Migrants environnementaux : les premières victimes du changement climatique
La lutte contre les changements climatiques est l’un des 17 objectifs de développement durable énoncés par l’ONU. Montées des eaux, sécheresses récurrentes, incendies naturels, tempêtes… Les conséquences de ce phénomène ont entraîné, en 2019, le déplacement contraint de près de 25 millions de personnes.
La France a-t-elle accueilli son premier « réfugié climatique » ? Une question soulevée en décembre dernier à la suite d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux. Cette dernière a annulé l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) d’un réfugié Bangladais souffrant de maladies respiratoires graves, jugeant qu’un retour dans son pays d’origine, touché par une forte pollution atmosphérique, l’exposerait « à un risque d’aggravation de son état de santé et de mort prématurée ».
« Ce n’est pas un cas de réfugié climatique. Il y a eu un gros problème de transformation de l’information », recontextualise Marine Denis, experte en droit international spécialisée sur la construction d’une protection juridique accordée aux personnes déplacées par le changement climatique. Elle accorde cependant une première avancée juridique « qui est aussi une preuve qu’on intègre la dimension climatique. » La décision du juge a en effet reposé sur des considérations médicales et pris en compte la pollution de l’air au Bangladesh qui constituait un risque de détérioration de son état de santé. « On n’est pas sur la reconnaissance d’un nouveau statut de séjour légal pour des raisons climatiques », souligne la doctorante en droit international.
Déplacés ou migrants environnementaux
Par ailleurs, parler de réfugié est, d’un point de vue juridique, incorrect. Cette terminologie fait référence à un concept légal défini par l’article 1 de la Convention de Genève de 1951 et peut être attribué à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (...). » La question climatique et environnementale n’est donc pas prise en compte dans ce texte fondateur du droit international concernant les migrations.
Le Secours Catholique-Caritas France, qui a publié en 2020 une note d’analyse et de positionnement sur la question, préfère employer le terme de migrant environnemental comme le définit Laura Morel, chargée de plaidoyer international : « Cela correspond à toute personne qui, essentiellement pour des raisons liées à un risque environnemental soudain ou progressif ou à l’anticipation de ces risques, est contrainte ou a choisi de quitter son foyer habituel, de façon temporaire ou définitif et de franchir une frontière. » Marine Denis préfère, quant à elle, parler de déplacés environnementaux ou climatiques, jugeant que parler de migrants occulte les « déplacements intra-pays ».
Un phénomène difficile à quantifier et des facteurs multiples
Les organisations peinent à réaliser des prévisions sur l’ampleur de ces déplacements et migrations. Première raison : s’il est possible de chiffrer ceux qui ont lieu à la suite d’un événement environnemental soudain comme une catastrophe naturelle, « il est plus difficile de mesurer les déplacements qui ont lieu dans un contexte d'événements environnementaux à déclenchement lent, comme l’érosion côtière ou la salinisation des sols », relève la chargée de plaidoyer du Secours Catholique-Caritas France.
Se pose également la question de savoir si l’on parle seulement des personnes qui traversent une frontière ou si l’on inclut celles qui se déplacent à l’intérieur de leur pays. Des paramètres et des échelles de débats qui faussent et rendent impossible une réelle estimation de l’ampleur du phénomène. Opposée à la politique du chiffre, Marine Denis estime « qu’il est plus intéressant de se concentrer sur les responsabilités des États et de la communauté internationale. »
Tous les acteurs s'accordent cependant sur un point : même s’il est difficile de déterminer à quelle vitesse et dans quelles circonstances cela aura lieu, le nombre de déplacements forcés liés à des événements environnementaux ou aux effets du changement climatique va augmenter.
Un cadre juridique existant mais non contraignant
Les déplacements liés à des facteurs environnementaux ou climatiques n’étant pas pris en compte dans la Convention de Genève de 1951, « ce vide juridique dans le droit international », comme le qualifie Laura Morel, induit de facto la non-protection de ces personnes, qui ne peuvent pas prétendre à un statut légal de réfugié.
Des textes internationaux et régionaux, tel que le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, commencent cependant à introduire ces facteurs. Aussi connu sous le nom de Pacte de Marrakech, il a été mis en place par l’ONU et adopté en 2018. « Il reconnaît les effets du changement climatique comme un facteur négatif et propose des mesures concrètes pour les personnes qui sont déplacées dans le contexte de changements climatiques, par exemple, le développement de visas humanitaires ou un statut de protection temporaire ou permanent », détaille Laura Morel. Ce cadre juridique n’est néanmoins pas contraignant et laisse les États disposer d’eux-mêmes.
Face à cette question de la protection des migrants environnementaux, certaines organisations plaident pour la modification de la Convention de Genève. Une mesure à laquelle le Secours Catholique-Caritas France n’est pas favorable, estimant que « rouvrir la Convention de Genève de 1951 représenterait de gros risques de fragiliser le texte existant. Cela serait un peu comme ouvrir la boîte de Pandore. »
Un autre volet du plaidoyer du Secours Catholique-Caritas France repose sur la lutte contre les effets du changement climatique et contre la hausse de la température. L'organisation internationale défend ainsi le respect de l’Accord de Paris qui contraint les pays signataires à contenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle.
- 1951 : Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Elle n’inclut par les facteurs environnementaux et climatiques.
- 1972 : La Déclaration de Stockholm soulève les enjeux climatiques et environnementaux comme représentant une menace sur les droits fondamentaux.
- 1985 : Un rapport du PNUE (Programme des Nations unies pour l’Environnement) introduit le concept de « réfugiés de l’environnement ».
- 2015 : Le Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices est intégré dans le préambule de l’accord de Paris. Il repose sur un fonds de compensation pour les États les plus démunis face aux effets du changement climatique.
- 2016 : Création de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes (Platform on Disaster Displacement) qui donne suite à l’initiative Nansen lancée en 2012.
- 2018 : Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, aussi appelé Pacte de Marrakech.
Lisa Domergue