Aller au contenu principal
Par Carenews INFO - Publié le 17 juin 2020 - 09:00 - Mise à jour le 17 juin 2020 - 09:00
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

[EN IMAGES] Marie Boiseau, illustratrice indépendante : « C'est très difficile de concilier éthique et travail »

« Mon travail concerne surtout les femmes, mais je m'inspire aussi des couleurs et des formes de la nature, de la sexualité, des petites choses de la vie quotidienne et des étrangers croisés dans les rues. » C’est ainsi que se présente Marie Boiseau, illustratrice indépendante diplômée de l’École européenne supérieure de l'image d'Angoulême. Celle qui illustre chaque mois la rubrique « Ceci est mon corps » du magazine Causette nous confie aujourd’hui ses difficultés, ses doutes, mais aussi ses espoirs quant à la profession.

L'illustration complète peut être retrouvée sur le site de Marie Boiseau : marieboiseau.com
L'illustration complète peut être retrouvée sur le site de Marie Boiseau : marieboiseau.com
  • Votre travail se concentre principalement sur les femmes, le rapport aux corps et à la sexualité, qui sont des thèmes centraux dans les mouvements politiques actuels. Vous définissez-vous pour autant comme une artiste engagée ?

C'est une question que je me pose moi-même depuis pas mal de temps, et à laquelle je n'ai pas de réponse. Comme je dessine principalement des femmes grosses, poilues, le genre de femmes généralement absentes des médias, j'imagine que mon travail est engagé. Mais l'affirmer me fait tout de même peur, parce que j'ai l'impression que cela revient à affirmer que je détiens la vérité, ou que je n'ai pas le droit à l'erreur. Il y a beaucoup de choses et de valeurs auxquelles je crois, mais je n'ai pas toujours le bagage intellectuel pour les défendre correctement.

  • Le 5 juin dernier, vous avez mis en vente une illustration dont les bénéfices ont été reversés à deux collectifs français engagés dans le mouvement #BlackLivesMatter. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé votre démarche ?

La première partie des bénéfices a été reversée au comité Vérité pour Adama, créé notamment par Assa Traoré, la sœur d'Adama Traoré [jeune homme de 24 ans décédé le 19 juillet 2016 à la gendarmerie de Persan (Val-d'Oise) suite à une interpellation policière, NDLR]. Ce collectif vise à soutenir la famille Traoré dans sa longue quête de justice débutée en 2016. La seconde partie des bénéfices a été reversée à l'Observatoire national des violences policières, une association créée en 2016 par des proches de victimes de violences policières. Cette association sert de relais médiatique concernant ces violences mais apporte aussi des conseils aux personnes s’estimant injustement violentées par la police et ne sachant pas comment, ni à qui s'adresser dans ce cas. L’association a également créé Urgences violences policières, une application permettant de filmer en toute sécurité les violences policières.

Pour soutenir le mouvement Black Lives Matter, Marie Boiseau a mis en vente une illustration dont les bénéfices ont été reversés à des collectifs contre les violences policières.
Le 5 juin 2020, Marie Boiseau a mis en vente une illustration dont les bénéfices ont été reversés à deux collectifs contre les violences policières.

 

Ma démarche a surtout été motivée par le fait de savoir que je pouvais réunir des dons grâce aux personnes qui me suivent : je l'avais déjà fait en mars dernier à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes. J'ai parfois l'impression que les gens n'osent pas trop donner, ou ne prennent pas le temps de s'intéresser à comment le faire, où le faire. Avec ce moyen, c'est peut-être plus simple. Mais je ne veux surtout pas être félicitée ou qu'on m'offre une gommette de bonne conduite ! J'ai l'impression qu'on tend trop souvent à féliciter les personnes blanches qui se conduisent juste « normalement », alors que derrière tout ça, il y a énormément de personnes non-blanches qui font un travail d'éducation incroyable, souvent peu mis en valeur.

  • En 2019, vous avez refusé une collaboration avec une marque de t-shirt, car celle-ci ne proposait pas de grandes tailles. En tant qu’illustratrice indépendante, trouvez-vous qu’il est difficile de concilier éthique et travail ?

La marque proposait des grandes tailles, jusqu'au 3XL, mais ce n'était pas assez. 3XL est une manière un peu malhonnête de faire croire que c'est une « très grande taille » alors qu'au final, c'est juste du 52. Et des femmes faisant plus que du 52, il en existe beaucoup.

Oui, c'est très difficile de concilier éthique et travail. Être illustratrice, c'est souvent créer des images servant à faire de la communication. Malgré ça, j'essaie de rester un maximum fidèle aux valeurs que je véhicule dans mon travail. Même si je conçois que lorsqu'on débute, il est difficile de faire ce choix. Il faut bien qu'on mange, nous aussi ! Cela reste un métier précaire.

Récemment, j'ai également refusé un gros contrat avec une marque qui vends des produits minceur, voire des substituts de repas visant à culpabiliser et faire mincir les femmes. Ils se sont rendu compte qu'en 2020, les choses bougeaient un peu, et voulaient redorer leur image en proposant une campagne visant à représenter « la femme d'aujourd'hui ». Mais selon moi, ce n'est que de la poudre aux yeux. Ils continuent à vendre des produits estampillés « minceur », « detox » et à parler de régimes miracles. Accepter ce genre de contrat, même s’il y a de gros sous en jeu, est impossible pour moi. Ça serait vraiment hypocrite de ma part.

Être illustratrice, c'est souvent créer des images servant à faire de la communication. Malgré ça, j'essaie de rester un maximum fidèle aux valeurs que je véhicule dans mon travail.

Marie Boiseau dessine principalement « des femmes grosses, poilues, le genre de femmes généralement absentes des médias ».
Marie Boiseau dessine principalement « des femmes grosses, poilues, le genre de femmes généralement absentes des médias ».

Depuis peu, beaucoup de marques sentent le vent tourner et surfent sur des tendances féministes, body-positive, etc. C'est compliqué de savoir qui est sincère ou non. Est-il même possible qu'une marque soit sincère là-dessus, dans la mesure où son but principal est de vendre un produit ? Et d'un autre côté, on peut aussi se dire que c'est comme ça que les choses évoluent, avancent, avec des marques qui montrent plus de diversité. C'est vraiment une question compliquée.

  • Quelles sont les difficultés rencontrées par une illustratrice lorsqu’elle souhaite vivre de son travail ? Quelles pratiques souhaiteriez-vous voir disparaître de la profession ?

La difficulté réside dans le fait que beaucoup de personnes ne considèrent pas ça comme un travail. C’est encore plus le cas lorsqu’on fait un travail engagé, car beaucoup de personnes pensent alors qu’on est enclin·e à dessiner « pour la cause », gratuitement. Malheureusement, ça ne peut pas marcher comme ça indéfiniment ! La pratique que j'aimerais vraiment voir disparaître, ce sont les propositions de bosser en échange de « visibilité ». C'est vraiment ne pas considérer notre travail du tout. J'ai aussi énormément de mal avec le principe du « repost » sur Instagram, qui me donne l'impression que mon travail est complètement à disposition de chacun·e. Encore plus lorsque ce sont des marques qui repostent mon travail.

La pratique que j'aimerais vraiment voir disparaître, ce sont les propositions de bosser en échange de « visibilité ». C'est vraiment ne pas considérer notre travail du tout.

Dans le cas des illustratrices indépendantes comme dans n'importe quel autre métier, « la visibilité ne paie pas le loyer » ! | Illustration : Marie Boiseau
Dans le cas des illustratrices indépendantes comme dans n'importe quel autre métier, « la visibilité ne paie pas le loyer » ! | Illustration : Marie Boiseau
  •  
  • Pouvez-vous nous parler d’une collaboration dont vous êtes fière ? Et comment peut-on se procurer votre art ?

J'ai beaucoup aimé faire parti du magazine Women who do stuff. C'était très touchant de voir cet objet fait uniquement par des femmes, et qui parle des femmes. En septembre, je sors un album jeunesse [La girafe pas de cou, éditions Les 400 coups, NDLR] et je travaille également pour le journal en ligne Mâtin, dans lequel j'illustre une chronique qui parle de permaculture. Je bosse également sur plusieurs autres petits projets dont je ne peux malheureusement pas encore parler ! Ma boutique en ligne est momentanément fermée, mais je compte la ré-ouvrir tout bientôt. Stay stuned !

Propos recueillis par Axelle Playoust-Braure

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer