Pascal Demurger : « Le changement n’est pas l’apanage des activistes »
Le directeur général du groupe MAIF Pascal Demurger prend actuellement souvent la parole, en particulier pour défendre le statut de société à mission. On a donc profité du sommet d'innovations pour la planète ChangeNOW pour converser avec lui et parler des évolutions de son entreprise, de radicalité ou encore d'investissements responsables.
- Pourquoi participer à un évènement tel que ChangeNOW ?
Pour nous, c’était une évidence. Nous sommes convaincus que nous devons contribuer à un vrai changement, et ce de deux manières. Il y a d’abord, naturellement, nos actions envers l’environnement, la société et nos parties prenantes. Notre deuxième levier d’action, c’est de communiquer sur ces sujets pour montrer que le changement n’est pas seulement l’apanage des activistes, des ONG ou des startup engagées, mais qu’il concerne aussi les grands groupes. Il faut également démontrer – et pour moi, c’est un élément déterminant – qu’il peut être générateur de performance. À la MAIF, la performance de l’entreprise repose très largement sur sa recherche d’impact, sur son engagement, sur sa sincérité, et même sur une certaine forme de radicalité.
- Qu’entendez-vous par radicalité ?
La radicalité consiste par exemple à faire en sorte qu’un grand groupe ne s’engage pas simplement en marge de son activité, en ayant une fondation ou en faisant du mécénat. C’est très bien, mais cela demeure très largement insuffisant ; on ne peut pas simplement consacrer 5 % de ses bénéfices annuels dans des actions positives. Par radicalité, j’entends qu’une entreprise se doit de rechercher un impact positif dans chacune de ses actions, y compris au travers de ses fonctions support et dans tout ce qu’elle fait au quotidien.
- L’année dernière, vous avez lancé un projet pour que votre entreprise devienne l’une des premières grandes sociétés à mission. Vous êtes souvent cité en exemple d’entreprise à raison d’être. À date, où en est le processus ? Quelles sont les parties prenantes de cette évolution ? Avez-vous consulté vos collaborateurs et vos clients ?
Nous avons tenu une assemblée générale fin mai 2019, au moment de la parution de la Loi Pacte et nous en avons profité pour annoncer notre ambition de figurer parmi les premières sociétés à mission. De fait, nous avons été le premier grand groupe à annoncer cette intention et à nous positionner sur cette voie. Dans l’intervalle, la loi a été publiée et les décrets d’application sont parus très récemment [au mois de janvier 2020]. Nous avons profité du délai de parution pour travailler en interne sur le processus. Il s’agit d’inscrire dans nos statuts une raison d’être, d’écrire nos engagements et nos objectifs d’impact, de créer un comité de suivi de la mission et en inscrire le principe dans nos statuts pour enfin se soumettre au regard d’un organisme extérieur.
La définition des engagements est particulièrement importante, car elle permet de mesurer la sincérité de la démarche et de juger l’entreprise sur ses objectifs. Afin de créer une vraie dynamique autour de cette évolution, et pour s’assurer que nos engagements correspondaient bien aux aspirations de chacun, nous avons consulté nos 7 500 salariés. Nous avons aussi interrogé 200 000 sociétaires. Nous nous sommes donc inscrits dans une démarche très participative. Actuellement, nous recevons les premiers éléments de réponse, qui vont nous permettre d’affiner les engagements que nous allons inscrire dans nos statuts.
Une assemblée générale extraordinaire aura lieu au mois de mai prochain afin d’entériner le passage au statut d’entreprise à mission. Ce ne sera pas un nouveau départ, mais cela constitue un vrai changement, car nous prenons des engagements publics et irréversibles.
- Vous êtes l’un des premiers groupes à avoir cette démarche. Les contraintes internes et externes doivent donc être extrêmement fortes. Comment vous y êtes-vous préparé ?
Nous nous lançons effectivement dans l’inconnu. Une entreprise qui se lancerait dans cette démarche en se disant qu’il s’agit simplement d’une magnifique occasion de communiquer, d’embellir la marque ou de convaincre de futurs consommateurs, et qui n’aurait que cet objectif en tête, prendrait un risque énorme. Elle pourrait se faire démasquer. Si on est sûr de soi et que l’on s’y adonne avec sincérité sur la base de ses réalisations, le risque devient alors relativement minime. Les engagements que nous allons prendre correspondent à des choses que nous voulons réellement faire.
- Comment comptez-vous vous assurer que le message fort que vous portez imprègnera durablement votre entreprise ?
Il est vrai que ces sujets-là sont des sujets incarnés, j’en ai parfaitement conscience. Le fait de devenir une société à mission et de l’afficher clairement aux côtés de nos engagements a un côté irréversible. Si, demain, la gouvernance de l’entreprise changeait et si elle avait la tentation de revenir en arrière, ce serait extrêmement compliqué. Nous inscrivons ici un engagement irrévocable.
- Vous avez prononcé une phrase : « Ce sont les dirigeants qui disposent des leviers les plus puissants pour changer le monde, même si ce sont les moins motivés pour les utiliser.» Selon vous, que faut-il pour entraîner d’autres dirigeants ? Est-il nécessaire de contraindre plus fortement les entreprises ou les dirigeants ?
Pour que les entreprises basculent, il faut à mon sens démontrer deux choses. La première, c’est qu’on ne peut plus ignorer l’attente sociale extrêmement forte. Un dirigeant qui l’ignore prend d’énormes risques. Aujourd’hui, il est compliqué pour une entreprise qui ne s’engage pas d’attirer des talents ou de les retenir. Il deviendra compliqué demain de convaincre les consommateurs : l’engagement des entreprises est devenu un critère de consommation déterminant. Pareil pour les épargnants. Les fonds de gestion d’actifs commencent à exprimer leur sensibilité sur le sujet. La deuxième manière de convaincre les dirigeants est tout simplement de leur montrer que ça marche. On peut avoir un impact réel, tant sur l’environnement que sur ses parties prenantes immédiates, tout en créant de la performance.
- Nous parlons ici de la performance de l’entreprise. Mais ne faudrait-il pas aussi imposer des contraintes personnelles aux dirigeants ? Nous avons beaucoup parlé des entreprises, mais qu’est-ce qu’un dirigeant a à y gagner, au-delà de la performance ?
D’après mon expérience, il est plus stimulant et épanouissant de faire correspondre ses convictions avec sa pratique. De plus en plus de dirigeants sont concernés par ces sujets-là, ne serait-ce que parce qu’ils ont eux-mêmes des enfants. Pouvoir se réconcilier, en tant que dirigeant, avec l’homme, le père et le citoyen que l’on est, c’est apaisant.
C’est l’un des avantages du statut d’entreprise à mission. Dès lors que vous élargissez votre objet social et que vous inscrivez votre raison d’être, juridiquement, vous fondez une légitimité à agir en dehors de l’objet social de votre entreprise. Dit autrement, si le dirigeant d’une entreprise cotée agit en faveur de l’environnement ou la société, ses actions ne peuvent être remises en question par un actionnaire pour qui ces dernières ne feraient pas partie du périmètre de l’objet social de l’entreprise. Ça le protège.
- Au-delà de ces questions, pourquoi est-il important pour vous d’investir dans les entreprises du secteur de l’ESS ?
Quand on est gestionnaire d’actifs et que l’on flèche ses investissements sur des entreprises à impact, on dispose d’un levier extrêmement puissant pour changer le monde. Si, demain, les grands fonds de gestion et de pension se mettaient à inscrire dans leur thèse d’investissement la recherche d’impact, ça changerait complètement le monde. Notre volonté n’est pas seulement de participer, mais aussi être à la pointe de ce mouvement !
Nos investissements sont à 100 % socialement responsables. Nous avons également créé des fonds spéciaux engagés. MAIF Avenir accompagne les startup et notamment la Tech for good. MAIF Transition accompagne la transition agricole et énergétique en France. Et MAIF ISS (Investissement Social et Solidaire) est dédié au financement des entreprises à impact, quel que soit leur secteur.
Propos recueillis par Flavie Deprez