À Mayotte, les acteurs de l’ESS se mobilisent pour reconstruire au-delà de l’urgence
Plus d’un mois après le passage du cyclone Chido à Mayotte, les organisations locales de l’économie sociale et solidaire œuvrent à la reconstruction de l’archipel. Un travail de long terme qui nécessite l’implication des acteurs de terrain, appelle la chambre de l’économie sociale et solidaire du département.

« Notre priorité, c’est de retrouver nos activités », lance Fabien Chevalier-Nkouka. L’association Horizon, spécialisée dans l’éducation populaire, dont il est le directeur général, s’est remobilisée très vite après le passage du cyclone Chido, le 14 décembre. « Le lendemain, nous étions en train de rechercher nos équipes. Au bout de trois jours, nous étions présents dans les quartiers pour identifier les besoins auprès de nos bénéficiaires », raconte-t-il.
Pour l’association, l’objectif est avant tout d’assurer une continuité de ses activités auprès des enfants et des jeunes de la commune, située à Tsingoni, sur la plus grande île de Mayotte, Grande-Terre. « C’est important pour nous de ne pas nous disperser. Nous ne sommes pas une association d’urgence. Notre objectif est de ne pas nous essouffler durant ces prochains mois de période post-crise, pour assurer une continuité auprès de nos bénéficiaires », met en avant Fabien Chevalier-Nkouka.
Après le passage de la catastrophe naturelle, l’association a repris au fur et à mesure ses activités, tout en étant contrainte de s’adapter aux ravages occasionnés. Le 19 décembre, Horizon a ainsi réouvert son accueil destiné aux jeunes, malgré des conditions dégradées. En dépit de la perte de leur bâtiment logistique et de leur minibus, les salariés se mobilisent également pour continuer de se rendre sur le terrain, où ils informent et sensibilisent les populations, notamment sur l’accès à l’eau. La tempête Dikeledi, intervenue mi-janvier, n’a quant à elle repoussée que d’un jour la réouverture de l’école participative de l’associaiton, inspirée des principes Montessori.
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Un réseau interassociatif pour coordonner les forces
Pour tenir dans la durée, Fabien Chevalier-Nkouka essaie toutefois de préserver son équipe, constituée de 27 salariés. « La première semaine, nous avons dit à ceux qui le souhaitaient de venir. Ceux qui avaient besoin de se reposer ou de commencer à reconstruire pouvaient rester chez eux », raconte-t-il. L’association a reçu un soutien précieux du Secours populaire ainsi que l’agence régionale de santé, témoigne le directeur général. « Nos priorités sont nos bénéficiaires et le bien-être de nos salariés. Nous voulons aussi retrouver de l’optimisme. Il y a une très belle résilience », appuie-t-il.
Le cyclone est le plus intense à avoir frappé Mayotte depuis 90 ans. Les dégâts causés par son ampleur ont poussé les associations de l’archipel à se regrouper en réseau pour unir leurs forces et faire entendre leurs voix auprès des pouvoirs publics. Le lendemain de Chido, elles ont formé le Réseau interassociatif de Mayotte (Riam), coordonné par les associations œuvrant dans le social et le médicosocial Mlezi Maore et l’Alefpa, ainsi que par la plateforme de prévention et soins des addictions Popam. L’objectif : « fédérer, coordonner et optimiser les actions et initiatives locales en faveur des Mahoraises et des Mahorais », présente Mezli Maore. Le réseau s’est doublé d’une charte dans laquelle toutes les associations s’engagent à intervenir auprès des populations sinistrées, de manière inconditionnelle.
« Une des forces de Mayotte est son tissu d’économie sociale et solidaire », soutient Fabien Chevalier-Nkouka dont l’association a rejoint le Riam. « Mais il y a un besoin de travail de réseau, de coordination », complète-t-il.
Remettre sur pied les habitats, les activités économiques et la nature
« Mayotte comporte beaucoup d’associations de quartier, localisées à l’échelle de deux ou de trois villages », abonde en ce sens Karine Meaux. La responsable des urgences de la Fondation de France s’est rendue en janvier dans la collectivité d’outre-mer pour rencontrer les acteurs associatifs de terrain et connaître leurs besoins, deux éléments indispensables afin de répartir efficacement les 40 millions de dons récoltés à la suite de l’appel de la fondation.
« La priorité est de travailler avec les associations les plus locales possibles », explique Karine Meaux. Les causes à qui bénéficient les dons récoltés par la Fondation de France sont choisies au fur et à mesure, « sans préjugés », et en fonction des besoins des populations.
40 % environ sont mobilisés pour la phase d’urgence, « qui va durer au moins six mois », estime la responsable de la fondation. Le reste est dédié en parallèle à la reconstruction de l’archipel.
Cette dernière concerne aussi bien la reconstruction des habitats, la remise en œuvre des projets économiques que la restauration des zones naturelles, largement affectées par le cyclone et pourtant essentielles à la vie mahoraise. « Mayotte a besoin de sa nature pour vivre », appuie Karine Meaux, qui a noté durant son séjour une déception présente chez les associations mahoraises. Les acteurs locaux regrettent en effet que la dimension environnementale ne soit pas davantage prise en compte par le projet de loi d’urgence, adopté le 22 janvier devant l’Assemblée nationale.
Une demande de reconnaissance de l’ESS, qui représente 23 % de l’emploi privé mahorais
Intégrés au comité de sélection de la Fondation de France, les responsables de la chambre de l’économie sociale et solidaire (Cress) de Mayotte décrivent des dégâts majeurs subis par les structures de l’économie sociale et solidaire (ESS). « 63 % des structures de l’ESS interrogées ont vu leurs locaux et leur matériel partiellement ou totalement détruits », rapportent-ils.
Dans l’archipel, l’économie sociale et solidaire représente 14 % des entreprises mahoraises, soit 281 structures, indique la Cress du département. Selon les chiffres de 2016, ce tissu économique génère 23 % de l’emploi privé, soit une valeur supérieure de neuf points par rapport à la moyenne nationale.
Pourtant, lors de la mobilisation d’urgence, Kamaldine Attoumani et Kamal Youssouf, respectivement président et directeur de la Cress de Mayotte, ont eu la sensation que les acteurs de l’ESS étaient laissés de côté par les autorités locales. Une stratégie poursuivie par la loi d’urgence, regrettent-ils.
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« Les associations et entreprises de l’ESS ont une connaissance fine du terrain. De plus, inclure les acteurs locaux aide la population à sortir de l’état de sidération qui s’est installé après le passage du cyclone », mettent-ils en avant.
Pour les responsables de la Cress, le tissu associatif mahorais présente également l’avantage de pouvoir répondre plus rapidement aux besoins. Un élément particulièrement important, au regard des difficultés rencontrées pour faire parvenir l’aide sur l’ensemble du territoire mahorais, soulignent-ils.
« Même dans les solutions mises en avant pour sortir de la crise, l’ESS n’est pas vu comme un acteur central », déplore Kamal Youssouff. « Pourtant, l’ESS mahoraise a de nombreux outils qu’elle peut mobiliser pour la reconstruction », estime-t-il, appuyant sur la nécessité de définir l’esprit dans lequel la reconstruction de l’archipel doit se faire.
Un plaidoyer pour plus d’autonomie de l'archipel
Pour les deux responsables de la Cress, la reconstruction de l’économie de l’archipel doit être pensée sur le long terme. « À Mayotte, plus de 50 % de l’économie est tiré par la commande publique. Ce n’est pas soutenable », abondent-ils, tout en déplorant que les petits acteurs de l’île n’aient pas accès à davantage de marchés directs.
Face à l’éloignement de la métropole, les responsables de la Cress plaident pour un développement de l’autonomie alimentaire de l’archipel et une plus grande insertion économique dans son bassin océanique. « Le poulet consommé à Mayotte vient du Brésil. Pourquoi ne pas s’approvisionner de manière plus locale ? », s’interrogent-ils par exemple, tout mettant en avant la possibilité d’utiliser l’ESS comme un outil de diplomatie économique auprès des pays voisins.
Kamaldine Attoumani et Kamal Youssouff pointent enfin du doigt des problèmes de mise en œuvre des différentes mesures adoptées par l’État.
En 2017, le gouvernement avait par exemple adopté un « plan eau », promettant d’engager plus de 40 millions d’euros. Malgré cela, la crise de l’eau perdure dans l’archipel.
Les plans « Mayotte 2025 », adoptés en 2014 et 2018 prévoyait quant à eux une feuille de route pour le premier et des dépenses à hauteur de 1,3 milliard d’euros pour le second. Des promesses dont la mise en œuvre titube.
« Certaines des mesures rapidement engagées ont été interrompues au gré de changements politiques ou de préfet. Ainsi, le suivi du plan “Mayotte 2025” s’est interrompu au bout d’un an, et s’agissant du plan de 2018, il n’existe aucun document de suivi mis à jour ni de données d’exécution de celui-ci, hormis un tableau renseigné par la préfecture à la demande de la Cour », relève en ce sens la Cour des comptes dans un rapport de 2022 intitulé « Quel développement pour Mayotte ? ».
« Dans le rapport publié ce jour, les juridictions financières (Cour des comptes et chambre régionale des comptes de Mayotte) soulignent que les services de l’État et du département ne parviennent pas à apporter les solutions attendues par les mahorais sur les plans sociaux, économiques et sociétaux », conclut la juridiction financière.
Face aux difficultés étatiques, « l’ESS joue un rôle d’amortisseur », considèrent les responsables de la Cress, qui demandent à ce titre une reconnaissance et une inclusion dans les discussions. « Il faut arrêter les plans et mettre en place un schéma régional d’aménagement en collaboration avec l’Etat et les collectivités », plaident Kamaldine Attoumani et Kamal Youssouff, qui militent également pour qu’une réponse à un appel à projets européen en faveur de Mayotte soit porté au niveau national.
Élisabeth Crépin-Leblond