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Par Carenews INFO - Publié le 4 août 2020 - 09:00 - Mise à jour le 4 août 2020 - 09:00
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Qu’est-ce que l’altruisme efficace?

Aider les autres, c’est bien, mais aider les autres le plus possible, c’est mieux. Le deuxième article de nos cahiers de vacances solidaires est dédié à l’altruisme efficace, philosophie et mouvement social âgé d’à peine 15 ans, qui mobilise la démarche scientifique pour trouver les moyens les plus efficaces de rendre le monde meilleur.

L'altruisme efficace mobilise la démarche scientifique pour trouver les moyens les plus efficaces de rendre le monde meilleur. Crédit photo : lovelyday12.
L'altruisme efficace mobilise la démarche scientifique pour trouver les moyens les plus efficaces de rendre le monde meilleur. Crédit photo : lovelyday12.

 

Le 5 juillet 2016, dans un amphithéâtre bien rempli de la Sorbonne, a eu lieu le lancement officiel de l’association Altruisme Efficace France. L’événement s’est fait en présence de Peter Singer, philosophe australien spécialisé en éthique, et d'Hélène Giacobino, alors directrice du laboratoire d’action contre la pauvreté J-PAL Europe. En combinant l’empathie et la réflexion, l’altruisme efficace nous encourage à « dédier une part significative de notre vie à l’amélioration du monde, et [à] chercher avec rigueur à identifier les moyens de faire le plus de bien ».

Une approche impartiale de l’altruisme

Ce qu’on entend par faire le bien est loin de faire consensus. Mais la communauté de l’altruisme efficace s’accorde généralement sur le fait que « toutes choses égales par ailleurs, un monde où il y a moins de souffrance et plus de bonheur vaut mieux qu’un monde où il y a plus de souffrance et moins de bonheur ». Tendre vers cet horizon consiste dès lors à maximiser son impact positif, entendu comme le fait de « promouvoir le bien-être de façon impartiale et sur le long terme ». De qui faut-il promouvoir le bien-être ? La réponse peut sembler évidente : tou·te·s les humain·e·s actuellement dans le besoin. Mais pour les altruistes efficaces, il ne s’agit que d’une partie seulement des individus à qui nous pouvons venir en aide. La plupart endossent en effet une position morale dite sentientiste, selon laquelle le groupe des individus qui comptent moralement est celui des êtres sentients, ou sensibles, c'est-à-dire pouvant pâtir de mauvais traitements ou jouir de conditions de vie plus favorables. Les animaux et les membres des générations futures sont et seront également des êtres affectés par ce qui leur arrive(ra) ; leurs intérêts propres — à ne pas souffrir, à avoir des vies épanouies — sont donc à prendre en compte de façon impartiale dans nos raisonnements et nos actions en faveur de l’intérêt général. En d’autres mots, les altruistes efficaces tentent d’adopter le « point de vue de l’Univers », point de vue qui ne favorise les intérêts de personne mais les considère tous de façon égale.

Une récente estimation porte à environ 6 500 le nombre de personnes actuellement impliquées dans l’altruisme efficace à travers le monde. Altruisme Efficace France estime pour sa part à environ 300 le nombre de personnes actives en France.

En 2019, une enquête menée auprès de la communauté internationale (2 513 réponses valides prises en compte) donne un aperçu des caractéristiques démographiques de celle-ci. Un constat s’impose : l’altruisme efficace est aujourd’hui — et depuis ses débuts — très homogène. Les individus sondés sont le plus souvent des hommes (71 %), blancs (87 %), agnostiques/athés (86 %), politiquement de gauche (72 %) et âgés de 25 à 34 ans (52 %). Neuf personnes sondées sur dix sont engagées dans des études supérieures et/ou détiennent un diplôme de l’enseignement supérieur : 30 % ont un master, 16 % un doctorat. Seules 4 % des 2 513 personnes sondées déclarent vivre en dehors des États-Unis et de l’Europe. Près de la moitié (46 %) déclare être végétarien·ne·s ou véganes : par rapport au régime alimentaire occidental standard, les altruistes efficaces sont ainsi environ dix fois plus susceptibles de ne pas manger d’animaux. Autre fait notable : un·e répondant·e sur cinq déclare donner 10 % ou plus de ses revenus.

Quand choisir c’est renoncer, il faut prioriser

Les altruistes efficaces sont donc attaché·e·s au principe de « neutralité des causes ». Pour autant, nous faisons face à une multitude de problèmes différents, tous importants et tous urgents pour les individus qui les vivent... et il faut bien commencer quelque part. Recherche contre le cancer, lutte contre la malaria, bien-être animal... La question de la priorisation des causes fait généralement grincer des dents. Ne faut-il pas toutes les honorer, sans chercher à les hiérarchiser selon leur importance ? Pour les altruistes efficaces, la question de la priorisation des causes et des interventions ne se poserait pas si nous avions des ressources illimitées à allouer à la résolution des problèmes mondiaux. Nous pourrions en effet tout mener de front. Mais qu’il s’agisse d’argent, de temps ou de personnes disponibles, les forces altruistes ne disposent que d’une quantité donnée de ressources. Consacrer de l'argent et du temps à une cause, c’est donc faire un choix implicite de ne pas les consacrer à d'autres. L’enjeu de la priorisation, que celle-ci soit implicite ou recherchée, est un fait inévitable. Dès lors, plutôt que de nous tourner vers les causes les plus médiatisées, ou vers celles qui nous viennent spontanément à l’esprit parce que nous avons une expérience personnelle de la question, il s’agira d’investir nos ressources là où elles pourront faire le plus de différence pour le plus de bénéficiaires possibles. Et comme déterminer un tel potentiel d’impact ne s’invente pas, les altruistes efficaces ont généralement recours un cadre méthodologique permettant de comparer différentes causes, selon trois critères principaux :

  • L’ampleur. Combien d’individus sont concernés par ce problème ? À quel point ce problème a-t-il des conséquences sur leur qualité de vie ?

  • Le caractère plus ou moins négligé. Est-ce un problème reconnu, auquel beaucoup de ressources sont déjà consacrées et sur lequel beaucoup de personnes travaillent ?

  • Le potentiel de résolution. Peut-on identifier des solutions au problème ? Quelle fraction du problème peut-on espérer résoudre en augmentant les ressources qui y sont allouées ?

Consacrer de l'argent et du temps à une cause, c’est donc faire un choix implicite de ne pas les consacrer à d'autres. L’enjeu de la priorisation, que celle-ci soit implicite ou recherchée, est un fait inévitable.

Ainsi, une cause importante et négligée, mais dont on n’entrevoit pas clairement de pistes d’amélioration, ne sera a priori pas capable d’absorber utilement de fonds supplémentaires du moins, tant que des des pistes d’amélioration prometteuses n’auront pas été identifiées. De même, une cause importante et résoluble, mais qui reçoit déjà beaucoup d’attention et de financements, apparaît moins urgente qu’une cause également importante et soluble mais fortement négligée…

Quelle efficacité pour quel coût ?

Le Global Priorities Institute, centre de recherche affilié à l’Université d’Oxford, s’est spécialisé sur cet enjeu épineux qu’est la priorisation. Son objectif est de fournir des réponses à la question : Que devrions-nous faire avec une quantité donnée de ressources limitées, si notre objectif est de faire le plus de bien possible ? Car au sein d’une seule et même cause, beaucoup d’actions et d’interventions sont envisageables. Par exemple, avec 1 000 euros et trente heures de bénévolat à disposition, n’importe qui peut mettre en place une grande diversité d’actions. Mais toutes n’ont pas toutes le même potentiel d’impact : certaines ne produiront qu’un résultat modeste, voire contre-productif, tandis que d’autres pourront se révéler — parfois contre toute attente — particulièrement efficaces pour contribuer à la résolution du problème. L’intuition ne suffit généralement pas pour distinguer les premières des secondes. Les altruistes efficaces mobilisent alors une autre méthode, bien connu des économistes : les analyses coût-efficacité. Celles-ci permettent d’apprécier l’efficacité d’une intervention par quantité de ressource donnée, et donc aussi son efficience, c’est-à-dire son efficacité relative à d’autres interventions. Les interventions les plus efficaces sont celles qui, pour une même quantité de ressources, sauvent plus de vies, ou permettent un taux plus faible de contamination, ou soulagent la souffrance de davantage d’individus, ou ont un impact carbone plus faible… que les autres. Les analyses coût-efficacité, lorsqu’elles sont possibles et bien menées, peuvent ainsi orienter vers les interventions les plus prometteuses en terme d’impact.

Ces principes — impartialité morale, priorisation des causes, analyses coût-efficacité — donnent un aperçu de ce que recouvre l’altruisme efficace comme philosophie et comme démarche, mais ils ne permettent pas de déduire un panorama définitif du contenu du mouvement, de définir un répertoire fini de causes et d’interventions. Dans la mesure où le monde change et qu’éventuellement, des solutions partielles sont mises en œuvre en réponse aux problèmes identifiés, les analyses, priorités et recommandations du mouvement évoluent constamment. La communauté altruiste efficace est animée de nombreuses discussions et remises en question, cherchant à réviser ses opinions à la lumière des nouvelles informations disponibles et des résultats des recherches menées.

Déparasiter pour augmenter la fréquentation scolaire

Un exemple fréquemment mobilisé par les membres de l’altruisme efficace pour rendre compte de l’importance des analyses coût-efficacité est celui d’une recherche menée au Kenya au début des années 2000. Les résultats, publiée par Michael Kremer et Edward Miguel en 2004 dans la revue scientifique Econometrica, ont en effet montré que, par quantité donnée d’argent dépensée, les programmes de déparasitage étaient bien plus efficaces pour augmenter le nombre de jours de présence à l’école de jeunes Kenyan·ne·s que d’autres programmes d'intervention, tels que la distribution gratuite d’uniformes scolaires. Ces conclusions ont conduit l’organisation Evidence Action à mettre en place l’initiative Deworm the World, reconnue depuis plusieurs années par l’ONG GiveWell comme étant l’un des programmes les plus efficaces dans la lutte contre la pauvreté mondiale.

Changer la culture de l’engagement

En accordant une attention particulière à la démarche scientifique pour déterminer les causes prioritaires et les interventions prometteuses, l’altruisme efficace vient bousculer quelques certitudes. Il brise peut-être même un tabou : toutes les associations ne se valent pas, et certaines interventions accaparent des ressources qui pourraient être mieux utilisées ailleurs… Parfois, nous donnons parce que cela nous fait nous sentir bien, nous renvoie une image positive de nous-mêmes et nous apporte du capital social sous forme de prestige (le warm-glow giving). La question de l’efficacité passe alors au second plan. Dans le domaine de l’engagement comme dans d’autres domaines, nous privilégions souvent les anecdotes aux analyses, les histoires aux études scientifiques. Notre expérience personnelle et les témoignages de nos proches nous paraissent généralement plus saillants et convaincants que les conclusions impersonnelles d’études scientifiques menées par des personnes que nous ne connaissons pas. Il reste que les exigences éthiques et méthodologiques promues par l’altruisme efficace demandent du travail de recherche, du temps et des compétences spécifiques. Elles produisent parfois des résultats non concluants et des recommandations contre-intuitives. La communauté de l’altruisme efficace ne nie jamais la difficulté de l’entreprise, mais ne transige pas pour autant sur son impérieuse nécessité. Pour accompagner le monde de l’engagement vers davantage d’efficacité, elle mise sur une évolution progressive de ses normes ; elle valorise et encourage une culture militante du résultat, de la rationalité, de la remise en question et du don efficace. Elle félicite d'ailleurs celles et ceux qui changent d’avis, par exemple qui mettent fin à une intervention lorsqu’il devient clair que les ressources mobilisées par le projet pourraient avoir davantage d’impact ailleurs. Elle influence les mouvements sociaux et les particulier·e·s pour que la question de l’impact et de l’efficacité devienne un enjeu central, sans cesse mis en avant et discuté.

Axelle Playoust-Braure

Pour aller plus loin

Altruisme Efficace France

The Centre for Effective Altruism

Conférences EA Global

80,000 Hours

Animal Charity Evaluators

GiveWell

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