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Par Carenews INFO - Publié le 23 avril 2020 - 16:32 - Mise à jour le 28 octobre 2021 - 18:20
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Rana Plaza : 7 ans après, tirons toutes les leçons du drame

Si certains progrès ont été réalisés pour améliorer la sécurité dans les usines, l'ONG ActionAid France – Peuples Solidaires, montre dans cette tribune qu'il reste encore beaucoup à faire pour protéger les ouvrières du harcèlement de leurs supérieurs. Et dénonce aussi le manque d'éthique de certains donneurs d'ordres vis-à-vis de leurs sous-traitants dans la crise sanitaire actuelle.

Rana Plaza : 7 ans après, tirons toutes les leçons du drame. Crédit photo : Fabeha Monir / ActionAid.
Rana Plaza : 7 ans après, tirons toutes les leçons du drame. Crédit photo : Fabeha Monir / ActionAid.

Le 24 avril 2013 à Dhaka, la capitale du Bangladesh, l’immeuble du Rana Plaza s’effondrait. La chute de ce bâtiment de huit étages qui abritait six usines textiles, a tué 1 138 personnes (principalement des femmes) et en a blessé plus de 2 000. C’est à ce jour l'accident industriel le plus meurtrier au monde depuis la fuite de gaz de Bhopal en Inde, en 1984.  

Des progrès ont été faits depuis l’effondrement du Rana Plaza, puisque les grandes marques internationales ont accepté de signer en 2013 un « Accord pour la sécurité des bâtiments dans l’industrie textile » qui rassemble 222 entreprises du monde entier, 10 syndicats et quatre ONG « témoins », prolongé pour trois ans en juin 2018.

Grâce à cet accord, les accidents s’espacent et deviennent moins mortels, mais un problème de fond demeure : les multinationales qui se fournissent au Bangladesh, en Inde ou au Cambodge continuent de se comporter comme si elles n’avaient aucune responsabilité vis-à-vis des usines qui les fournissent.

L’organisation du secteur textile est un facteur de risques

En tant que clientes majoritaires, voire uniques, d’usines situées essentiellement en Inde, au Bangladesh… ou en Bulgarie, elles usent de leur influence pour réduire les coûts de production au maximum et imposer des délais de fabrication très courts. Cette situation fait peser énormément de pression sur les femmes qui sont majoritaires sur les chaînes de production.

Le recours à des contrats précaires, la faible syndicalisation et la subordination à des contremaîtres majoritairement masculins sont autant de facteurs qui favorisent l’émergence de comportements sexistes, de situations de harcèlement voire d’agressions sexuelles… et l’impunité des agresseurs.

Ainsi, une enquête menée par ActionAid en 2019 à Dhaka révèle que 80 % des personnes rencontrées  — c’est-à-dire 90 % de femmes — avaient déjà subi ou été témoins de harcèlement sexuel ou de violences au travail !

Contre la banalisation des violences faites aux femmes sur les chaînes de production, les grandes marques ont pourtant leur mot à dire… Elles sont en mesure de faire reculer ce climat d’impunité et de protéger les ouvrières qui produisent leurs vêtements en prenant quelques mesures simples de contrôle interne, de sanctions, et surtout d’amélioration du cadre général de travail.

ActionAid France milite depuis longtemps pour que les grandes marques s’attellent à la prévention et à la sanction de ces violences dans leurs chaînes d’approvisionnement, car il s’agit d’un phénomène de grande ampleur, qui brise des vies aussi sûrement que bien des incendies.

La crise actuelle révèle les failles d’un modèle intenable

La chute subite de la consommation due au confinement a entraîné bien sûr des baisses drastiques de commandes et surtout conduit les marques à faire jouer des clauses dans leurs contrats pour ne pas honorer les commandes en cours, parfois déjà produites. 

En Europe, les marques de prêt-à-porter auraient ainsi annulé, purement et simplement, plus de trois milliards de dollars de commandes auprès de leurs fournisseurs bangladais qui ont pourtant lancé la production, réglé leurs propres fournisseurs, et ne peuvent plus payer leurs salarié·e·s.

Rien qu’au Bangladesh, plus d'un million de personnes  — essentiellement des femmes  — auraient déjà été licenciées ou mises en congé à la suite des annulations de commande de la part des marques. D’après l’ONG américaine Worker Rights Consortium, 98 % des entreprises acheteuses ont refusé de contribuer au financement du chômage partiel et 97 % d’entre elles ont refusé de contribuer aux indemnités de licenciement des ouvriers et des ouvrières licenciées.

Le syndicats se mobilisent pour maintenir les salaires

Sur place, des syndicats se mobilisent pour protéger les ouvrières textiles. Ainsi à Gazipur, des négociations dans les usines de Hop Lun Ltd. ont permis de négocier le maintien d’une partie du salaire des ouvrières et la mise en place de mesures de protection contre le virus à la reprise du travail.

Mais le Bangladesh n’est pas le seul à voir ces problèmes émerger. Le Cambodge, la Thaïlande, le Vietnam et l'Indonésie, qui sont également des grands producteurs de l’industrie du textile, ont tous signalé des interruptions de production. Et tandis que de nombreuses personnes se retrouvent sans emploi, d’autres sont dans l’obligation de continuer leur activité dans des conditions sanitaires dangereuses. 

Le réseau Clean Clothes Campaign, dont fait partie ActionAid France, rapporte ainsi qu’en Indonésie, à Sukabumi, les employé·e·s des usines qui poursuivent leurs activités reçoivent seulement deux masques par semaine et les utilisent jusqu’à ce que leur état ne le permette plus. Ils ajoutent que les mesures de distanciation sociales sont impossibles, avec seulement 50 centimètres d’écart entre les postes de travail.

les ouvrières ont besoin de justice

Depuis plusieurs semaines, heureusement, de plus en plus de marques s'engagent désormais à payer les commandes en cours, comme Marks & Spencer ou H&M. Mais toutes ne le font pas et les problèmes de sécurité demeurent plus importants que jamais. Mais pourquoi faut-il la pression conjointe des médias et de citoyen·ne·s engagé·e·s pour que les multinationales assument leurs responsabilités auprès de celles et ceux qui assurent leur production ?

Alors que l’actualité braque notre attention sur les conséquences des mesures de confinement pour l’économie de notre pays, n’oublions pas les milliers de femmes qui produisent nos vêtements. Dans le « monde d’après » qu’il nous faut commencer à construire, les sociétés-mères et autres entreprises donneuses d’ordre s’assureront de conditions de salaires décents et de conditions de travail respectueuses de la dignité des personnes sur toute leur chaîne d’approvisionnement.

Nous pouvons les y inciter, en soutenant les négociations européennes et internationales pour la régulation des activités des multinationales !

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