Les fondations abritantes : une dynamique vertueuse pour le développement de la philanthropie
Il existe près de 61 fondations abritantes, avec 1 600 fondations abritées. L’augmentation constant du nombre des fondations abritées répond à un besoin et montre que ce dispositif est une composante majeure du développement de la philanthropie. Les pratiques des fondations abritantes sont essentielles sur deux aspects : la sécurité par la rigueur de leur fonctionnement et la souplesse pour mieux répondre aux besoins des récipiendaires par une innovation permanente. Une bonne écoute du terrain, la mutualisation des actions, un accès plus facile pour les associations, des avancées sur la gouvernance des projets dessinent un avenir plus démocratique de la pratique philanthropique. Pour poursuivre leur croissance, elles doivent être mieux comprises par les autorités de contrôle et le public. Le dispositif et les enjeux sont présentés dans cet interview par deux fondations abritantes, la Fondation de France et la Fondation Caritas France, ainsi qu'une fondation une abritée.
Des fondations abritantes au cœur du développement de la philanthropie
- Sabine, je vous remercie de présenter l’action de la Fondation de France, dans son activité de fondation abritante.
Sabine de Soyres : La Fondation en France a été créée en 1969 le développement et la promotion de la philanthropie dans tous les champs de l’intérêt général, comme nos statuts l’indiquent. Les fondations abritées étaient au nombre de 977 au 31 décembre 2023. Parmi celles-ci, plus de 200 ont été créées par des legs à destination de la Fondation de France, donnant la charge de créer des fondations. Durant les 5 dernières années, nous avons assisté à une très forte croissance, avec entre 45 et 48 nouvelles fondations annuelles, la moitié étant créée par des familles, des particuliers, des entrepreneurs. L'autre moitié est créée par des entreprises ou des personnes morales au sens large, comme des écoles, des instituts culturels…
Dans le Centre de philanthropie de la Fondation de France, mon métier est d'accompagner les philanthropes dans leur réflexion de philanthropie, soit de près 200 projets qui amènent finalement à une cinquantaine de nouvelles créations de fondations tous les ans. Notre objectif est d’aider à créer les projets de philanthropie les plus ambitieux possible et de façon la plus sécurisée. Je dirige une équipe d’une quinzaine de personnes, neuf à Paris et six en région, pour faire émerger et créer ces projets de générosité. La direction de l’action philanthropique, qui accompagne le pilotage quotidien de ces fondations, est composée de 60 personnes.
- Jean-Marie Destrée, vous êtes le délégué général la Fondation Caritas France, qui est la deuxième fondation abritante en volume dans l'Hexagone.
Jean-Marie Destrée : Nous fêtons cette année les 15 ans de la Fondation Caritas France, une fondation qui est donc assez jeune. La Fondation Caritas France a deux métiers principaux. Un métier de collecteur de fonds et de redistributeur pour financer des projets de lutte contre la pauvreté et l'exclusion en France et dans le monde, en lien avec le Secours catholique et le réseau Caritas. Ensuite, nous avons un pôle de développement et d'animation des fondations abritées. Nous avons créé en 15 ans 150 fondations abritées, dont 106 qui sont actives à fin 2023. Les trois quarts sont des fondations personnelles et familiales, les autres proviennent de personnes morales, associations ou congrégations religieuses. Nous avons très peu de fondations d'entreprises, ce qui s'explique assez aisément par le côté qui peut être vu comme confessionnel de la Fondation Caritas.
- Une fondation doit-elle avoir un objet de spécificité ? Quel est votre champ d’intervention ?
Jean-Marie Destrée : Le champ pauvreté-exclusion, avec une conception qui n'est pas que la pauvreté monétaire, on peut donc toucher les questions du handicap, des difficultés d'accès à l'éducation, et plus largement sur les problématiques d'insertion sociale, de réponse aux besoins des grands exclus, des questions de développement dans les pays du Sud.
La fondation abritée une volonté de participer à un projet collectif
- Florian du Boÿs, vous aviez un fonds de dotation, pourquoi avez-vous créé une fondation et trouvé nécessaire de vous faire abriter dans une fondation ?
Florian du Boÿs : En 2014, avec mon épouse, nous avons créé un fonds de dotation. Deux ans plus tard, nous avons ressenti le besoin de nous faire abriter au sein d'une fondation. L’une des raisons principales de ce changement était de rejoindre un réseau où l'on pouvait échanger et apprendre des autres dans un écosystème de fondations partageant des valeurs communes. L’objet de notre fondation Impala Avenir est l’autonomisation des personnes en situation de précarité, pour leur permettre de retrouver la maîtrise de leur vie, que ce soit par le travail, la formation ou l’autonomie financière et intellectuelle. Le choix de la Fondation Caritas a été assez naturel, étant donné que son objectif est de lutter contre la pauvreté et l’exclusion.
Venant du monde de l'internet et des start-up, je ne connaissais rien au secteur associatif ni à la philanthropie. Créer un fonds de dotation sans cette connaissance peut être assez limité. Nous étions libres de soutenir qui nous voulions, sous réserve de l'approbation de notre conseil d'administration.
Il est vrai qu’au début, en rejoignant la Fondation Caritas, nous avions des inquiétudes concernant la perte de contrôle sur nos fonds, car chaque projet que nous souhaitons financer est soigneusement évalué par un comité qui mesure la pertinence du don. Mais l’approche bienveillante et collaborative nous a finalement permis de mieux réfléchir à l’impact de nos actions et d’améliorer la qualité de notre soutien. Aujourd'hui, je suis membre du bureau de Caritas, ce qui me permet de m'impliquer davantage et d’apporter ma contribution à cette communauté.
Le fonctionnement d’une fondation abritée : rigueur, transparence et sécurité
- Ce que vous venez de dire est important car avec le statut de fondation abritée, on perd la personnalité morale.
Sabine de Soyres : Oui, la fondation abritante est la seule à porter le véhicule juridique pour l'ensemble des fondations qu'elle abrite. Il est impossible créer de fondation sans l'accord du conseil d'administration qui engage sa responsabilité au moment de la création. La première étape du contrôle se fait à ce stade. Entre l'intention philanthropique et la création de la fondation, il y a un certain nombre de filtres qui nous permettent d'accepter les projets qui nous semblent pertinents par rapport à l'objet de la fondation abritante, mais aussi par rapport à sa stratégie philanthropique et à sa conformité à l'intérêt général. Parfois, nous rencontrons des fondateurs qui viennent pour créer des fondations afin de financer des sociétés privées à but commercial. Il est évident qu'on ne va pas s'entendre.
Sur le plan du fonctionnement, la fondation abritée, outre le fait de bénéficier d'un écosystème, est délestée de la gestion administrative, clôture des comptes, validation par les commissaires aux comptes et doit toute transparence sur l'usage des fonds. Comme chez Caritas, les fonds étant chez nous, la fondation abritée, quand elle souhaite soutenir des projets et libérer des fonds, doit fournir la documentation nécessaire pour valider le projet et son objet d’intérêt général. Une fois le contrôle de conformité effectué, la fondation peut libérer les fonds depuis son espace « engagement en ligne », espace qui lui permet de piloter son activité, toujours sous le regard de la fondation abritante qui porte la responsabilité. C’est pour nous une relation qui se construit dans la confiance.
- Il y a donc deux parties : le système administratif rigoureux et l’accompagnement social. Jusqu'à quelle limite ?
Jean-Marie Destrée : Nous avons effectivement la responsabilité de valider l'objet de la fondation et l'objet des projets financés. Il y a un travail de conformité car il ne s'agit pas de donner de l'argent à des personnes, mais toujours à des projets dirigés vers des associations ou des organismes éligibles au mécénat. Ensuite, il faut s'assurer qu'il y a une demande en bonne et due forme, un budget, que l'organisme qui sollicite des fonds est en règle statutairement, a publié ses comptes puisqu’il doit les publier, a eu son assemblée générale, etc.
Cette question de la responsabilité est essentielle pour que le système fonctionne avec rigueur.
- C'est-à-dire que vous contrôlez les financements de la fondation abritée et que vous vérifiez que les récipiendaires sont éligibles ?
Jean-Marie Destrée : Oui éligibles, pour être en mesure d'utiliser au mieux ces fonds, les tracer et d’en répondre. C’est une des grandes exigences de la Cour des comptes, ce que les grandes fondations avaient depuis longtemps anticipé.
Vu les volumes de projets que nous devons suivre, 500 à 600, pour Caritas et nos fondations abritées, c'est très complexe et engageant. Nous ne voulons pas monter des usines à gaz. Néanmoins, il faut être rigoureux, en employant des chargés de programmes vont vérifier le sérieux, la conformité du projet. Il faut également contractualiser avec les associations qui reçoivent les fonds. Cela se fait en fonction des niveaux de financement : soit simplement une information de réception des fonds jusqu’à 10 000 euros, soit au-dessus il y a une convention signée entre l'abritante, pour le compte de l'abritée, et l'association qui reçoit des fonds. Cela nous permet de faire le suivi et, dans de rares exceptions, de réclamer même un remboursement si jamais le projet n'avait pas été mené à terme ou n'était pas satisfaisant. Par ailleurs, le président ou le vice-président de la fondation abritante appose toujours sa signature. Tous les montants sont cosignés. Tous les projets ne remontent pas en conseil d'administration, ce serait absolument impossible. Nous utilisons un système de double signature, celle du fondateur abrité et, pour que les fonds soient affectés, celle du président ou du vice-président de la Fondation Caritas. Le conseil d'administration reçoit annuellement un rapport très détaillé sur la totalité des actions et financement menées par les fondations abritées. Nous gérons un volume de 20 millions d'euros, soit à peu près 4 millions en propre et 16 millions pour nos abrités. Le rapport annuel est ensuite transmis au ministère de l'Intérieur.
- À la Fondation de France, les systèmes de sécurité sont-ils les mêmes ?
Sabine de Soyres : Exactement, nous avons aussi un devoir de bonne gestion des fonds qui ont été défiscalisés et avons des procédures proches de Caritas. Les fondations créées par des personnes morales ont un comité exécutif où siège un tiers de personnalités qualifiées externes, ce qui une décision collégiale dans les choix de projets et la mise en œuvre de la stratégie.
Dans les fondations créées par des particuliers, la gouvernance est un peu plus allégée. Ce n'est pas un comité exécutif formel, mais un comité familial ou un comité de projets. Dans toutes les fondations siège un collaborateur ayant la délégation du président avec un droit de veto. Ce droit peut s'exercer sur la conformité à l'intérêt général, les projets, l'équilibre budgétaire ou la gestion des fonds. Par exemple, dans l’hypothèse où une fondation abritée voudrait remettre des bourses de 3 000 euros à des étudiants de l'île de la Réunion mais voudrait se faire rembourser 10 000 euros de billets d'avion en business class pour aller remettre les bourses, le droit de veto du président s'appliquerait.
On a des versements par tranche pour les plus gros montants et la libération des tranches dépend de la documentation de l'avancée du projet.
Tout mettre en œuvre pour mieux répondre aux besoins des abritées, entre confiance et sécurité
- Mais parfois on entend dire que la gestion est lourde, que ça prend du temps, que c'est compliqué. N’est-ce pas là où se pose la question importante de l’équilibre entre la confiance et la sécurité ?
Sabine de Soyres : Je suis bien d'accord. En effet, certains nous remercient pour l'accompagnement mais trouvent que c'est administrativement un peu lourd et long. Lors de la signature des conventions avec les fondateurs, ils prennent connaissance dans la transparence totale de toutes les conditions, des frais et sont donc informés des contraintes administratives qui existent. Mais il est important d’entendre leur point. Et je pense que notre marge de progression en tant qu'abritante n'est pas liée à la simplification de nos process. Avec le temps, ils ont été pensés et améliorés pour garantir la sécurité. En revanche, on a devant nous une grande étape avec nos outils. Les fondations, en général, sont un peu les parents pauvres de l'investissement dans les outils de nouvelles technologies pour simplifier l'accompagnement. Nous n'avons pas les capacités des banques. Par chance, à la Fondation France nous avons pu investir et créer des espaces fondateurs pour leurs procurer toutes les informations disponibles, les relevés de comptes… Mais il y a de nombreuses fondations abritantes qui n'ont pas les moyens d'investir dans des outils de simplification de la vie quotidienne.
L’objectif est de progresser dans la simplification de la vie des fondateurs par les outils et la capacité de répondre vite à leurs question. Par contre, on ne simplifiera pas sur la documentation, le choix des porteurs de projets, la vérification de l'usage des fonds pour ne pas baisser la qualité de l'accompagnement.
Florian du Boÿs : Il faut savoir que gérer un fonds de dotation n'est pas aussi simple que de seulement faire des virements bancaires à vos projets. Cela implique des obligations administratives importantes, telles que l'embauche d'un expert-comptable, la nomination d'un commissaire aux comptes, et le dépôt annuel des comptes à la préfecture. De plus, un contrôle fiscal est possible. Dans une fondation abritante, le processus, parfois perçu comme lourd notamment pour les associations, est essentiel pour assurer la rigueur et la transparence dans la gestion des fonds. Contrairement à leur gestion personnelle ou celle de leur entreprise, certains fondateurs ne mettent pas la même diligence dans la gestion de leur fondation. Les règles imposées, bien que strictes, sont justifiées et contribuent à sécuriser les actions philanthropiques. Les fondations abritées bénéficient de processus bien établis qui apportent confort et sécurité.
Mutualiser pour créer des dynamiques collectives et renforcer l’impact de la philanthropie
- Les fondations travaillent-elles chacune de leur côté ou, au contraire, essayez-vous de les rassembler sur de grands thèmes ou de créer des programmes communs qui peuvent être de nature à augmenter l'impact de leur action ?
Jean-Marie Destrée : La fondation est un dispositif très stimulant pour la philanthropie. Nous avons mené une étude d’impact qui montre que 78 % des fondateurs familiaux déclarent qu'ils donnaient moins avant de créer leur fondation. 72 % de ces mêmes fondateurs disent qu'ils ont amélioré la sélection des projets soutenus et 7 fondations sur 10 disent qu'elles travaillent de manière plus stratégique et qu'elles améliorent la sélection des projets. Maintenant, il ne faut pas se cacher que l'impact n'est jamais l'addition de dizaine de petits projets mis côte à côte. Il y a aussi une difficulté, les 70 fondations familiales sur la centaine que nous accompagnons, sont autant d'histoires, de centres d'intérêt pour un public particulier, même si c'est toujours dans le champ de la pauvreté, ou sur une localisation géographique. On a donc un éclatement qui ne favorise pas un impact général et plus systémique. Je pense qu'on ne le changera pas fondamentalement, mais il faut travailler cela.
Pour mieux mutualiser, nous proposons à nos fondateurs de les embarquer dans des aventures collectives au sein de programmes. Nous avons commencé au moment du Covid, et poursuivi, notamment sur la transition écologique socialement juste. Et ces programmes permettent de faire des pools de fondations qui sont intéressées par cette dynamique. On formate un programme global très structuré dans l’appel à candidatures, dans les mesures d'impact et l'évaluation. Nous allons alors encourager les fondations abritées à cofinancer ce type de programme, en sachant que ce n'est pas seulement apporter de l'argent qui a un effet d’amplification. Cela permet une dynamique collective en participant à des rencontres, en faisant des visites terrain, en partagent les évaluations. Quand on travaille comme cela, on optimise beaucoup le temps de chacun, l'impact, la disponibilité des associations. C’est une avancée majeure.
- Sabine quelle est votre politique ?
Sabine de Soyres : Il y a à la Fondation de France un avant et un après 2023. Pendant très longtemps, nous étions un, un abri assez administratif où l’on permettait à la philanthropie des autres de s'exprimer. Même si l’on accompagnait bien nos philanthropes, nous n’avions pas suffisamment mis en avant la volonté de travailler ensemble pour augmenter notre impact commun. Le Covid fut un bon révélateur sur l’intérêt de travailler ensemble. Nous avions deux expérimentations, les « Démarches territoriales », et « Inventer demain ». L’une concernait la recherche de projets ou d’intentions au niveau d’un territoire, l’autre consistait à trouver des pépites-projets et les accompagner. On a alors commencé à travailler avec les fondations abritées sur des synergies et le cofinancement de projets. Comme l’a dit Jean-Marie, cela n'a pas été si facile. Ce n'est pas si simple de partager une vision commune et une ambition commune.
Les apprentissages de ces expérimentations nous ont permis de mettre en place de nouvelles stratégies. Aujourd'hui, la modalité d'intervention de la Fondation de France ne se fait quasiment plus que par des collectifs d'action. Neuf collectifs d'action ont émergé au deuxième semestre 2023. La place des fondations abritées est tout à fait importante aujourd'hui, puisque certaines sont à la gouvernance de nos programmes. Sur certains axes, la Fondation de France pourrait devenir minoritaire dans ses propres programmes de redistribution et d'action. Les fondations abritées apportent des fonds, des projets, leur connaissance et participent à une gouvernance collégiale. Si la Fondation de France est dirigée par son CA, les programmes d’intervention sont dirigés par des collectifs composés de fondations abritées, de collaborateurs et d'experts qualifiés.
- Florian, vous participez à un de ces collectifs, trouvez-vous que les synergies sont bonnes ?
Florian du Boÿs : Oui, je le crois. Chez la Fondation Caritas, il y a un véritable effort pour impliquer activement les fondations dans la vie de l'organisation, à travers des rencontres, des groupes de travail, et des synergies créées entre les membres qui permet de ne pas se limiter à une simple gestion administrative. Ce travail collectif évite que la fondation abritante ne devienne une entité détachée de ses fondateurs motivés par des histoires et des vécus personnels. C’est essentiel pour maintenir la pertinence des projets et créer des passerelles entre les collaborateurs de la fondation abritante et les fondateurs abrités. Cela permet d’éviter une gestion trop rigide qui risquerait de négliger les besoins et les intentions profondes des fondateurs. D’autres regroupement existent, comme « un esprit de famille », une association de fondations qui crée des liens étroits entre les acteurs.
Changer les pratiques pour mieux répondre aux besoins des associations
- Nous avons traité des dispositifs pour les fondations, mais qu’en est-il pour les associations qui demandent des fonds ? Vous évoquez leur difficulté à répondre à de multiples appels à projets pour trouver des financements pour leurs actions. Avez-vous des réflexions sur ce sujet ?
Sabine de Soyres : Ce que dit Florian est juste en ce qui concerne les associations. Si la mission de la Fondation de France est de promouvoir et développer la philanthropie, notre véritable objectif est de soutenir les associations. Ces dernières années, nous avons soutenu des milliers de porteurs de projets. Nous devons aujourd’hui davantage les écouter, ils expriment des difficultés à lever des fonds et à assurer une continuité dans leurs financements. C’est un nouveau chantier important qu’il faut prendre avec détermination pour alléger leur travail, parce qu'ils passent un tiers de leur temps à chercher des fonds et à remplir des dossiers qu'ils ont déjà remplis l'année d'avant, etc. Des associations sont financées par plusieurs de nos fondations abritées et elles devaient remplir un dossier pour chacune d'entre elles. Nous essayons de mutualiser les documents dans le cadre de la simplification des outils, dans l'idée de fluidifier la chaîne entre le premier don fait par le fondateur à sa fondation abritée et le bénéficiaire final.
Bien que la philanthropie puisse offrir plus de flexibilité que les financements publics, elle peine parfois à s'engager sur du pluriannuel. Nous avons donc initié une démarche pédagogique auprès des philanthropes pour leur faire comprendre les défis du monde associatif. Par exemple, une association qui lutte contre le décrochage scolaire, après avoir été soutenue pendant trois ans par une fondation familiale, a pu bénéficier d'un autre mécène grâce à l'intervention de la première fondation. Cette capacité à créer des collectifs et des synergies entre associations et philanthropes est essentielle pour assurer la pérennité des projets et maximiser l'impact des actions philanthropiques.
- Et chez la Fondation Caritas ?
Jean-Marie Destrée : Dans notre étude d'impact menée auprès d'une centaine d'associations, il ressort que même si Caritas n'est pas toujours le plus gros financeur, notre écoute attentive des besoins et notre capacité à adapter ses modes de soutien sont particulièrement appréciées. Issu du Secours Catholique, notre ADN est associatif. Il nous permet d'être sensibles aux difficultés des associations et des entreprises d'insertion, qui sont en première ligne pour aider les personnes en difficulté. Notre aide est perçue comme un label de qualité qui ouvre des portes et crédibilise les projets, surtout en phase émergente quand elles ont du mal à trouver des fonds. De plus, ce soutien génère un sentiment de fierté et de reconnaissance pour les équipes associatives. Bien que tout ne soit pas toujours parfait, cet accompagnement reste essentiel et constitue un l'horizon sur lequel on doit travailler.
La philanthropie répond-elle correctement aux enjeux de la société ?
- Le travail réalisé par les fondations est important comme nous venons de le voir, mais l’action philanthropique répond-elle suffisamment aux difficultés de la population ?
Sabine de Soyres : Nos bénéficiaires sont des personnes qui sont en situation de grande précarité, de vulnérabilité ou en situation d'exclusion. Ces derniers temps, elles ont manifesté un fort mécontentement. On peut en conclure qu’il faut faire plus et peut être différemment. Cela nous donne un devoir encore plus fort pour ces prochaines années pour augmenter l'impact de notre financement. Quand on donne une subvention à une association, on doit comprendre l'impact réel de l'usage de l'argent sur le bénéficiaire final. Si l’on tire le fil d'une situation politique qui continuerait à se crisper, la place de la philanthropie va être fondamentale et dominante en termes de liberté et de capacité d'action pour pouvoir aller là où les pouvoirs publics ne vont pas et travailler. Il nous faut changer nos pratiques pour inclure toutes nos parties prenantes dans la création et le suivi des projets, leur gouvernance. C’est une façon de retisser du lien social dans une société de plus en plus éclatée en proie à une fracturation dangereuse pour la démocratie.
Jean-Marie Destrée : En France, les personnes en situation de grande pauvreté, souvent exclues des systèmes sociaux, ne votent généralement pas ou n'exercent pas leurs droits, comme le montre le fait qu'un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA ne le réclame pas. Le rejet de l’autre est un sujet important. Face à cette situation, le Secours catholique s’investit sur la lutte contre les peurs liées aux étrangers et aux migrants qui découlent souvent de méconnaissances ou de préjugés. L'approche vise à favoriser les rencontres et l'humanisation des personnes marginalisées, en mettant en avant des récits positifs et en encourageant une meilleure compréhension mutuelle. Mais la philanthropie ne peut pas tout faire face à la déliquescence des services publics, le fait que l’on n’ait plus médecin, plus bureaux de services publics, peu ou pas de transports dans un certain nombre d’endroits, le tout renforçant le sentiment d’abandon.
- Florian, souhaitez-vous ajouter quelque-chose ?
Florian du Boÿs : La philanthropie en France joue un rôle de soutien aux associations, mais la majorité des grandes associations dépend à 95 % des fonds publics, ce qui en fait une extension de l'État dans la gestion des politiques sociales. Historiquement, la tradition française confie à l'État la responsabilité de tout prendre en charge, ce qui limite la place de la philanthropie. Cependant, son rôle doit être de proposer des approches nouvelles, notamment dans la gestion de la précarité et des relations humaines, en offrant des solutions différentes de celles de l'État. La croissance du nombre de fondations et l'augmentation des dotations sont essentielles pour initier des changements et repenser la société. Ces actions permettront de tester des concepts innovants et de donner plus de flexibilité aux structures qui agissent sur le terrain, contribuant ainsi à un impact social plus important. Les actions que nous menons sont des actions qui ont d'abord été financées par des fondations privées, et qui petit à petit, commencent à être reprises financièrement par les régions et par l'État dans ses actions.
Partager la connaissance pour renforcer la fiabilité et l’efficacité du dispositif de fondations abritées
Jean-Marie Destrée : Des rapports sont sortis sur les fondation abritantes, l’un de l’Inspection Générale de l'Administration (IGA) bienveillant vis-à-vis des fondations abritantes, l’autre de la Cour des comptes sur la Fondation de France qui a émis quelques doutes sur la gestion des fondations abritées. Il montre que certaines abritantes n’ont pas totalement respecté le cadre d’une bonne gestion, mais on doit toutefois reconnaître que sur le total des fondations abritées, cela reste très minime. Cela nous incite à poursuivre le travail d’amélioration des outils de gestion, du suivi du fonctionnement et des pratiques éthiques pour renforcer la sécurité base de la confiance.
Je veux saluer une initiative du Centre des Français des fonds et fondations qui va éditer un guide pratique qui, sur la base de l'expérience des principales fondations abritantes, proposera toute une série de process, de règles et de recommandations. Cela sera très utile, car s’il y a près de 60 fondations abritantes, en pratique plusieurs dizaines d’entre elles n’abritent que quelques fondations et manquent parfois d’une bonne méthodologie. Mettre à disposition de toute la communauté des outils aidera à ne pas commettre d'erreurs et à travailler de manière plus efficace et plus coordonnée. Cette démarche est importante, car le dispositif de la fondation abritée est un très bon stimulant du développement de la philanthropie par la mutualisation des actions. Il faut le préserver et renforcer sa valeur.
Propos recueillis par Francis Charhon