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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 4 juillet 2022 - 18:09 - Mise à jour le 4 juillet 2022 - 18:09
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[TRIBUNE] Nouveau gouvernement, espoir d'une nouvelle politique philanthropique ?

Après l’allocution du Président de la République et la nomination d'un secrétariat d'État à l'ESS et aux associations, Francis Charhon appelle en urgence à une politique nouvelle entre l’État et les acteurs de la philanthropie au service des citoyens.

[TRIBUNE] Nouveau gouvernement, espoir d'une nouvelle politique philanthropique ? Crédit photo : iStock.
[TRIBUNE] Nouveau gouvernement, espoir d'une nouvelle politique philanthropique ? Crédit photo : iStock.

Le 22 juin, le Président s’est exprimé sur l’avenir de sa présidence. Il a montré sa volonté de faire participer les forces vives de la nation en citant spécifiquement les associations ainsi que d’inscrire son action dans le cadre de l’intérêt général, préoccupation que porte depuis toujours le secteur philanthropique. La nomination d'un secrétariat d'État à l'ESS et aux associations est un signe positif et une occasion de s’engager dans une politique ambitieuse pour ce secteur au service des citoyens, ce qui n’avait pas été possible lors du dernier quinquennat malgré les nombreuses demandes.  Or, le lien social se délite dangereusement, il y a urgence à répondre aux besoins de notre société en perte de sens.

Les élections ont confirmé le désintérêt progressif envers les formes actuelles de représentation.  Au moment où des pans entiers de la société se sentent abandonnés, au moment où les électeurs se détournent des urnes, il faut donner un plus grand rôle aux acteurs qui quotidiennement répondent aux besoins de la population. Impliqués dans des processus décisionnels, des projets collectifs et des actions de terrain beaucoup de citoyens ne ressentiraient plus un sentiment d’abandon. Ils retrouveraient du sens à leur vie avec l’espoir qu’elle soit meilleure demain. Enfin, cette démarche donnerait une couleur nouvelle et moderne à la vie démocratique, par la participation des récipiendaires aux projets.

Quelle est cette France engagée ?

La philanthropie est un écosystème reposant sur trois piliers indissociables : les acteurs de terrain associations et fondations, les donateurs ainsi que les bénévoles, tous portés par une puissante volonté d’engagement et par la confiance des Français. Par des engagements individuels et collectifs forts il s’agit d’œuvrer pour le bien commun au service d'une société plus juste, plus solidaire, plus respectueuse de l’avenir climatique.  

Ce secteur est devenu une composante majeure de la société française comme l’atteste les chiffres : 

  • 20 millions de bénévoles, 2 millions de salariés, 104 000 entreprises mécènes 
  • 8,5 milliards de dons provenant de 5 millions de donateurs individuels ou d’entreprises
  • 1,5 million d’associations, plus de 4 600 fondations et fonds de dotations.

Une France innovante

Au-delà des chiffres, la valeur qualitative est inestimable par la proximité de la relation avec les bénéficiaires au niveau le plus fin et par d’immenses capacités d’innovation. 

La crise du Covid a montré réaction rapide et adaptation du secteur partout sur le territoire (aide alimentaire, assistance aux personnes isolées…). Par ailleurs, l'action du monde associatif, grâce à sa liberté d’action, a fait évoluer la pensée sur l'environnement ou le droit des femmes et obligé l’État et les entreprises à des changements de pratiques.  

Parce qu’elles agissent au plus près du terrain, les associations et les fondations sont souvent les premières à identifier des besoins sociaux émergents. Elles agissent d’abord comme lanceurs d’alerte révélant des « angles morts » de l’action publique. Elles sont des incubateurs d’avenir, leur agilité leur permet de tester des solutions qui constituent de véritables laboratoires des politiques publiques sur tout le territoire et à l’international  en mettant au point des dispositifs souvent ensuite pris en charge par l’État. Ces acteurs de la philanthropie ne se contentent pas de réparer les fractures du monde moderne, ils inventent un avenir.

Une maturité en évolution

Membre de la famille de l’économie sociale, les associations et fondations ont la spécificité d’être l’unique secteur non lucratif. Ce dernier s’est développé avec vigueur ces trente dernières années pour gagner en maturité. 

  • Des progrès immenses ont été faits par la mise en place d’outils et d’organisations collectives assurant le contrôle et la transparence des pratiques afin d’élever le niveau de confiance
  • L’évaluation est entrée dans les habitudes montrant la création de valeur des actions menées
  • Beaucoup de recherches, d’analyses et d’études ont permis de progresser dans la connaissance des projets menés, sur les zones de renforcements nécessaires et sur la relation avec les donateurs par des communications justes, agiles et sincères
  • Des coordinations ont été créées assurant le partage de compétences et la mise en place d’alliances entre les acteurs pour rendre plus efficient le travail de terrain et les pratiques communes
  • Des politiques de partenariat ne cessent de se multiplier avec des collectivités locales, des entreprises et l’État. 

 

Mais des efforts importants sont encore à faire pour que tous les acteurs de la philanthropie s’inscrivent dans une démarche collective sur ce qui les unit. Ce travail, indispensable, donnera plus de force au mouvement face au Gouvernement afin que celui-ci entende un discours homogène. Il sera nécessaire, sinon de parler d’une seule voix, au moins d’avoir une plateforme commune pour assurer la reconnaissance du secteur non sur une base syndicale mais avec une vision stratégique de la place du secteur dans l’espace public. En effet, malgré sa contribution essentielle, il est encore peu pris en compte par les élus et la sphère publique dans la définition des politiques publiques comme l’atteste le rapport sur la philanthropie à la française réalisé par les députées Sarah El Haïry et Naïma Moutchou resté lettre morte. 

Rendre la gouvernance plus simple et plus lisible

Ce qui frappe aujourd'hui, c'est une gouvernance de la philanthropie par l’État confuse et complexe avec une multitude d’interlocuteurs : ministère de l’Intérieur et/ou ministères de tutelles pour les fondations spécialisées ; ministère de l’Intérieur et Conseil d’État pour l’appréciation de l’utilité publique, préfectures pour les fonds de dotation, ministère de la Culture pour le mécénat, ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse pour le secteur associatif, ministère des Finances pour les questions de fiscalité et la définition de l’intérêt général, HCVA … Cela rend difficile le dialogue avec les pouvoirs publics et entraîne un manque de cohérence dans les décisions à prendre. Ne serait-il pas temps de regrouper un certain nombre de ces organismes dans un lieu unique pour avoir une politique plus homogène et concertée ?

Un rapport récent de la Cour des comptes vient d’ailleurs de pointer l'absence de stratégie à long terme de l’État sur le secteur des associations et l’appelle à un soutien modernisé. 

L’État agit de façon souvent paradoxale face au secteur non lucratif qui lui est nécessaire mais introduit en permanence des normes et des réglementations qui complexifient ses relations avec ce secteur. 

Il se créé un encadrement progressif réduisant la liberté associative au sens de la loi de 1901, souvent du fait des administrations qui imposent des normes sans fondement juridique, mais aussi du fait du législateur comme la loi sur le « contrat d’engagement républicain ». La tendance, sous prétexte de simplification à travers des appels d’offre pour donner des subventions, induit une transformation progressive du secteur non lucratif en un prestataire de service, altérant ainsi le projet associatif. 

Bien sûr, l’État demeure le financeur principal à travers les subventions et les déductions fiscales mais il n’a jamais fait clairement connaître l’objectif global de sa politique d’aides. Il est difficile de comprendre la logique de ses choix lors de réductions, d’apports de subventions ou lors de modifications du statut fiscal. Ces mesures relèvent d’un objectif budgétaire, sans prise en compte des conséquences sociales. 

Une ambition pour demain : la reconnaissance formelle de ce secteur et de son rôle

Faire de la philanthropie non une dépense de « guichet » mais l’inscrire dans une véritable politique publique. Ce n’est pas un service demandé à l’État, mais une proposition qui lui est faite d’utiliser les compétences d’un secteur qui gère de multiples établissements sociaux, culturels, scientifiques éducatifs. Il a investi des champs qu’aucun dispositif venant d’en haut n’est capable de rendre opérationnel. Il ne s’agit pas d’opposer deux systèmes, de fait il agit déjà en partenariat, en complémentarité, avec les acteurs étatiques ou de collectivités locales, mais de prendre acte que ce secteur est un élément majeur du « vivre ensemble » indispensable à notre démocratie. Il se pose comme un rempart puissant face au délitement du lien social qui mine notre nation. C’est donc une véritable alliance stratégique à laquelle il faut réfléchir pour réduire les normes, fluidifier et amplifier les capacités d’action.

Le premier pas serait une convention ou un forum philanthropique, sous le patronage du Premier ministre, aurait pour ambition de définir collectivement une vision de l’engagement et de la générosité. Les thèmes principaux seraient préparés en amont entre les différents acteurs concernés. Un bon exemple de discussions sur des points importants fut le Forum humanitaire, préparé par toutes les parties prenantes de l’action internationale, ministère et ONG. Clôturé par le Président de la République, il avait pris des engagements envers les organisations de solidarité internationale pour favoriser l’exercice de leur action. 

De ce forum sortirait une politique ambitieuse et assumée, avec des objectifs clairs qui donnerait du sens et de la cohérence aux mesures régulièrement prises sans véritable concertation. Il deviendrait possible d’anticiper un coût en amont, plutôt que de prendre des mesures fiscales morcelées sans en peser les conséquences pour les récipiendaires et éviter d‘avancer ou reculer au gré des influences politiques. 

Si une main est tendue au secteur philanthropique, il la saisira avec espoir et enthousiasme.

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