10 tonnes de vêtements jetables déversés devant le Sénat pour exiger le vote de la loi anti fast fashion
Depuis plusieurs semaines, le collectif Stop fast fashion interpelle les sénateurs pour qu’ils examinent la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental du textile, adoptée il y a un an par l’Assemblée nationale. Pour mobiliser, face à un processus législatif à l’arrêt et à aux opérations de lobbying des marques, les associations ont mené vendredi 14 mars une campagne nationale.

Un an après le passage de la loi anti-fashion devant l’Assemblée nationale, le collectif Stop fast fashion tente de faire sortir le texte des placards du Sénat. Après de nombreux appels sur les réseaux sociaux, la dizaine d’associations membres du collectif, parmi lesquels les Amis de la terre France, Action aid, Zero waste France, l’ONG Max Havelaar ou encore le mouvement Emmaüs, ont déversé, vendredi 14 mars, 10 tonnes de déchets textiles devant les grilles du jardin du Luxembourg, qui abrite le Sénat, lors d’une journée de mobilisation nationale.
Le but de cette opération de communication ? Inciter les sénateurs à voter la proposition de loi « visant à réduire l’impact environnemental du textile », adoptée en procédure accélérée et à l’unanimité en première lecture par les députés, le 14 mars 2024.
« Un an que l’économie circulaire, le made in France, les associations de réemploi solidaire, demandent aux gouvernements successifs de réguler un marché du textile devenu fou », interpelle sur LinkedIn, Maud Sarda, directrice générale de la marketplace de seconde main solidaire Label Emmaüs et engagée depuis plusieurs semaines dans l’interpellation des sénateurs.
L’instauration d’un malus écologique prévu par la proposition de loi
Portée par des députés du groupe Horizons, cette proposition de loi vise à enrayer la pollution engendrée par le développement exponentiel de la mode jetable, aussi appelé « mode express » ou « fast fashion ». Pour y parvenir, elle introduit dans le code de l’environnement une définition commerciale de la « fast fashion », consistant en un renouvellement très rapide des collections, par la mise sur le marché d’un grand nombre de nouveaux modèles, sur un temps donné et dépassant un certain seuil, lequel devrait être fixé par décret.
Les interfaces internet comportant des produits de différents vendeurs, comme le site chinois Temu, ont également été inclus dans le texte par amendement, tandis que les pratiques de déstockage des invendus sont exclues.
Du côté des obligations s’imposant à l’égard des vendeurs, la proposition de loi introduit des messages de sensibilisation des consommateurs, concernant l’impact environnemental des produits et encourageant à la sobriété, au réemploi, à la réparation ou au recyclage, devant être affichés sur les sites internet des vendeurs, à proximité du prix.
Surtout, le texte prévoit le renforcement du dispositif d’éco-modulation des contributions versées par les producteurs, soumis au principe de responsabilité élargie des producteurs (REP) dans la filière textile. Concrètement, l’article 2 de la proposition de loi met en place un système de primes et de pénalités liés à l’impact environnemental des vêtements, exprimés dans l’éco-score. Les produits ayant le plus mauvais impact environnemental pourraient ainsi être soumis à un malus écologique, de cinq euros par produit en 2025 et augmentant progressivement pour atteindre 10 euros par produit en 2030. L’interdiction de la publicité pour ces vêtements, sur le modèle de la loi Evin pour les boissons alcoolisées, est également comprise dans le texte.
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Un texte qui peine à être examiné par le Sénat
Celui-ci n’a pour l’instant fait l’objet d’aucune discussion au Sénat, depuis la nomination de Sylvie Valente (sénatrice LR) comme rapporteure de la proposition de loi en avril 2024. Après plusieurs appels des membres du collectif sur les réseaux sociaux, le Palais du Luxembourg avait annoncé l’examen de la proposition de loi le 26 mars, avant qu’elle ne soit écartée de l’agenda.
Pour les membres du collectif, des actions de lobbying menés par certaines entreprises de la fast fashion pourraient être à l’origine de la mise à l’arrêt du processus législatif. Ils dénoncent notamment le recrutement de plusieurs anciens membres du gouvernement, dont l’ancien ministre de l’intérieur Christophe Castaner, au sein du comité de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise chinoise Shein.
Cette dernière, fonctionnant sur un modèle d’ultra fast fashion, gagne de plus en plus d’ampleur dans le marché français. Selon une estimation de Reuters, elle a réalisé environ 1,63 milliard d’euros de chiffre d’affaires en France en 2023 avant de devenir en 2024, d’après une étude publiée en janvier par l'application de shopping Joko s'appuyant sur les données bancaires anonymisées de 700 000 personnes, l’enseigne « où les Français ont le plus dépensé », enregistrant une augmentation de ses ventes en valeur de 58 % par rapport à l’année précédente.
De plus, des arguments juridiques rendent le texte difficile à mettre en œuvre en l’état. Dans une tribune publiée dans Le Figaro le 28 février, l’avocat Hugues Hourdin évoquait par exemple des contradictions entre la proposition de loi et le droit européen, où les libertés économiques jouent un rôle prépondérant. « En créant une catégorie spécifique de producteurs de fast fashion, elle méconnaît les dispositions de la directive-cadre sur les déchets, qui impose une égalité de traitement entre les différents opérateurs. Elle se heurte également à l’article 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, prohibant toute “restriction quantitative” aux importations », argumente-t-il.
Il y a une prime au vice des entreprises textiles. Julia Faure
Derrière la fast fashion, un enjeu écologique et social
Face à cette situation, les organisations membres du collectif tentent d’alerter sur les conséquences écologiques et sociales de la fast-fashion. « Cette évolution du secteur de l’habillement, alliant augmentation des volumes et politique de prix toujours plus bas, a modifié les habitudes d’achat des consommateurs, en créant chez eux des pulsions d’achat et un besoin constant de renouvellement qui sont lourds de conséquence », dénonce par exemple dans un texte publié dimanche 16 mars le groupe local de la Drôme des Amis de la terre France.
« En France en 2022, 3,3 milliards de vêtements se sont vendus (en moyenne 48 vêtements par habitant.e par an), soit près de 38 % de plus qu’il y a 10 ans ! Alors que nos placards débordent ainsi de vêtements, c’est l’environnement qui passe à la caisse, sans compter les milliers de salariés qui sont surexploités à l’autre bout du monde et les nombreuses fermetures d’enseignes françaises. Qui plus est, cette explosion des volumes de vêtements produits s’accompagne d’une baisse notable de leur qualité. On estime que leur durée d’usage a été divisée par deux », alerte l’association.
« Il y a une prime au vice des entreprises textiles », considérait également il y a un an sur France Inter la co-présidente du Mouvement Impact France Julia Faure, alertant sur les risques que faisaient peser la fast fashion sur le secteur textile français.
De son côté, en réponse à la mobilisation, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a annoncé que « faire avancer la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, qu’on appelle PPL fast fashion », était une de ses « priorités ». « Je mobilise toute mon énergie, avec mes équipes, pour qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour au Sénat avant l’été », promet-elle sur le réseau social LinkedIn, après avoir rencontré Sylvie Valente Le Hir et Jean-François Longeot, le président de la commission du développement durable du Sénat, le 11 et 12 mars.
Élisabeth Crépin-Leblond