Mode durable : quelles mesures pour transformer le secteur ?
Deux députés ont déposé des propositions de loi destinées à lutter contre la fast fashion et à favoriser la mode durable. Un premier pas, mais le chantier est immense, selon les spécialistes du sujet.
Mardi 13 février, le député Les Républicains Antoine Vermorel Marques dépose une proposition de loi destinée à « démoder la fast fashion grâce à un système de bonus/malus ». Son idée : faire appliquer un malus de cinq euros aux produits des marques de fast fashion, ces marques qui produisent un grand nombre de références dans des mauvaises conditions sociales et environnementales. Il explique vouloir se servir des sommes récoltées pour financer la mode fabriquée en France, même si les modalités concrètes de ce transfert ne sont pas inscrites dans le texte.
La responsabilité élargie du producteur (REP) de la filière de la mode, prévue par la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), prévoit déjà un malus, mais il ne s’élève qu’à quelques centimes et concerne toutes les marques, peu importe leurs pratiques. Le texte déposé par le député vise donc à l’accroître et le cibler.
Mais Antoine Vermorel Marques n’est pas le seul à vouloir faire évoluer le secteur de la mode. La députée Horizons Anne-Cécile Violland défend une mesure similaire, avec un malus pouvant aller jusqu’à dix euros, dans une proposition de loi « visant à réduire l’impact environnemental du textile » déposée deux semaines auparavant. « Dix euros de malus, sur un tee-shirt, ça change tout : le prix moyen d’un vêtement de fast fashion, c’est huit euros », estime Julia Faure, présidente d’En mode climat, une association qui rassemble des acteurs de la mode durable. Antoine Vermorel Marques s’est directement inspiré d’une proposition de l’association. Selon Julia Faure, la mesure permettrait de contrebalancer ce qu’En mode climat qualifie de « prime au vice » : les marques de fast fashion font face à des coûts de production inférieurs à ceux des marques « durables », qui produisent dans de bonnes conditions sociales et environnementales. Elles leur font ainsi subir une « concurrence déloyale ». « Ce qui fait que la fast fashion vend beaucoup de vêtements, c’est le prix bas », ajoute-t-elle.
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La « partie émergée de l’iceberg »
« Le malus est un premier pas et pose les bases d’une réelle politique publique qui enraye le système de fast fashion », confirme Pierre Condamine, chargé de campagne « surproduction » pour l’association Les amis de la terre France. « Mais le seuil n’est pas assez bas, et ne porte que sur le renouvellement des modèles », tempère-t-il. En effet, la proposition de loi d’Antoine Vermorel Marques vise les marques qui produisent 1 000 références par jour ou plus. « Un chiffre un peu hasardeux, qui ne concerne que Shein et probablement Temu, alors qu’il existe bien plus de marques de fast fashion », déplore-t-il.
« C’est une législation anti-Shein, qui n’est que la partie émergée de l’iceberg. »
Julia Faure, présidente du collectif En mode climat et co-fondatrice de Loom
Shein, Temu et Amazon représentent 4 % des ventes de vêtements en France, selon une étude de l’Institut français de la mode publiée le 15 février. Pourtant 70 % du textile vendu en France est considéré comme bas de gamme par l’éco-organisme Refashion – « bas de gamme, c’est synonyme de fast fashion », explique Pierre Condamine. Dans la proposition d’Horizons, le seuil sera fixé par décret, ce qui ne le rassure pas. « Un décret, c’est beaucoup plus opaque, ce n’est pas débattu démocratiquement et beaucoup de décrets sont attaqués par les industries, les lobbies, les fédérations », assure-t-il. L’association propose d’abaisser le seuil de modèles mis en vente à 5 000 par an et de prendre en compte le nombre de vêtements vendus.
« C’est une législation anti-Shein, qui n’est que la partie émergée de l’iceberg », approuve Julia Faure. Le critère principal qui doit être pris en compte, aux yeux de celle qui a aussi co-fondé la marque de mode éthique Loom, c’est le lieu de production et les conditions sociales et environnementales de fabrication associées.
Informer (correctement) le consommateur
Pour compléter le malus, la députée Anne-Cécile Violland veut interdire la publicité pour ces marques. « La fast fashion est basée sur le fait de vendre toujours plus. Ce qui alimente ça c’est en grande partie la publicité. Il y a un intérêt à l’interdire », considère Pierre Condamine. « Mais là encore, tout l’enjeu, c’est de fixer un seuil pour définir les marques concernées », ajoute-t-il.
Interdire la publicité vise à mieux informer les consommateurs, comme l’affichage environnemental. Les promoteurs de cette mesure font le pari qu’ils modifieront leurs comportements en prenant conscience des effets négatifs de leurs achats sur la planète et les humains. « La sensibilisation et l’information permet aux gens d’orienter leur choix. Il faut qu’ils puissent comparer les produits entre eux », estime Victoire Satto, fondatrice et dirigeante du média et bureau d’expertise spécialiste de la mode durable The Good Goods. « Cela donne une bonne opportunité de faire un travail de discussion et de pédagogie », complète Annick Jehanne, présidente de l’association Fashion green hub, qui regroupe des entreprises « engagées pour la mode durable ». Un affichage environnemental sur les vêtements, prévu par la loi Climat et résilience de 2021, Ecobalyse, sera expérimenté prochainement. Mais là encore, tout est question de critères.
« Bien souvent, quand les marques disent mettre en place des produits durables, c’est de la poudre aux yeux »
Pierre Condamine, chargé de projet « surproduction » pour Les amis de la Terre France
« C’est très compliqué de les choisir, il y a une bataille de lobbies et tout le monde a son idée », explique Annick Jehanne.« Moi je serais pour une information très simple du consommateur : d’où vient la matière, où le produit a-t-il été conçu, et indiquer l’absence de produits toxiques ». Sur ce dernier point, Victoire Satto voit dans la santé un levier utile pour sensibiliser les consommateurs et faire évoluer les pratiques. Certains textiles utilisés par les marques de fast fashion peuvent en effet être « toxiques ». « Dans un autre domaine, Yuka a fait bouger plusieurs chaînes de valeur », illustre-t-elle, en faisant référence à l’application qui note les produits alimentaires selon leurs effets sur notre santé.
La spécialiste considère aussi qu’il faut réglementer les fausses allégations commerciales, qu’elles concernent la santé ou l’impact écologique. « Bien souvent, quand les marques disent mettre en place des produits durables, c’est de la poudre aux yeux », confirme Pierre Condamine. Il cite l’exemple des systèmes de seconde main mis en place par des marques comme H&M, Shein ou Zara. En effet, des associations ont montré en juillet dernier que des vêtements récupérés par les marques n’étaient pas réemployés comme ils auraient dû l’être. Une directive portant sur le greenwashing est en cours d’élaboration à l’échelle européenne.
Le texte européen sur le devoir de vigilance bientôt enterré ?
« C’est toujours bien de réguler le greenwashing, mais encore une fois, on prend le problème à l’envers », déplore Julia Faure, qui co-préside aussi le mouvement d’entreprises engagées Impact France. Comme pour l’affichage environnemental ou le système de bonus/malus, il s’agit d’une mesure « corrective », appliquée alors que les vêtements sont déjà produits. L’objectif le plus important à ses yeux, c’est plutôt de faire évoluer les chaînes de valeur.
A ce titre, elle considère le texte sur le devoir de vigilance européen comme une « mesure clé, la plus centrale ». Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission ont trouvé un accord en décembre sur cette directive, qui impose aux grandes entreprises de prévenir et de mettre fin aux impacts écologiques et sociaux de leur activité, sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, y compris chez leurs sous-traitants et chez les sous-traitants de leurs sous-traitants. « Il faut remonter jusqu’au fil, voire jusqu’au champ de coton », décrit Annick Jehanne. « Et on a besoin de la loi pour contraindre les entreprises ».
La dernière étape nécessaire pour l’adoption de cette directive sur le devoir de vigilance – qui existe déjà en France depuis 2017, mais ne s’applique qu’aux entreprises françaises au-delà d’une certaine taille –, c’est un vote des représentants des Etats membres. Il devait avoir lieu le 9 février mais a été reporté à deux reprises, en raison de la probable abstention de plusieurs Etats.
Célia Szymczak