Répit des jeunes aidants – apprendre à « se construire avec plus de légèreté »
Les aidants sont plus que jamais au cœur de l’actualité. Mais parmi les 11 millions de personnes concernées en France, certains sont encore méconnus : les enfants et adolescents. Ils seraient pourtant 300 000 à être confrontés à cette situation. Pour leur accorder un répit et un espace de parole, l’association JADE-Jeunes AiDants Ensemble a créé des ateliers cinéma-répit, soutenus par la Fondation OCIRP, un dispositif détaillé par Amarantha Bourgeois, directrice de projet au sein de l’association.
- Quelle est la genèse de JADE-Jeunes AiDants Ensemble ?
L’association a été cofondée par Françoise Ellien, psychologue clinicienne, et par la réalisatrice Isabelle Brocard. Francoise Ellien, en tant que directrice d’un réseau de santé en Essonne, se rendait dans les différents lieux de vie des personnes malades. C’est là qu’elle a rencontré ce public invisible du grand public, à savoir les enfants et adolescents en situation d’aidance auprès d’un proche malade ou souffrant d’un handicap. Elle a alors découvert qu’il n’existait aucun dispositif en leur faveur. Elle a donc créé avec Isabelle Brocard les ateliers cinéma-répit JADE, pour promouvoir une offre de répit, un lieu d’expression de soi pour ces enfants qui sont aidant d’une maman, d’un papa, d’un frère, d’une sœur, parfois d’un grand-parent.
- Quelle est votre propre histoire avec l’association ?
Je suis maman de quatre enfants dont l’aînée est polyhandicapée. J’ai découvert les ateliers cinéma-répit parce que l’une de mes filles a souhaité en faire partie. Elle avait beaucoup à dire sur sa relation avec sa sœur et sur le regard des autres sur le polyhandicap. J’ai tout de suite adhéré au projet et vu ses effets. J’ai pris conscience de l’ampleur du phénomène et du nombre d’enfants concernés. J’ai voulu aider. Les ateliers JADE sont aujourd’hui le dispositif le plus complet qui existe car ils combinent répit et espace d’expression pour que les jeunes mettent des mots sur les maux.
- En quoi consistent les ateliers cinéma-répit, soutenus par la Fondation OCIRP ?
Le processus couvre l’année scolaire. Fin septembre, une réunion de rencontre est organisée entre les équipes, les jeunes et leurs familles. Les ateliers sont ensuite articulés par tranches d’âge. Pendant les vacances de la Toussaint, les jeunes sont reçus en résidence, loin de leur famille. La première semaine des vacances est consacrée aux 8-13 ans, la seconde aux 14-18 ans. Ils rencontrent d’autres jeunes qui vivent la même situation qu’eux. Ils réfléchissent au scénario de leur film, à ce qu’ils ont envie de partager concernant la maladie, leurs angoisses, leurs rêves aussi. Ils commencent à créer les personnages. Ils reviennent ensuite aux vacances d’hiver, pour travailler sur le son, le bruitage, les techniques d’animation et le montage de leur film. Au mois de mai a lieu la réunion avec les familles, qui nous racontent les effets bénéfiques des ateliers sur leur enfant. Et puis vient le temps final de la projection des films, organisée dans une vraie salle de cinéma en présence de nos mécènes, de nos partenaires, des familles et de tous ceux que les jeunes auront eu envie de convier. Leurs films racontent leurs inquiétudes, leur détresse de ne pas trouver leur place dans une famille où la maladie et le handicap la prend toute entière.
- Y a-t-il un avant et un après atelier cinéma-répit ?
Oui, clairement. La parole se libère et les jeunes peuvent se construire avec plus de légèreté. Ils améliorent leur relation avec leur frère, sœur, parent, qui à leur tour sont capables d’entendre le message. Au bout de huit ans d’expérience, nous sommes toujours en contact avec les jeunes des tout premiers ateliers, qui sont maintenant des adultes. Ils nous disent que JADE les a sauvés parce qu’ils y ont rencontré d’autres jeunes avec qui ils restent en contact, particulièrement dans les moments difficiles comme le premier confinement. Certains reviennent d’ailleurs au sein de l’association en tant qu’animateur BAFA. Ils deviennent un modèle pour les plus petits, qui voient qu’ils ont grandi et se sont épanouis. Ils ont les mots justes car ils ont vécu la même chose. C’est très valorisant pour tout le monde. Nous avons construit une vraie communauté avec le temps.
- Après l’Île-de-France, les ateliers vont-ils s’étendre à d’autres régions ?
Nous avons la volonté d’essaimer le dispositif sur tout le territoire. Aujourd’hui, six régions développent une offre pour les jeunes aidants, avec des ateliers labellisés JADE. Ce n’est pas toujours le même média artistique. Certains font le choix du théâtre, ou bien de la musique, des arts plastiques, du cirque. L’objectif est que les jeunes s’approprient vraiment le média artistique et donc qu’il ne soit pas discriminant sur le plan scolaire et culturel. Nous accompagnons tous les porteurs de projets dans l’élaboration de leur projet pédagogique, à chaque étape de sa mise en œuvre en régions.
- La Fondation OCIRP est un soutien historique de l’association, quel regard portez-vous sur ce partenariat ?
C’est un très beau partenariat. Nous portons des valeurs communes. L’OCIRP est très investie sur les situations de fin de vie et de deuil. Nous aussi, puisque chaque année, un certain nombre de jeunes aidants dans nos ateliers deviennent orphelins. La question de la mort est omniprésente. Nous avons la chance de bénéficier de tout le travail que l’OCIRP fait sur ce sujet. C’est aussi l’OCIRP qui nous a rapprochés du groupe Jeunes Générations de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs), avec qui nous avons conçu le portail « la vie, la mort, on en parle ». Toute cette sensibilisation s’est construite en lien avec l’OCIRP, et nous portons aujourd’hui le volet « épauler les jeunes aidants » du plan Agir pour les Aidants du gouvernement. La jeune aidance et le deuil sont vraiment des angles morts au sein des établissements scolaires. Lutter contre le décrochage scolaire, activer les leviers d’un parcours plus facile, ce sont autant de thématiques qui nous unissent.