur objet. Nous sommes tout à satisfaits du système de la fondation abritée.

 

  • L’administration a, comme vous le savez, mis en cause l’idée que les fondations abritées devraient être davantage contrôlées, fonctionner avec plus de processus administratifs. Le système de relations de confiance n’est pas compris, alors que vous travaillez avec elle et que vous suivez ses comptes. 

 

Tout à fait. Les fondations abritées ont une marge de de manœuvre très cadrée. Elles ont principalement, une fois l’objet défini, le choix d’opportunités. Le contrôle de la légalité est fait par l’abritante ainsi que le contrôle financier. C’est-à-dire que nous leur présentons des projets et/ou nous vérifions les projets qu’elles ont sélectionnés, sur un biais légal en nous assurant que l’on peut financer ce type de structure et que cela rentre dans leur objet. Ensuite, elles ont la pleine disposition sur le contrôle d’opportunité dans le choix de l’association. Nous avons aussi des comités de gestion des fondations abritées paritaires : fondateurs et Petits Frères des Pauvres. Nous sommes allés chercher des bénévoles connaissant très bien la thématique des personnes âgées et précaires et qui pour certains vont avoir une compétence sur la question de la santé, sur la fin de vie, ou encore sur la prison pour qu’il y ait un choix paritaire entre les Petits Frères des Pauvres et les fondateurs de ses fondations abritées. Tout cela se fait effectivement dans le dialogue 

Le besoin de créer des alliances

  • Avez-vous, sur un certain nombre de projets et de sujets, des alliances avec d’autres fondations ou d’autres organisations comme Caritas… ? 

 

Aujourd’hui, nous avons un très gros partenariat avec la Banque des Territoires qui cofinance notre appel à projets Habitat et pour lequel nous avons intérêt à ce que cela se poursuive ainsi que l’association HAPI dont nous sommes cofondateur. C’est à la fois un partenariat financier et un partenariat de plaidoyer pour nous sur la question du grand âge et de l’habitat des personnes âgées. Aujourd’hui, sur les appels à projets, nous essayons effectivement d’aller chercher d’autres partenaires pour créer des partenariats d’expertise. Sur la question de la santé en particulier, nous sommes en train de regarder qui pourrait nous apporter de l’expertise, dans nos jurys. 

 

  • Des fondations ont créé une alliance sur l’environnement et le climat. N’avez-vous jamais pensé à former une alliance sur la pauvreté avec des fondations qui travaillent sur ces thématiques ? 

 

Je suis convaincue qu’il le faudrait, mais nous ne sommes pas encore arrivés à ce niveau de maturité. De manière très pragmatique, il faut aussi de la disponibilité. On pourrait par exemple rejoindre le Cercle des précarités du Centre Français des Fondations ou créer une nouvelle alliance sur les problématiques ayant trait aux personnes âgées.  

L’enjeu âge ET pauvreté

  • Je pense en effet que ces alliances paraissent indispensables pour l’avenir. Il est vrai que cela représente beaucoup de travail, que ce sont des pratiques qui ne sont pas habituelles, mais d’un autre côté, il peut y avoir trois ou quatre projets très importants qui sont coconstruits. 

 

Il est vrai que nous avons ce biais de l’âge et je le vois à chaque fois que nous discutons avec d’autres, il apparaît que quand il s’agit de pauvreté, nous parlons tous de la même chose, mais dès lors que nous avons la volonté de soutenir de façon préférentielle, voire de soutenir de manière exclusive, des projets qui touchent les personnes âgées de plus de 50 ans, ce qui représente bientôt la moitié de la vie, nous nous heurtons à des blocages. 

 

  • Êtes-vous les seules fondations à travailler sur ces questions des personnes âgées ?

 

Comme je vous l’ai dit, je pense que nous sommes sans doute les seuls sur la question combinée de la pauvreté ET des personnes âgées, ce qui n’empêche pas la Fondation de France d’avoir identifié cette problématique, le Secours Catholique de travailler sur ces questions, la Fondation Abbé Pierre est également présente sur ce créneau-là. Mais je pense que nous sommes les seuls avec cette double condition.

 

  • Voilà donc un nouvel axe de réflexion… Merci beaucoup.

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

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