Jacinthe Brillet : « Notre modèle a pour particularité de ne pas être fondé sur la connaissance du consommateur, mais sur le service à nos partenaires agricoles »

• Vous êtes directrice générale de Les Près Rient Bio, l'entreprise bio soutenue par Danone. Pouvez-vous nous en dire plus ?  

Notre entreprise commercialise des yaourts biologiques et équitables. C'est un modèle local ancré en Normandie qui a été inspiré par la Stony Field Farm des États-Unis - une entreprise pionnière qui a cru que « changer le monde peut commencer par un petit yaourt ». Depuis 18 ans, nous nous battons aux côtés des agriculteurs biologiques de Normandie pour des pratiques avancées en matière d'agriculture durable et de justice sociale. À travers notre marque Les 2 Vaches, nous avons largement contribué à démocratiser le segment Bio en grande distribution. Plus récemment, alors que le marché du bio semble se remettre de ses pires difficultés commerciales, nous sommes fiers de voir Les 2 Vaches devenir un leader encore plus fort, fidèle à sa vocation de recruteur, avec une marque plus forte et une confiance renouvelée de la part de nos clients et de nos consommateurs.

• Comment avez-vous intégré la responsabilité sociétale dans votre stratégie ? Et quelles sont les initiatives de RSE que vous avez mises en œuvre ?  

L'entreprise s'est construite sur trois piliers de la production alimentaire durable : les normes biologiques, la certification du commerce équitable et la production laitière micro-locale. En nous concentrant sur une région spécifique, nous encourageons le développement d'un écosystème soudé qui favorise l'innovation et l'action collective, en créant des solutions pertinentes pour relever les multiples défis de nos partenaires agricoles. En conséquence, nous tirons une série d'avantages sans précédent en faveur de la biodiversité, tels que 50 % de haies en plus par ferme en moyenne que les fermes typiques, ou près de 3 mois de pâturage annuel pour nos vaches, au-delà des normes biologiques.

Le développement de la stratégie d'impact des Prés Rient Bio s'est déroulé en deux phases distinctes.

Dans sa phase de développement rapide au début des années 2000, l'entreprise est née d'un mouvement populaire visant à protéger les agriculteurs biologiques. À l'époque, les produits biologiques étaient souvent considérés comme des produits de niche et peu attrayants. La marque Les 2 Vaches a été conçue précisément pour démystifier l'offre de produits biologiques à partir de messages basés sur la peur concernant les risques pour la santé et la nature menacée, en utilisant une voix de marque ludique et rebelle. Alors que des sujets sérieux étaient clairement soulevés par la marque, celle-ci apportait également de la joie et de la désirabilité à l'alimentation biologique. C'était le moment de provoquer et de sensibiliser à tous les défis de durabilité et aux injustices vécues par la communauté des agriculteurs biologiques. Notre entreprise adoptait définitivement une posture d'activiste.

Il y a peu de temps, nous sommes passés à une époque plus récente. Dans un monde où le manque de sensibilisation au changement climatique s'est rapidement transformé en une lassitude à l'égard de la durabilité, nous sommes passés du statut de faiseurs de troubles rebelles, ébouriffant joyeusement les plumes de l'industrie alimentaire, à celui de « poisson pilote » plus mûr et plus intentionnel. L'urgence et la complexité croissantes des défis sociétaux nous ont amenés à transformer notre activisme en une approche plus structurée, avec une stratégie d'impact basée sur des mesures qui prend forme à travers des feuilles de route, encourageant la rigueur dans notre approche de l'innovation. Nous nous engageons à réaliser des progrès tangibles en matière de protection de la biodiversité, d'action climatique et de commerce équitable. Cette position nous permet de renforcer notre rôle de défenseur de solutions innovantes à des problèmes systémiques.

Chaque choix de consommation devrait contribuer à une meilleure planète et à une meilleure société, plutôt que de se contenter d'atténuer les dommages existants.

• Pouvez-vous donner quelques exemples d'innovations propres à votre modèle ?  

Sur le front du commerce équitable, notre stratégie d'impact renouvelée nous a conduits à signer un contrat laitier en 2022 comprenant des garanties sans précédent pour les agriculteurs, avec deux fois le salaire minimum français garanti par notre prix du lait, après couverture de tous les coûts de production, quelles que soient les fluctuations climatiques ou économiques. Notre contrat nous engage sur des garanties de 5 ans. Cette initiative pionnière offre à nos partenaires la stabilité financière nécessaire pour investir dans des pratiques agricoles durables.

Sur le plan climatique, Les Prés Rient Bio s'est fixé l'objectif ambitieux de réduire ses émissions de carbone de 30 % d'ici à 2030, en s'appuyant autant que possible sur des méthodes naturelles telles que l'extension des haies, la valorisation des pâturages et l'optimisation de l'alimentation naturelle des vaches afin de réduire les émissions de méthane.

L'approche avant-gardiste de l'entreprise lui a valu le score B Corp le plus élevé parmi les entreprises alimentaires en France, un statut qu'elle a renouvelé avec succès en 2023.

À l'avenir, nous continuerons à rechercher des solutions aux problèmes gigantesques auxquels l'agriculture est confrontée, de manière à rester fidèles à notre mission initiale : développer la production biologique tout en maintenant les inquiétudes à distance grâce à des actions qui donnent des raisons tangibles d'espérer en un avenir radieux.

• Comment travaillez-vous avec les agriculteurs pour garantir ces pratiques durables et la qualité biologique de vos produits ? Comment travaillez-vous ensemble ?  

Notre modèle a ceci de particulier qu'il n'a pas été construit sur la base d'une connaissance du consommateur, mais au service de nos partenaires agricoles. Cette logique est à l'opposé de la plupart des opérations commerciales réussies, et c'est pourquoi elle favorise une relation plutôt singulière. Je diviserais nos interactions gagnant-gagnant en quatre dimensions différentes, depuis les accords formels jusqu'aux relations profondément personnelles.

Au premier niveau, nos conditions de commerce équitable imposent un cadre strict qui dépasse les normes de la certification biologique. Cela inclut des pratiques supplémentaires telles que l'utilisation d'une plus grande quantité d'aliments cultivés à la ferme et l'allongement des jours de pâturage pour les vaches, ainsi que des normes plus strictes en matière de bien-être des animaux.

Le deuxième niveau est plus dynamique et informel. Nombre de nos agriculteurs vont volontairement au-delà de ces normes, en mettant en œuvre des pratiques durables supplémentaires. Cela montre qu'ils ne sont pas de simples fournisseurs, mais de véritables partenaires, déterminés à repousser les limites de l'agriculture biologique et à s'approprier le projet.

Au troisième niveau, nous mettons l'accent sur la confiance et le respect de l'expertise de nos agriculteurs. Nous considérons chacun d'entre eux comme un expert et un entrepreneur, libre de prendre des décisions basées sur les défis et les opportunités uniques de son exploitation. Plutôt que d'imposer des solutions, nous nous engageons et collaborons pour tester ou mettre en œuvre de nouvelles idées, en particulier pour réduire les émissions de méthane de nos troupeaux.

Enfin, notre relation est ancrée dans la proximité et la solidarité. Nos agriculteurs se trouvent à moins de 50 km de notre laiterie, ce qui nous permet de créer des interactions directes, de renforcer notre partenariat et de créer un environnement dynamique propice à l'innovation et au soutien mutuel.

Et lorsque nos consommateurs nous disent à quel point ils aiment nos produits, ou lorsque nous voyons nos résultats commerciaux encourageants après le défi commercial structurel qu'a connu le marché biologique, nous savons que ces efforts sont payants, tant d'un point de vue sociétal qu'économique.

• Vous clôturerez le Summit RSE à SIAL Paris, qu'attendez-vous de cette édition cette année ?  

Au-delà du partage d'idées sur la manière de réduire les dommages, comme la réduction de l'utilisation du plastique et de l'empreinte carbone, j'espère que nous serons tous inspirés pour repenser radicalement nos modèles d'entreprise, afin qu'ils génèrent une valeur économique grâce à l'impact positif qu'ils créent. Je pense que nous avons besoin de modèles dont l'essence même est de contribuer à la fois à la nature et à la société.

Chaque choix de consommation devrait contribuer à une meilleure planète et à une meilleure société, plutôt que de se contenter d'atténuer les dommages existants. Ce changement est essentiel pour dépasser les pratiques traditionnelles de la RSE et mettre l'économie au service de la nature et de la justice sociale.