[Reportage] Les « ReCréateurs », un atelier d’insertion qui taille en pièces la mode standardisée
À l’occasion de la Fashion Week, Carenews vous propose de repenser la mode. On vous présente aujourd’hui les ReCréateurs, un atelier d’insertion de l’association Emmaüs Défi. Il permet à des femmes auparavant sans domicile fixe de se former aux métiers de la couture, de gagner confiance en elles tout en favorisant la revalorisation textile.
Qu’elles sont loin ces usines de fabrication à la chaîne produisant des vêtements standardisés, dans des conditions sociales et environnementales qu’on n’accepterait pas chez nous. Dans le XIXe arrondissement de Paris, au cœur d’un atelier lumineux de l’espace culturel le Centquatre, des femmes fabriquent à la main (et à la machine) des accessoires et des vêtements à partir de tissus récupérés. Vide-poches en wax, chemises en patchwork, blouses et vestons à empiècements colorés : les salariées en insertion font preuve de créativité pour donner une seconde vie à des textiles qui, sans ça, finiraient sûrement à l’incinérateur.
Les « ReCréateurs » est un projet d’innovation sociale mené par l’association d’Emmaüs Défi depuis 2017. Outre un atelier bois qui emploie également cinq personnes, cinq femmes viennent ici se former à la couture. Auparavant sans domicile fixe, ayant pour la plupart connu la rue, elles sont employées par l’association Emmaüs Défi. Rémunérées au Smic horaire, notamment grâce aux financements publics de la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi), elles passent ici en moyenne deux ans et demi.
12 femmes bénéficiaires du projet
Orientées par des travailleurs sociaux et accompagnées notamment sur le plan de la santé et du logement par des conseillers de l’association, elles commencent par un premier contrat de six mois, le temps que leur situation se stabilise. Si tout se passe bien, elles poursuivent leur travail au sein de l’atelier et bénéficient de cours et de formations, notamment en français. Parfois avec le concours d’entreprises partenaires : la Fondation Chanel, qui a soutenu le projet à hauteur de 200 000 euros sur trois ans, a ainsi organisé des ateliers de présentation de soi, de vente ou encore de couture, grâce à la mobilisation de ses propres salarié·e·s.
Depuis le lancement de l’atelier, 12 femmes ont pu bénéficier de ce projet. Aucune n’a pour l’heure décroché d’emploi stable à l’issue de la formation, mais certaines ont ensuite pu intégrer d’autres chantiers d’insertion ou des formations diplômantes.
Un moyen de retrouver l’estime de soi
Pour ces femmes qui ont vécu des épreuves de vie particulièrement difficiles, et qui ont, en moyenne, vécu six mois à la rue, l’enjeu est déjà de retrouver l’estime de soi et une forme de stabilité. Pour Sophie Elmosino, l’encadrante de l’atelier, le travail créatif est un moyen d’y parvenir : « certes, les salariées sont rémunérées pour venir travailler ici, mais j’observe que cette activité les remplit. La couture peut être un véritable moment de méditation ». Cette tailleuse de formation doit sans cesse s’adapter aux différents profils : « pour certaines qui n’ont pas été à l’école élémentaire, tenir une paire de ciseaux droits n’est pas si évident. Je veille aussi à toujours utiliser le même vocabulaire lorsque je me réfère à des gestes techniques pour ne pas les perdre. »
Paty, 52 ans, fait partie des doyennes de l’atelier. « Ce que je fais ici me plaît beaucoup. Les gens qui achètent nos pièces adorent et viennent nous féliciter. Ça encourage », confie-t-elle, en décousant un vide-poche en wax. Arrivée de Guinée Conakry en 2002 en mauvaise santé, elle a fréquenté un centre d’hébergement avant d’être orientée vers Emmaüs Défi. « L’association m’a beaucoup aidée. Avant, je ne trouvais que des contrats courts. Aujourd’hui, j’ai des collègues et je viens d’emménager dans un studio », raconte-t-elle, le sourire aux lèvres.
Des horaires et des consignes à respecter
Les salariées des ReCréateurs sont tenues de respecter les horaires, de se plier aux consignes de sécurité et de ne pas faire preuve de violence. « Chacune peut aller à son rythme mais on a quand même des délais, notamment lorsqu’il faut répondre à des commandes », complète Sophie Elmosino. Outre les ventes dans la boutique attenante, les RéCréateurs répondent en effet parfois à la demande d’entreprises. C’est le cas de la marque de Lamazuna qui avait commandé des pochettes pour y glisser ses cosmétiques. L’association doit toutefois décliner certaines requêtes, relate Federica Morbelli, chargée de mission à Emmaüs Défi : « Certaines entreprises veulent que l’on produise 100 sacs identiques en une semaine. On doit alors leur expliquer qu’ici, c’est le travail qui s’adapte à la personne, et non l’inverse.»
Bien que la productivité des travailleuses ne soit pas un critère dans l’atelier, l’exigence n’en est pas moins élevée : « Ce n’est pas parce que nous faisons de la réinsertion que les produits doivent être moins beaux. On veut transmettre la culture du travail bien fait », explique Federica Morbelli. D’après un questionnaire mené auprès des clients d’Emmaüs, l’acte d’achat est en effet avant tout motivé par le coup de cœur provoqué par l’objet, la composante environnementale venant en deuxième puis le social en troisième place des motivations.
Les ReCréateurs s’inscrivent justement dans une démarche d’économie circulaire. L’association a en effet fait le constat qu’elle débordait de matières premières en tout genre. Ainsi, après avoir travaillé sur l’upcycling de meubles, elle s’est lancée dans la création textile. Le débouché est énorme : dans le chantier d’insertion d’Emmaüs Défi consacré à la collecte et au tri de textile situé dans le même quartier, une à deux tonnes de vêtements et tissus sont réceptionnées chaque jour. Après un tri effectué par les 150 salarié·e·s, environ 20 % de des vêtements sont vendus tels quels, tandis que le reste est donné à l’association le Relais. La boucle de l’économie circulaire n’est donc pas prête de se refermer.
Hélène Fargues