Et si on rémunérait les gens selon leur utilité dans la société ?
Le modèle économique sur lequel s’appuie notre société a montré ses limites durant la crise de la Covid-19. Le personnel de santé a notamment subi le manque de moyens mis à leur disposition. Plus généralement en France, on constate aujourd’hui de grands écarts de rémunération, qui s’accompagnent d’une sous-valorisation des métiers utiles à la société. Reconnaître l’importance de l’utilité sociale pourrait-il aider à remédier aux inégalités ?
Comment s’explique le modèle de rémunération actuel ?
C’est sur la théorie capitaliste que se fonde le modèle de rémunération actuel. Adam Smith l’expliquait en 1776 à l’aide de la métaphore de l’eau et du diamant. En comparant une matière utile, disponible en grande quantité et donc de faible valeur - l’eau - à une matière inutile et rare, alors de très grande valeur - le diamant -, il nous fait comprendre que dans la société, la valeur de toute chose est inversement proportionnelle à son utilité.
Selon la morale capitaliste, l’utilité n’a donc jamais été au fondement de la valeur. Les biens et les services indispensables à la société devraient être accessibles à tous. Ainsi, les métiers utiles à la société ne s’accompagnent pas d’une grande rémunération. Par exemple, si le salaire des personnels infirmiers dépasse par exemple très rarement les 2 000 euros, cela s’explique par le fait que chaque citoyen doit avoir accès à leur service, sur le fondement du droit à la santé.
Qu’impliquerait un changement de système ?
Un changement de système entraînerait alors un changement au niveau des emplois, plus précisément en termes de hiérarchie. Certains emplois perdraient en importance comme le métier de commercial, tandis que d’autres gagneraient en valeur comme le métier de pompier. Il serait par ailleurs nécessaire de définir le terme utile, ce qui soulève de nombreuses questions. Le gouvernement sera-t-il en charge de cette définition ? Un métier est-il considéré comme utile s’il ne l’est que pour un groupe en particulier ? Et plein d’autres encore. Passer d’une rémunération fondée sur un système capitaliste à une rémunération suivant une logique d’utilité sociale pourrait donc provoquer un bouleversement du marché du travail.
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Quels seraient les bienfaits de la rémunération de l’utilité sociétale ?
En tout cas, si l’utilité sociétale était mieux rémunérée, plus de personnes exerceraient des métiers dans le domaine de la santé, de l’éducation ou encore des forces de l’ordre (exemples : infirmiers, professeurs, policiers, etc.). En effet, il s’agit de métiers contraignants (garde de nuit etc.), assez mal payés et psychologiquement durs. Ces facteurs sont d’autant plus remarquables en cette période de crise sanitaire où les soignants ne comptent plus leurs heures et risquent même leur vie.
Par ailleurs, peut-être que les jeunes générations se dirigeraient vers des métiers qui leur plaisent vraiment sans avoir la crainte de ne pas réussir à boucler les fins de mois. En effet, selon un sondage GFK plus de la moitié des Français avoue ne pas aimer leur travail. Toutefois, l’utilité est aujourd’hui plus associée aux activités exercées de façon bénévole, dans des associations, qui représentent une part importante de l’économie sociale. La rémunération de l’utilité sociétale permettrait-elle d’attirer plus de “bénévoles”, ou au contraire, le bénévolat n’est-il pas une preuve que l’utilité dans la société n’a pas besoin d’être rémunérée ? Qu'elles voient leurs salaires augmenter ou non, les personnes exerçant des métiers d’utilité sociale se sentent mieux, car elles ont bonne conscience. L’utilité reste moralement reconnue et gratifiée. Contribuer au bien-être de la société génère un sentiment de satisfaction assez pur. Et, accompagner celui-ci d’une contrepartie financière provoquerait évidemment un doute quant aux réelles intentions de la personne rendant ce service à la société.
Louise Marchal et Inès Dietsch