Budget 2024 : « La part dédiée à l’ESS est ridicule » (Charles Fournier, député écologiste)
Le député écologiste a remis un avis sur les crédits alloués à l’économie sociale et solidaire par le projet de loi de finances 2024. Interview.
Le volet dépenses du projet de loi de finances 2024 est arrivé à l’Assemblée nationale le 31 octobre. Le député de la première circonscription d’Indre-et-Loire Charles Fournier a remis un avis au nom de la commission des affaires économiques sur les crédits alloués à l’économie sociale et solidaire. Il se montre très critique quant au montant dédié. Il réfléchit également à la possible évolution de la loi Hamon de 2014 qui définit le champ de l’économie sociale et solidaire. Entretien.
- 19 millions de crédits seraient alloués par le projet de loi de finances (PLF) à l’économie sociale et solidaire (ESS). Dans votre avis, vous les comparez à l’Espagne où ils s’élèvent à 800 millions d’euros. Que penser de ce montant ?
La part directement dédiée à l’ESS dans le PLF est ridicule. J’ai réalisé une autre comparaison, cette fois avec l’économie dite traditionnelle. Les crédits qui sont alloués à celle-ci dépassent les 140 milliards d’euros. C’est une comparaison imparfaite, mais qui donne une idée. L’ESS pèse 14 % des emplois privés salariés. Quand vous comparez son poids et ce qu’elle représente budgétairement, c’est édifiant.
Des critiques estiment que l’ESS est une économie subventionnée, sous respiration artificielle grâce aux interventions publiques. On voit avec cette comparaison que ce n’est pas elle l’économie subventionnée.
- 19 millions d’euros, c’est le budget directement fléché vers l’ESS. Mais cette économie bénéficie de crédits via d’autres cheminements. Savez-vous à hauteur de combien l’ESS est financée au global dans le cadre du budget ?
Je ne peux pas faire le compte global, le gouvernement aurait dû le faire."
Effectivement, le programme « jeunesse et vie associative » représente 52 millions d’euros. 1,3 milliard sont consacrés à la mission « travail et emploi ». C’est de l’insertion par l’activité économique, mais difficile de dire ce qui relève exclusivement de l’ESS. Dans le programme « politique de la ville », les crédits s’élèvent à 634 millions d’euros. Mais ici aussi, il y a une part pour l’ESS et une autre non.
Je ne peux pas faire le compte global, le gouvernement aurait dû le faire. L’ESS a pour spécificité de relever de plusieurs champs. On aurait besoin de savoir, de manière consolidée, ce qu’elle représente et d’en faire l’évaluation.
- Un amendement a été adopté en commission au sujet de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Il permettrait de porter le budget à 89 millions d’euros contre 69 millions prévus. Vous vous en réjouissez ?
Je m’en réjouis mais je ne suis pas totalement rassuré pour la suite. J’avais moi-même déposé un amendement à ce sujet-là, j’allais même un peu au-delà : je portais à 31 millions d’euros et non à 20 millions la rallonge car je considérais qu’il fallait développer l’expérimentation et donc qu’on avait besoin de plus de crédits pour aller au-delà de l’existant. Ça a passé différentes étapes avant de ne plus passer.
Pour celui-ci, je reste très prudent quant aux arbitrages qui seront faits par le gouvernement lorsqu’il aura recours à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer le PLF.
- Dans votre avis, vous évoquez l'engagement accru en faveur des contrats à impact social. Vous vous en inquiétez. Pourquoi ?
Jusqu’à présent, ces contrats n’ont pas franchement été une réussite. Très peu d’acteurs y ont accédé, seulement des gros. Je m’inquiète que cela se substitue au financement public direct. De plus, avec ces contrats, une difficulté existe. Vous êtes tenu de produire des résultats précis, de passer beaucoup de temps à élaborer des batteries d’indicateurs à renseigner, pour finalement possiblement ne pas être payé. En effet, l’État ne vous paye que si vous avez atteint certains résultats.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas que ça existe, mais je crois qu’aujourd’hui cela ne peut pas être une alternative à la subvention ou à d’autres modes de prises de participation de la puissance publique dans le capital social des acteurs de l’ESS, tels que l’intervention en fonds propres.
- Vous réfléchissez également dans l’avis à la possible évolution de la loi Hamon, qui définit le champ de l’ESS. Selon votre avis, il faudrait faire rentrer la dimension écologique dans la définition de l’économie sociale et solidaire. Plus précisément, vous proposez de modifier la définition de l’utilité sociale. Pouvez-vous résumer votre position ?
Mes avis ne sont pas totalement tranchés. J’ai encore besoin de les affiner.
Pour autant, il me semblerait nécessaire que la dimension écologique soit intégrée dans la définition de l’utilité de l’ESS. Même si cela ne doit pas affaiblir l’utilité sociale et solidaire de ce secteur. C’est pour ça que je parle d’une utilité sociale OU écologique et non pas ET écologique. Avec cette définition, certains peuvent avoir une utilité première qui est écologique.
Je pense que l’économie sociale et solidaire est très bien placée pour répondre aux enjeux écologiques. Ma conception de l’écologie repose sur des approches coopératives, démocratiques, ainsi que sur la nécessité d’une lucrativité maîtrisée.
Après, il existe un débat au sujet de la définition de l’ESS : s’agit-il de familles d’acteurs au regard de leur statut ou est-ce que ce sont toutes les entreprises qui ont un impact social et écologique positif ? Je me méfie des deux versions. La version qui reposerait sur l’histoire prend le risque d'avoir des acteurs dont le statut correspond à ce qu’est l’ESS, mais qui ne leur confère pas forcément des vertus. Par exemple, il existe des associations de producteurs de pétrole.
Je ne sais pas trancher, mais il faut éviter d’avoir un débat caricatural."
À l’inverse, lorsqu’on mesure l’impact social et environnemental, il existe un risque de greenwashing. Et puis il y a beaucoup de questions : sur quelles épaules pèsera la mesure d’impact ? Sera-t-on dans des processus permanents d’évaluation qui pèseront sur les épaules des acteurs ? Et enfin, comment mesure-t-on précisément l'impact écologique et social ? On voit bien que cela entraîne des difficultés. Je ne sais pas trancher, mais il faut éviter d’avoir un débat caricatural.
Enfin, je serais aussi pour revisiter le fonctionnement de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » (Esus), pour à la fois le simplifier et l’harmoniser et faire en sorte que les exercices d’évaluation soient les mêmes pour toutes les entreprises concernées.
- Vous l’avez dit : on observe plusieurs camps irréconciliables sur la question de l’évolution de la loi de 2014. Avez-vous ressenti cette pression ?
Oui, je l’ai sentie. Quelqu’un a posté un message sur LinkedIn pour parler de sa rencontre avec moi pour la réalisation de l’avis. Il s’est fait tomber dessus par d’autres acteurs. Là, j’ai senti le niveau d'affrontement sur cette question.
- Vous avez eu un débat sur l’économie sociale et solidaire en commission des finances. C’est assez étonnant d'écouter les avis des différents groupes. Selon vous, les parlementaires ont-ils assez de connaissances sur l’ESS ?
Dans la plupart des rangs, des gens connaissent bien l’ESS. Julien Dive, député Les Républicains, m’a interrogé à ce sujet en commission. Son appréciation me laisse à penser qu’il connaît bien l’ESS.
En revanche, les propos du Rassemblement National ou d’autres montrent une confusion. Ils y voient une économie sous respiration grâce aux financements publics. Ils ont l’impression que ce n’est pas de la vraie économie. Certains la tolèrent, d'autres trouvent qu’elle pose problème car elle serait subventionnée et qu’elle serait concurrente de l’économie traditionnelle.
On observe une contradiction au sein du RN. Ils se présentent comme de grands défenseurs de la ruralité, sans regarder ce qu’est la réalité économique de ces territoires. Car souvent, ce qu’il y reste, c’est l’économie sociale et solidaire et les services publics. Il y a matière à améliorer la connaissance du secteur, ça c’est sûr.
- Que pensez-vous du retour de l’ESS chez Olivia Grégoire, également ministre déléguée aux PME, au Commerce, à l’Artisanat et au Tourisme ?
Lorsqu’elle était en charge de l’ESS entre 2020 et 2022, elle était plutôt appréciée pour sa lecture du secteur. Elle semblait en défendre les valeurs et en porter les orientations, je salue cela. Cette fois, il y a une limite : l’ESS n’est même pas venue s’ajouter à l'arrêté de délégation.
Olivia Grégoire a par ailleurs d’autres responsabilités assez importantes, telles que le commerce et l’artisanat. Je ne voudrais pas que l’ESS soit le parent pauvre de sa feuille de route ministérielle.
Je regrette qu’elle n’ait pas voulu, car ce n'est pas la tradition, pouvoir être auditionnée à l’Assemblée nationale. Ce qui aurait été une manière de discuter de ses ambitions. Je regrette enfin que la feuille de route en la matière arrive après le budget.
- Quel regard portez-vous sur la coopérative Railcoop, récemment placée en redressement judiciaire ?
Il y a de vrais problèmes de gouvernance. On ne peut pas complètement les mettre de côté. L’autre difficulté est liée au modèle économique. On considère toujours qu’il faut investir, mais pas trop dans cette économie fragile car elle ne serait pas en capacité de répondre à ces sujets-là, industriels et importants. Pourtant, cette économie a très souvent été à l’origine d'innovations dont le marché s’est saisi dans un second temps.
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Propos recueillis par Théo Nepipvoda