Anticor : son caractère d’utilité publique à travers 4 affaires
L’association Anticor, dont le cheval de bataille est la lutte anticorruption, vient de récupérer son agrément après trois ans d’incertitude. Carenews revient sur les affaires qui ont fait de l’association l’une des actrices de l’éthique en politique.
Fondée en juin 2002 par Éric Halphen, juge anticorruption, et Séverine Tessier, fervente militante de l’éthique en politique, Anticor a pour ambition de rétablir la confiance entre les citoyens et leurs représentants. L’association mobilise des citoyens et des élus issus de divers bords politiques. L’essence de l’action d’Anticor réside dans la possibilité de se constituer partie civile dans des procès relatifs à des sujets d’intérêt public. La poursuite d’infractions par la mise en mouvement du procès pénal fait également partie des outils que l’association possède afin de mener à bien son action.
C’est un agrément délivré et renouvelé tous les trois ans par le ministère de la Justice qui offre à Anticor la pleine liberté d’user des armes juridiques pré-citées. Cependant, l’association perd le précieux sésame en juin 2023. Cela fait suite à la saisine du tribunal administratif de Paris par deux particuliers. La juridiction administrative annule l’agrément octroyé en avril 2021 par le premier ministre Jean Castex. La cour d’appel confirme la décision par un arrêt en date de novembre 2023.
« Cette décision […] intervient après une instruction de six mois durant laquelle aucun dysfonctionnement ne nous a été reproché par le gouvernement et alors même que la Première ministre a considéré en octobre dernier qu’Anticor remplissait toutes les conditions pour être agréée […] Nous sommes bien conscients que nos actions contre la corruption agacent […] le gouvernement », avait alors déclaré la présidente d’Anticor, Élise Van Deben.
Un généreux don de 64 000 euros versé par Hervé Vinciguerra, ami d’Arnaud Montebourg, est en partie à l’origine de cette mésaventure. La gratification avait fait naître des méfiances sur un éventuel irrespect de la neutralité politique prônée par l’association. Après une année de bataille juridique, Anticor récupère finalement son agrément par un arrêté ministériel de Gabriel Attal en date du 5 septembre 2024.
Passage en revue de quatre affaires emblématiques dans lesquelles Anticor a joué un rôle déterminant.
Pas de fair-play sportif pour Platini et Sarkozy dans l’octroi du Mondial 2022
Le 19 février 2021 Anticor se constitue partie civile dans l’affaire dite « Platini ». Une information judiciaire avait, en effet, été ouverte par le parquet national financier (PNF) en 2019. Les soupçons visant l’ancien joueur de football concernent l’octroi du Mondial 2022 au Qatar. Il est accusé d’avoir voté pour la presqu’île rattachée à l’Arabie Saoudite alors qu’il occupait le poste de président de l’UEFA, l’instance dirigeante du football en Europe. Ce vote serait intervenu en échange de diverses opérations menées par l’émirat, comprenant entre autres le rachat du PSG et l’achat des droits télévisuels du Mondial.
Dans cette affaire entrent en jeu Nicolas Sarkozy, son ancien numéro 2 Claude Guéant et l’ex-publicitaire Thierry Labrosse, dont les rôles apparemment primordiaux leur vaudront une plainte de l’association. L’ancien président de la République est soupçonné aurait d’avoir convié Michel Platini et Tanim Al-Thani, émir du Qatar et prince héritier, à un déjeuner organisé à l’Elysée pour conclure cet échange de bons procédés. La liste des délits présumés reprochés aux trois hommes va du trafic d’influence à la corruption d’un agent public étranger.
L’action d’Anticor est à l’origine de trois ans d’enquête préliminaire et de l’ouverture d’une information judiciaire par le PNF à la fin de l’année 2019 avec pour chef d’accusation « corruption active et passive ». Après trois ans d’enquête préliminaire, une information judiciaire est ouverte par le PNF en décembre 2019 pour « corruption active et passive ». Elle cherche à déterminer le rôle de la France dans l’affaire.
Alexis Kohler et son arbre généalogique
En juin et août 2018, Anticor dépose deux plaintes devant le PNF visant Alexis Kohler pour prise illégale d’intérêts. La cause ? Des révélations de Mediapart mettant en lumière les liens familiaux cachés entre le secrétaire général de l’Elysée et d’importants actionnaires de l’armateur de croisière MSC. Cette accointance que le principal intéressé n’avait pas tenue bon de souligner pose question dans le déroulé du chantier de Saint-Nazaire, plus grand chantier naval d’Europe.
Sont ainsi reprochées à Alexis Kohler d’avoir pris dans ce dossier des décisions en faveur du croisiériste, alors qu’il agissait en qualité d’agent de l’État. Le conflit d’intérêts se serait illustré entre 2010 et 2012 alors qu’il siégeait au conseil d’administration de STX France qui gère l’ouvrage naval. C’est dans cette configuration qu’il aurait participé aux votes favorables à l’armateur. Or, l’ouvrage géré par STX France, dont le nouveau nom est Chantiers de l’Atlantique, a pour principal client le groupe MSC.
À la suite de ces révélations Alexis Kohler est mis en examen le 3 octobre 2022 et placé sous le statut de témoin assisté, mais est maintenu en poste par Emmanuel Macron.
Éric Dupont-Moretti offre une nouvelle jeunesse à l’article 68-2 de la Constitution
Du 6 au 17 novembre 2023, Éric Dupont-Moretti, alors garde des Sceaux comparait devant la Cour de justice de la République (CJR). L’instance prévue par l’article 68 alinéa 2 de la Constitution de la 5e République a pour objectif de juger les membres du gouvernement pour des crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Créée par une loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, cette cour s’était notamment réunie afin de juger les ministres en poste au moment de l’affaire du sang contaminé.
Alors que la CJR était figée dans les pages de la Constitution depuis plusieurs années, c’est une plainte d’Anticor en date du 6 octobre 2020 qui la ressuscite. Cette plainte est historique, car elle constitue la première saisine de la CJR pour « prises illégales d’intérêts ». Éric Dupont-Moretti est accusé d’avoir instigué des enquêtes administratives, en qualité de garde des Sceaux, à l’encontre de magistrats envers lesquels il aurait cultivé une certaine animosité lors de l’exercice de son métier d’avocat. Ses liens d’amitié avec Thierry Herzog, avocat et ami de Nicolas Sarkozy, posent également question. Il est soupçonné d’avoir malencontreusement mis au courant l’ancien président de la République de sa mise sur écoute par la justice dans l’affaire libyenne.
Cependant, « l’élément intentionnel de prise illégale d’intérêt » n’a pas été caractérisé et la relaxe d’Éric Dupont-Moretti marque la fin de ce feuilleton judiciaire inédit.
Vincent Bolloré semble être un fervent défenseur de la démocratie au Togo
Les société Bolloré sont accusées d’avoir participé au financement de la réélection de Faure Gnassingbé, président du Togo. La famille Gnassingbé est connue pour accaparer le pouvoir du pays depuis plus de cinquante ans, notamment par le biais d’une filiale du groupe Bolloré qui aurait sous-facturé ses prestations entre 1986 et 2023. Cet arrangement aurait donné l’occasion à Vincent Bolloré de s’emparer de la concession du port de Lomé, qui avec 16,60 mètres de profondeur constitue l’unique port en eau profonde d’Afrique de l’Ouest.
Suite à ces actes présumés, une information judiciaire s’ouvre en 2013 contre les sociétés du groupe Bolloré et Anticor se constitue partie civile en 2022. Entre temps, Vincent Bolloré et deux autres cadres de la société du même nom font l’objet d’une procédure dont ils ne tardent pas à demander l’annulation. La Cour de cassation ne l'entend pas de cette oreille et valide la procédure en cours dans un arrêt du 29 novembre 2023. Conséquence : l’instruction est toujours en cours.
Léanna Voegeli