[Rétrospective] Féminicide, le mot de l’année 2019
Ce mois de décembre, la rédaction vous propose de faire le point sur une année riche en engagements. Aujourd’hui, nous revenons sur le mot que les lecteurs de carenews retiennent de 2019 : féminicide.
« Meurtre d’une ou plusieurs femmes ou filles en raison de leur condition féminine », c’est la définition du mot féminicide inscrite dans Le Petit Robert. Ce dernier ne le répertorie que depuis 2015, et il demeure absent de bon nombre d’autres dictionnaires ainsi que du droit français.
Un mot remontant au XIXe siècle
Composé de la racine latine « femina » signifiant femme, et du suffixe « -cide » (frapper, tuer en latin), le mot féminicide remonte au XIXe siècle, comme le rapporte la verticale de TV5 dédiée à la condition des femmes Terriennes. L'écrivaine et militante féministe Valérie Rey-Robert rappelle toutefois sur son blog que c’est le terme « fémicide » qui a d’abord émergé grâce à la sociologue sud-africaine Diana E. H. Russell, en 1976. C’est en 1992, dans l’ouvrage coécrit par la sociologue et une de ses collègues britanniques, Jill Radford, que féminicide se voit consacré.
L'Organisation Mondiale de la Santé, qui a reconnu le terme en 1992, définit aujourd’hui le fémicide ou féminicide comme « l’homicide volontaire d’une femme, mais il existe des définitions (...) qui incluent tout meurtre de filles ou de femmes au simple motif qu’elles sont des femmes ». Et distingue quatre types de fémicides :
-
le fémicide intime (plus de 35 % des meurtres de femmes dans le monde, il sont commis par un époux ou par un petit ami, actuel ou ancien)
-
les crimes dits d'honneur (parce qu’une femme a ou est censée avoir commis une transgression sexuelle ou comportementale)
-
le crime lié à la dot
-
le féminicide non intime (un crime commis par une personne qui n’a pas de lien intime ou familial avec la victime)
Le féminicide est inscrit dans le code pénal de plusieurs pays d’Amérique latine, comme la Bolivie ou le Mexique, et en Europe il est reconnu en Espagne depuis 2004 et en Italie depuis 2013. Il reste pourtant absent du droit français, et ce alors même que le nombre de féminicides connus ne cesse de croître, comme nombre de militantes, collectifs et associations féministes le mettent en avant.
Pour mettre en évidence leur caractère systémique, la journaliste Titiou Lecoq a tenu le compte des femmes assassinées par leur conjoint, mari ou ex-compagnon en 2017 dans Libération, en dénombrant 110. Pour 2019, le collectif Féminicides Par (Ex) Compagnons, qui recense les féminicides depuis 2016, en déplore 143 (chiffres arrêtés au 12 décembre).
[143] Samedi 7/12 à Voreppe (38), une femme (80 ans) a été abattue par son mari (83 ans) à coups de fusil, puis il s'est suicidé. Elle était malade. Passé sous silence, ce féminicide n'a pas encore été confirmé par le parquet #OMERTA #JusticeComplicehttps://t.co/Khyjc6b7kW
— Féminicides Par (Ex) Compagnons (@feminicidesfr) December 11, 2019
Vers la reconnaissance du féminicide dans le droit français ?
Avec le décompte, chaque victime et les circonstances de son meurtre sont décrites afin de mettre en avant le caractère systémique du féminicide, qui touche tous les âges et tous les milieux. D’où l’importance de bien nommer ces meurtres, comme Titiou Lecoq l’a souligné dans Slate :
« En fait, l’introduction de ce terme sert avant tout à faire prendre conscience de la violence structurelle dont les femmes sont victimes. Parce que c’est une certaine vision de la femme, une vision machiste et misogyne qui est derrière ces gestes. »
Les associations militent pour que les médias reportant les féminicides ne les banalisent pas en les traitant comme des faits divers, des soi-disants « crimes passionnels », mais aussi pour que le terme soit inscrit dans la loi. C’était l’une des grandes demandes — déçues— des associations et collectifs féministes lors du Grenelle des violences conjugales.
Le 25 novembre, Journée internationale contre les violences faites aux femmes et jour de l’annonce des mesures retenues par le gouvernement, l’ONU Femmes France et une coalition d’associations ont lancé une campagne sur le sujet. Elles demandent ainsi la reconnaissance spécifique du féminicide en droit français, mais aussi, notamment, la mise en place d’une juridiction spécialisée assortie d’un parquet sur les violences faites aux femmes. Et citent Simone de Beauvoir : « Nommer c’est dévoiler, et dévoiler c’est déjà agir. »
Mélissa Perraudeau