3 questions à Nadège Passereau, déléguée générale de l’ADSF
Créée au Costa Rica en 1987, la Journée internationale d'action pour la santé des femmes vise à combattre les problèmes d’accès à des services de santé de qualité pour les femmes. À l’occasion de son édition 2020, Nadège Passereau, déléguée générale de l’Association pour le Développement de la Santé des Femmes (ADSF), fait le bilan des activités de ses équipes pendant la crise et rappelle la nécessité de mettre en place une politique de santé véritablement adaptée aux femmes.
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De quelles façons la pandémie et le confinement ont-ils impacté la situation des femmes que vous accompagnez ?
L’Association pour le Développement de la Santé des Femmes intervient auprès des femmes en situation de grande exclusion, et donc de grande précarité. Nous accompagnons ainsi des femmes migrantes, des victimes de violences et/ou de traite, des usagères de drogues… Et si la période est difficile pour tout le monde, pour cette population, c’est la triple peine.
Lorsque la pandémie a éclaté, un grand nombre de ces femmes a eu des difficultés à accéder à des soins et poursuivre leurs traitements, et, du fait de leur isolement, ne comprenaient pas véritablement ce qu’il se passait. Et quand elles ont su, la peur de la maladie ne les a pas épargnées. Bien entendu, elles ne disposaient pas de quoi se protéger, des masques au toit pour se confiner. La pandémie a par ailleurs largement aggravé la situation des femmes vivant de la mendicité ou de la prostitution. Nous avons vu des situations alimentaires gravissimes, des femmes qui nous appelaient parce qu’elles ne pouvaient pas du tout se nourrir. Celles qui devaient payer des loyers sous contrainte (prostitution…) étaient menacées d’exclusion, de se retrouver à la rue.
Or, la période a été assez compliquée dans la rue, où il n’y avait plus la fréquentation habituelle. Les femmes sans-abri, on le sait, ont tendance à s’invisibiliser dans les lieux publics fréquentés pour se protéger. Elles se sont retrouvées très exposées d’un coup, et de nombreuses femmes habituellement éloignées de l’association car elles avaient leurs propres stratégies de protection nous ont demandé de la mise à l’abri en urgence. Les violences dans la rue se sont accrues et tendues.
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Comment l’ADSF a-t-elle géré ces nouveaux besoins lors de cette période pendant laquelle de nombreuses associations ont dû fonctionner avec moins de bénévoles ?
Nos équipes sont aux deux tiers des professionnels de santé, donc forcément, ils sont montés au créneau. Et sur nos 270 bénévoles d’Île-de-France, 80 sont également du métier. Nous avons bien constaté une petite baisse, surtout des bénévoles mobilisés par leur métier dans le système hospitalier, mais celle-ci a été compensée par les professionnels de santé exerçant en libéral qui se sont spontanément engagés auprès de nous. Nous avons donc eu une ligne de santé qui s’est mobilisée à hauteur de la pandémie, et l’association a redoublé d’efforts.
Avec les professionnels de la psychiatrie, nous avons mis en place une importante campagne téléphonique. Elle nous a permis de faire de la veille sanitaire auprès des 2 500 femmes qu’on avait accompagnées les deux dernières années, pour prendre de leurs nouvelles mais aussi faire un état des lieux de leurs besoins. Cela nous a permis d’organiser la distribution de repas et de kits d’hygiène. Nous avons également reçu énormément d’appels émanant de femmes isolées ou en situation de violence auprès de qui nos psychologues sont intervenus. En tout, 1 141 femmes ont été contactées par téléphone, et 801 ont été recontactées pour surveiller leur situation.
Nous avons abandonné un certain nombre de nos maraudes habituelles, et avons à la place organisé des marches et passages en camion deux fois par jour dans les lieux où nous savions que la situation était particulièrement difficile, dans le nord-ouest et le nord-est de Paris. Nous avons continué de nous rendre dans les hôtels qu’on avait l’habitude de couvrir, et suite aux appels que nous avons reçus, nous avons distribué des paniers alimentaires et des chèques services dans certaines villes comme Sarcelle ou Saint-Denis. Alors qu'habituellement, nous ne faisons que de la veille alimentaire, de la sécurité alimentaire, nous y avons tout bonnement apporté du renfort alimentaire. Nous avons également fait de la veille sanitaire, sensibilisant au virus et aux gestes barrières, et avons procédé à des tests de Covid-19.
Le camion de maraude de l’ADSF avec Amélie, psychologue et référente santé de la Cité des Dames, Anne, sage-femme, et Alice, travailleuse sociale. Elles se préparent à distribuer des kits d’hygiène, enrichis depuis la pandémie de masques, de gel hydroalcoolique et de savon. Crédit photo : Carenews.
Ensuite, nous avons rapidement fermé la Cité des Dames, notre lieu d’accueil et d’accompagnement des femmes sans-abri seules dans le XIIIe arrondissement de Paris, car elle est très vite devenue un cluster de coronavirus. Nous y avons maintenu les 50 femmes qui s’y trouvaient en confinement, sur place ou à l'hôtel — ayant des troubles psychologiques forts ; certaines n’auraient pas tenu en confinement à plusieurs. Nous avons en parallèle mis à l’abri à l'hôtel environ 130 femmes avec enfant(s), pour un total de plus de 1 500 nuitées sur les deux mois et demi. Et, bien sûr, nous avons fourni à toutes ces bénéficiaires des kits d’hygiènes, des paniers repas chaque jour, des chèques services, et un suivi médical et psychologique.
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Quels sont pour vous les grands enjeux de cette Journée Internationale d'action pour la santé des femmes ?
Concernant nos bénéficiaires, nous sommes actuellement dans l’attente des mesures de l’État et de l’évolution du déconfinement. Parce que même si nous n’avons pas vocation à faire de l'hébergement, nous ne remettrons personne à la rue.
Pour cette Journée Internationale d'action pour la santé des femmes, plus largement, nous continuons de militer pour une santé « de genre », véritablement adaptée aux femmes. Le corps de la femme n’est pas un corps d’homme comme les autres, et mérite une médecine spécifique. La santé des femmes, ce n’est pas uniquement gynécologique, ce sont des besoins physiologiques, un corps qui fonctionne différemment et une société qui traite ce corps différemment de celui des hommes. Au-delà des maladies typiquement féminines, on se rend compte que les femmes sont subjectes à de nombreuses pathologies, notamment aux AVC, sous des formes différentes des hommes, et qu’elles n’ont pas bénéficié de prévention adaptée. Le Covid-19 a été une preuve de cette différence, il a été constaté que les femmes sont moins atteintes. Il est donc primordial qu’elles aient accès à une prévention de santé adaptée et bien plus importante qu’actuellement, et ce dès le plus jeune âge. Cela peut sembler un peu bateau, mais nous avons toutes et tous à y gagner : plus on améliore la santé des femmes, plus on améliore d’une manière générale la société dans son ensemble.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau