L’engagement, un levier d’insertion professionnelle pour les jeunes ?
L’engagement est-il un levier d’insertion professionnelle ? Nous nous sommes posé la question le 12 octobre 2023 en compagnie de Article 1, l’Association de la Fondation Étudiante de la Ville (AFEV), Lille Avenirs et d’Hachimia, jeune étudiante et entrepreneuse engagée.
Les jeunes et l’engagement, halte aux idées reçues !
Ces dernières années la tendance est à l’augmentation de l’engagement des jeunes ! On constate même un équilibrage des ratios entre les catégories les plus jeunes et celle des 65 ans et plus entre 2010 et 2013 avec une très nette diminution du bénévolat associatif des 65 ans et plus entre 2010 et 2023 (de 38 % à 25 %), et une progression de l’engagement des 15-34 ans sur cette même période (de 16 % à 25 %).
Les jeunes s’engagent davantage, mais le font différemment. Ils sont désormais multi-identités constate Karine, directrice générale de Lille Avenirs. Qu’ils s’agisse de leur engagement ou de leur travail, ils souhaitent faire plusieurs choses à la fois, s’engager sur des actions associatives, mais aussi garder du temps pour étudier, pour leurs loisirs. « On voit aussi que pour les jeunes s’engager, ce n’est plus uniquement être bénévole en association. Cela repose sur leur propre comportement, le fait de mieux consommer, boycotter des marques, de créer des évènements informels. » remarque Marie, responsable engagement chez Article 1. Enfin, si Nadia observe une hausse du nombre de jeunes engagés sur les programmes de l’AFEV, elle rappelle que certains aspects viennent freiner l’engagement des jeunes notamment la précarité, la peur de l’engagement, ou encore l’accessibilité de l’information.
Nous avons besoin de rendre plus lisible l’engagement pour faire en sorte que les jeunes s’engagent de manière consciente. »
Faut-il faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle ?
Faire de l’engagement un levier formalisé d’insertion professionnelle suppose que cela fonctionne quel que soit le public touché. Or, l’engagement semble corrélé à des situations sociales plutôt favorisées : 55 % des diplômés supérieurs sont engagés dans une activité bénévole, contre 30 % des personnes non diplômées. « Ce que ces chiffres montrent, c'est qu’il existe des lieux et des situations qui favorisent l’engagement, avec les effets cumulatifs qui viennent avec. Plus on s’engage tôt, plus importantes seront les facultés d’engagement, les bénéfices issus de ces expériences, la capacité à les valoriser » constate Sébastien. En amont cela vient poser la question de l’accès à l’engagement et en aval celui de la valorisation de ses expériences d’engagement. « L’idée de faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle est trop complexe pour en faire un mécanisme total, cependant il y a un vrai consensus sur l’acquisition de compétences enclenchée par l’engagement ».
Pour Karine, directrice de Lille Avenirs, le premier critère pour que cela fonctionne pour les publics plus éloignés de l’emploi, c’est déjà d’en avoir envie. « Il faut savoir adapter les modalités, pour que l’engagement fonctionne aussi pour des jeunes qui pensent ne rien avoir à apporter et qui n’ont pas confiance en eux ».
Les intervenants ont également souligné le risque d’utilitarisme qu’engendrerait l’institutionnalisation de l’engagement au service des politiques de l’emploi. « Cela peut poser un vrai problème d’éthique, il y a une crainte légitime par rapport à l’essence de l’engagement. Comment éviter de provoquer un engagement artificiel « en vue de » ? », se questionne Sébastien.
Pour Karine, directrice de Lille Avenirs, il faut être clair sur l’intention de départ : on ne fait pas semblant de faire l’engagement avec un objectif premier qui serait l’insertion professionnelle. La proposition de départ, c'est un engagement où les jeunes font ce qu’ils souhaitent, où ils disposent d’espaces de liberté et où l’on renforce leur sentiment de citoyenneté.
Enfin, d’un point de vue institutionnel, les risques d’un tel dévoiement sont aussi bien présents avec la création d’emplois déguisés susceptibles de créer de nouvelles inégalités comme ont pu nous le montrer certaines dérives du service civique. L’équilibre est difficile à trouver : d’un côté ce format d’engagement peut être un moyen pour certains jeunes d’accéder à un revenu, bien que modeste, car c’est un contrat plus accessible qu’un emploi. De l’autre, les associations ont parfois du mal à différencier mission d’engagement/service civique et emploi. Dans ces deux cas de figures, on peut perdre la motivation première de l’engagement.
Comment faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle pour les jeunes ?
La pierre angulaire du programme, c'est l’engagement solidaire, la valorisation du jeune. Pour que cela fonctionne il faut un accompagnement humain. »
Le dispositif Apprentis solidaires de l’AFEV permet à des jeunes éloignés du milieu de l’emploi s’engager via un service civique. Pendant 6 mois, ces derniers sont mobilisés sur des missions de solidarité très concrètes, sont formés, réalisent des stages, rencontrent des professionnels. À l’AFEV, chaque jeune est accompagné par un professionnel, une relation de confiance se crée. Ces liens humains sont essentiels pour connaitre et comprendre les freins périphériques des jeunes (précarité, santé, logement…). L’accompagnateur travaille ensuite avec le jeune sur ces sujets ou l’orientent vers d’autres structures appropriées.
Le programme Maison d’Article 1 propose de lever certains de ses freins, notamment celui du logement et de l’isolement social. Une quarantaine d’étudiants boursiers sont accueillis dans des résidences étudiantes, des évènements conviviaux, sont organisés, les jeunes peuvent s’engager sur des projets solidaires à l’échelle locale. « Il ne faut en aucun cas être moralisateur sur la question de l’engagement. Nous avons conscience de répondre via ce programme avant tout à la problématique du logement, et de faire face à des jeunes qui ont des difficultés financières ou sociales. On s’adapte et on valorise le niveau d’engagement qu’ils sont en capacité de donner ».
Valoriser les jeunes, c’est leur montrer qu’on leur accorde de la confiance. À Lille Avenirs, les jeunes construisent leur propre projet en autonomie avec la méthode StartLab. L’été dernier, certains d’entre eux ont produit un festival de musique en plein air en deux mois, avec un budget alloué. Le jeune média de la mission locale est entièrement géré par les jeunes du choix des sujets à la rédaction.
Le collectif est également un puissant moteur d’engagement et de réussite, les jeunes s’organisent, créent des groupes de discussions et de solidarité entre eux. Ils se soutiennent et trouvent de l’aide auprès de leurs pairs.
J’ai pu acquérir et développer des compétences grâce à l’engagement, je suis plus autonome, j’ai plus confiance en moi, mais c’est parce que j’ai fait mon service civique dans la bonne association. Pour que les jeunes s’engagent, Il faut une structure qui le permette, par les humains qui la constituent, la méthodologie d’accueil et de travail, la communication entre les groupes de jeunes. »
Hachimia Aboubacar, étudiante engagée et entrepreneuse.
Enfin, replacer le jeune au cœur du projet semble indispensable. Hachimia déplore le fait que le jeune devienne une « marchandise » dans certaines associations. « En tant que jeune engagée et professionnelle de l’associatif, ce qui ressort souvent lorsque j’entends parler des projets pour les jeunes, c'est le mot subvention, ou encore des paroles anodines comme « il nous faut des jeunes ». L’engagement n’est déjà pas un gage absolu de réussite professionnelle, mais ce discours et ces pratiques viennent freiner les bienfaits de l’engagement. »
Accompagner les jeunes dans la valorisation de leur engagement
Le développement de compétences est un des enjeux forts de l’engagement. D’après Sébastien Bauvet, responsable de recherche chez Article 1, ces « softs skills » permettent de compenser certaines inégalités d’accès à d’autres instances.
Valoriser et reconnaître l’engagement, cela passe par fournir aux jeunes des espaces de réflexion qui leur permettent de réaliser des compétences qu’ils ont développées. L’AFEV valorise quotidiennement les réussites des jeunes et à la fin de leur service civique avec une cérémonie de remise d’un diplôme, le programme Maison (Article 1) propose aux jeunes des ateliers de valorisation de leur engagement. La valorisation des softs skills est mis en œuvre via Job Ready (Article 1), un programme d’accompagnement à la reconnaissance et à la valorisation des compétences. On y apprend à valoriser les expériences les plus anodines, précaires, ou hors organisation.
Le bénévolat est une expérience positive qui peut contribuer à l’insertion professionnelle et à prendre sa place de citoyen, cependant « l’après » pose question, bien au-delà de la valorisation de l’engagement. Comment aider les jeunes à développer leur réseau professionnel ? Comment ne pas laisser aux jeunes bénéficiaires un sentiment d’abandon à la fin d’un programme d’engagement et d’insertion professionnelle ?