[TRIBUNE] Pour une politique philanthropique ambitieuse au service de la démocratie et de la cohésion sociale
Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a évoqué les associations, en citant notamment l’exemple des territoires zéro chômeurs de longue durée et des bénévoles, pour illustrer qu’il comptait s’appuyer sur ces acteurs dans la mise en œuvre de son programme. Cette prise de position a nourri l’espoir que le secteur non lucratif serait enfin reconnu comme un partenaire clé dans la résolution de nombreux défis sociaux. La création de deux ministères — celui des Sports et de la Vie associative, et celui en charge de l’Économie Sociale et Solidaire, de l’Intéressement et de la Participation — semble aller dans ce sens, à condition que leurs missions soient bien définies. Cet espoir s’est rapidement transformé en désillusion à l’occasion des discussions budgétaires au Parlement, un amendement a réduit la déduction fiscale au titre de l’IFI, la ramenant à la déduction standard.
Non à la démagogie fiscale
Ce geste veut donner l’impression de s’attaquer aux plus fortunés en limitant leurs avantages fiscaux. Pourtant outre aider directement les associations, ce dispositif a permis de développer d’importantes fondations qui, à partir d’une donation initiale, génèrent chaque année des revenus substantiels pour les associations. En cela, il s’agit d’un investissement à long terme, particulièrement rentable.
Cette mesure, bien qu’elle puisse sembler politiquement opportune, pourrait avoir des conséquences désastreuses. Par démagogie, cette décision en réalité, nuira aux plus vulnérables, en réduisant les capacités d’intervention des associations et fondations. Cela mettra en péril de nombreux projets dans des secteurs aussi variés que le social, la santé, l’éducation, la recherche ou encore l’environnement et ce sont les bénéficiaires finaux qui en subiront les répercussions. À l’inverse, les plus riches ne seront pas directement pénalisés, puisque personne n’est obligé de faire un don.
Mieux comprendre l’utilité des déductions fiscales pour les dons
De telles mesures montrent le manque flagrant de compréhension de la réalité actuelle de la société. Pourtant les députés, qui connaissent bien les besoins locaux de leurs circonscriptions, cherchent souvent avec les maires des financements externes aux budgets publics pour répondre aux attentes de leurs électeurs. Ces dynamiques locales ne semblent pas avoir été prises en compte dans cette décision fiscale.
Au fil des quarante dernières années, j’ai participé au développement de la philanthropie en France, notamment lors des discussions budgétaires successives. À maintes reprises, j’ai vu, par un réflexe quasi pavlovien, s’ouvrir la boîte à idées sur la réduction des avantages fiscaux pour les donateurs, particuliers ou entreprises, sans jamais que ne soit pris en compte les conséquences de telles décisions. Pourtant, la fiscalité favorable aux dons a permis de consolider un tissu associatif essentiel à la cohésion sociale du pays.
Dans un contexte économique difficile, où le gouvernement cherche à réaliser des économies, il est compréhensible de vouloir rationaliser les dépenses, mais il ne faut pas aller dans cette direction. Aujourd'hui, l’État reste le principal financeur de la philanthropie, tant par les subventions que par les déductions fiscales. Pourtant, il n’a jamais clairement défini les objectifs globaux de sa politique de soutien aux associations et fondations. Cela complique la compréhension de ses décisions lorsqu’il procède à des réductions ou à des ajustements budgétaires. Paradoxalement, l’État est lui aussi tributaire des dons privés pour de nombreux établissements publics.
Cette réduction de la fiscalité démontre que les mesures prises ne s’inscrivent pas dans une vision politique claire de ce que doit être la philanthropie ni de son rôle aux côtés des politiques publiques. La situation économique des associations est déjà difficile et ces nouvelles mesures risquent d'aggraver leur précarité, mettant en danger leur survie. À chaque réforme, le secteur non lucratif est mis dans la position d’un quémandeur, laissant penser qu’il cherche à préserver des privilèges. Ce n’est pourtant pas le cas : ces décisions réduisent simplement la capacité d’intervention des associations, sans enrichir qui que ce soit.
Réduire la bureaucratie
Malgré sa contribution essentielle à la société, le secteur associatif reste largement sous-estimé dans la définition des politiques publiques. Ce qui frappe aujourd'hui, c'est une gouvernance confuse de la philanthropie en France. Une multitude d'interlocuteurs interviennent : le ministère de l’Intérieur, les ministères de tutelle pour les fondations spécialisées, le Conseil d’État pour l’appréciation de l’utilité publique, les préfectures pour le suivi des fonds de dotation, le ministère de la Culture pour le mécénat, le ministère des Finances pour les questions fiscales, ainsi que le ministère des Sports et de la Vie associative. Cette fragmentation des responsabilités rend le dialogue avec les pouvoirs publics difficile et complexifie la prise de décision, tout en freinant l'impact des actions menées par les associations.
Un rapport récent, la Cour des comptes a d'ailleurs souligné l'absence de stratégie à long terme de l’État pour ce secteur. Elle appelle à un soutien modernisé et à une réforme en profondeur des relations entre l'État et les associations.
L’État, tout en reconnaissant l'importance des associations, adopte souvent une attitude paradoxale en leur imposant des normes et des réglementations de plus en plus complexes. Cette tendance à l'encadrement progressif, souvent sans fondement juridique clair, réduit peu à peu la liberté associative telle que définie par la loi de 1901. Le contrat d’engagement républicain en est un exemple.
Sous prétexte de simplification, il encourage le recours aux appels d’offre pour obtenir des subventions, ce qui contribue à transformer progressivement le secteur associatif en simple prestataire de services. Cette évolution altère l’essence même du projet associatif, en dénaturant sa mission originelle, qui est de répondre aux besoins des plus fragiles de manière indépendante et désintéressée.
Faire face à une situation explosive
La situation du pays est grave, il y a une urgence absolue à répondre de manière réaliste et pragmatique aux peurs, colères et souffrances qui s’expriment dans la société. La population manque de confiance en ses dirigeants. L’État ne peut pas tout faire seul, il doit s’appuyer sur les forces vives de la société civile, notamment les associations et fondations, qui sont en contact direct avec les réalités du terrain. La fragmentation de la société est telle que les solutions ne peuvent venir que de réponses locales, souvent micro-locales, bien loin des grands plans nationaux conçus dans des bureaux éloignés du terrain. Les associations, agissant au plus près des citoyens, peuvent répondre de manière flexible et rapide et monter des partenariats entre différents acteurs privés ou publics. Ces acteurs de la philanthropie ne se contentent pas de réparer les fractures du monde moderne, ils inventent les réponses de demain. Leur capacité d’innovation et leur adaptabilité en font de véritables incubateurs de solutions. Nous avons vu qu’une fois celles-ci éprouvées localement elles sont souvent reprises par l’État et généralisées à plus grande échelle. Les résultats concrets sont visibles où ils interviennent, où le dialogue a été rétabli, où le lien social s’est renforcé alors l’espoir renaît favorisant le renouveau d’une vie démocratique.
Inventer une politique philanthropique ambitieuse
Il est temps que l’État adopte une vision plus globale du rôle de ce secteur. Ceux qui définissent les politiques publiques doivent changer de grille de lecture, donner l’impulsion nécessaire pour inventer une politique philanthropique ambitieuse définie avec le secteur non lucratif, mettre en place des relations claires inscrites dans la durée et accepter des partenariats constructifs. Voici quelques pistes :
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Reconnaître que le secteur non lucratif (associations, fondations) est nécessaire à la résolution d’un certain nombre de problèmes auxquels le pays fait face
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Inscrire les associations et fondations comme acteurs aux côtés des entreprises, de l’État, des collectivités territoriales pour apporter leurs compétences, leurs capacités d’innovation et le dynamisme de millions de personnes bénévoles
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Faire la balance entre l’immense coût humain et financier des politiques publiques qui n’ont pas donné d’effets et les financements du secteur non lucratif
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Ne pas considérer les déductions fiscales de ce secteur comme une charge, mais comme un investissement d’avenir
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Simplifier la gouvernance administrative pour libérer les énergies.
Il faut un signal fort du gouvernement et des parlementaires, alors tous ensemble :
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nous pourrons écrire une nouvelle page ambitieuse dans les relations État-secteur non lucratif au bénéfice de tous qui pourrait être présentée lors d’une Conférence sur la générosité et l’engagement
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nous pourrons aider à retrouver de la confiance, de l’espoir dans notre pays où chacun a sa place et peut avoir des perspectives pour l’avenir
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nous pourrons lutter contre le fléau de la fracture sociale qui se creuse inexorablement mettant gravement en danger notre démocratie.
Prenez le risque de la confiance envers des opérateurs qui ont montré leurs capacités, vous aurez un engagement renforcé des citoyens pour relever les défis du temps.
Francis Charhon
La philanthropie est un écosystème reposant sur trois piliers indissociables : les acteurs de terrain associations et fondations, les donateurs (particuliers et entreprises) et les bénévoles, tous portés par une puissante volonté d’engagement et par la confiance des Français. Ils agissent pour le bien commun au service d'une société plus juste, plus solidaire, plus respectueuse de l’avenir climatique.
Ce secteur est devenu une composante majeure de la société française comme l’atteste les chiffres :
- - 20 millions de bénévoles, 2 millions de salariés, 104 000 entreprises mécènes
- - 8,5 milliards de dons provenant de 5 millions de donateurs individuels (en diminution) ou d’entreprises
- - 1,37 million d’associations, plus de 4 600 fondations et fonds de dotations.
Sources : Juris Associations, n°683, juillet 2023 et France générosités.