Cash Investigation : que dévoile l'enquête sur le mécénat d’entreprise et le fonctionnement des associations ?
L’émission Cash Investigation de jeudi 20 octobre s’intitulait « Entreprises, mécénat, associations : les relations dangereuses ». Attendue par le secteur de l’engagement, elle a dévoilé au grand public certains des mécanismes du mécénat d'entreprise, ses liens avec les associations et pointé du doigt quelques dysfonctionnements. Décryptage.
Pour le grand public, faire un don à une association est un geste simple qui permet de soutenir une cause. Le mécénat d'entreprise est quant à lui beaucoup moins connu. L’émission de Cash Investigation est l’occasion pour Carenews, le média de référence, entre autres, de l’actualité du mécénat, de revenir sur certaines notions évoquées : le produit-partage, les différences entre mécénat d'entreprise et parrainage, etc. Et de réaffirmer le rôle essentiel des 1,5 million d’associations dans la société.
Cash Investigation : les relations entre entreprises et associations en question
Qu’a dévoilé l’émission d’Elise Lucet ? Le reportage accuse une grande ONG onusienne, l’Unicef, par sa branche française, d’avoir accepté un partenariat avec la marque L’Occitane pour des savons dont les processus de fabrication seraient en contradiction avec les valeurs de l'ONG. Pour fabriquer les savons, un sous-traitant indonésien de l'entreprise de cosmétiques aurait eu recours au travail des enfants, dénoncé par l'Unicef.
L'émission s'attaque également à l'utilisation des dons faits aux associations. L’Unadev, une association pour mal-voyants, épinglée par la Cour des comptes, aurait utilisé moins de 50 % des dons pour ses bénéficiaires. Le reportage enquête aussi sur AIDES et sur des frais de communication élevés sur une opération de collecte. Le reportage s'interroge également sur le Don en Confiance, qui labellise les associations (comme Unicef et AIDES) et garantit aux donateurs leur fiabilité, mais qui porte un contrôle parfois limité. Des exceptions (toujours de trop) diront les spécialistes du secteur.
Le grand public a découvert le fonctionnement des associations. Leur financement via des fonds publics (subventions, etc), mais surtout des dons de particuliers et/ou d'entreprises mécènes. La répartition des frais de fonctionnement, de gestion, de logistique et de collecte. Rappelons qu'elles sont, selon leur taille, soumises au contrôle externe d’un commissaire aux comptes « imposé » par la loi. Les plus petites, quant à elles, ne sont pas contrôlées, mais censées tenir une comptabilité même succincte de leurs dépenses et rentrées d’argent.
Les entreprises dites mécènes, depuis 2003 et l’adoption de la loi Aillagon sur le mécénat, peuvent soutenir les organisations à but non lucratif (dont les associations) de différentes façons (dons en nature, compétences, matériel). Précisons la mécanique, moins connue du grand public qui a vu l'émission.
1/ Premièrement, dans le cas d’organismes d’intérêt général, l'article 238 bis du code général des impôts prévoit une réduction d’impôt, pris dans la limite de 20 000 euros ou de 0,5 % du chiffre d'affaires lorsque ce dernier montant est plus élevé, pour les entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés ayant effectué des versements au profit d'œuvres ou d'organismes d'intérêt général.
Pour l'ensemble des versements effectués au titre dudit article :
-La fraction inférieure ou égale à 2 millions d'euros ouvre droit à une réduction d'impôt au taux de 60 % ;
-La fraction supérieure à ce montant ouvre droit à une réduction d'impôt au taux de 40 %.
2/ Deuxième cas, pour les organismes sans but lucratif fournissant des repas gratuits et des produits de première nécessité à des personnes en difficulté, l'entreprise bénéficie également d'une réduction d'impôts de 60 % du montant du don, toutefois, le montant des dons retenus pour le calcul de la réduction ne peut pas dépasser, un plafond de 20 000 euros ou 5‰ du chiffre d'affaires annuel hors taxe de l'entreprise donatrice.
(Source : Gouvernement)
Rappelons aussi que le législateur a déjà alerté sur certaines dérives. En février 2021, la Cour des comptes publiait un référé à charge sur le manque de contrôle des dons octroyés aux associations. L’institution publique estimait « que le contrôle des dons défiscalisés faits aux associations était insuffisant », selon un article paru dans Les Echos. Les magistrats financiers ont indiqué qu’un certain risque existait de voir « des avantages fiscaux accordés aux associations et à leurs mécènes, bénéficier à des organismes ne respectant pas les principes républicains ».
Le mécénat et le parrainage : deux pratiques très distinctes
L’émission d’Elise Lucet s’est principalement concentrée sur la notion de « mécénat ». Un mot qui peut paraître opaque pour les non-initiés ou le grand public. Le mécénat d’entreprise concerne les dons qu’elles peuvent faire sous différentes formes : financier, en nature (matériel) ou de compétences (savoir-faire ou temps des collaborateurs). Ce soutien doit être réalisé de façon désintéressée, sans contreparties directes ou indirectes équivalentes. C’est d’ailleurs ce point de désintérêt qui est primordial pour s’inscrire dans le champ légal et fiscal du mécénat. Car l’entreprise bénéficie, à ce titre, de réductions fiscales sur ces dons (voir encadré ci-dessus).
Le parrainage quant à lui est le fait pour une entreprise d'apporter son soutien à une organisation caritative (une personne ou une manifestation), en vue d’en retirer un bénéfice financier direct commercial ou publicitaire en jouant notamment sur l'image de la cause ou du projet soutenu.
Le produit-partage, une opération « commerciale »
Le reportage de Cash s'attarde sur une opération de produit-partage, un bracelet, créé par la marque de luxe Louis Vuitton pour UNICEF France et présenté comme un geste humanitaire. Mécénat ? Non, clairement. Le reportage souligne que l'entreprise a démarché l'ONG en 2015 pour ce bracelet solidaire, et en a tiré profit dans une opération très avantageuse fiscalement.
Selon l’Admical, il n'existerait pas vraiment de définition du produit-partage. Ce concept représente une opération commerciale entre une marque et une organisation caritative. Une des plus connues du grand public est celle des sacs à sapin vendus en amont des fêtes de Noël. Dans ce cas précis, le produit-partage relève d’une action marketing, et non d’une opération de mécénat. La finalité est intéressée et clairement affichée : déclencher un acte d’achat, prouvé par les marges révélées par le reportage.
Comme le rappelle l’Admical : « Les retombées publicitaires de l’opération excluent en général la possibilité pour l’entreprise de bénéficier de l’avantage fiscal lié au mécénat. »
Le besoin de confiance du secteur associatif
Finalement, que va retenir le grand public ? Que certaines associations n’ont pas toujours des pratiques très éthiques ? Or, le besoin de confiance en nos associations est primordial. La période qui s’ouvre en cette fin d’année est essentielle pour le secteur associatif.
En 2021, 42 % des Français ont été particulièrement généreux entre octobre et décembre, selon la dernière étude de France générosités (2021). Le mois de décembre concentre à lui seul la plus forte augmentation avec plus de la moitié des dons sur les trois derniers mois et 24 % de la collecte annuelle. Un constat toutefois à prendre avec des pincettes, expliquait à l’époque le syndicat. En effet, l’enquête pointait un nombre de nouveaux donateurs en baisse de 9 % depuis 2011, sujet de préoccupation majeur pour le secteur. Quelles répercussions aura réellement cette émission sur les associations ? Pas évident à évaluer.
Un premier test aura peut-être lieu fin novembre, à l’occasion du Giving Tuesday, un moment fort pour la générosité matérialisé par une mobilisation des citoyens lors de collectes matérielles ou de dons financiers, de challenges solidaires, organisés en entreprise ou au niveau personnel.
-Le secteur du mécénat représente 8,5 milliards d’euros de dons, dont 5 milliards proviennent de particuliers et 3,5 milliards des entreprises ;
-104 000 entreprises mécènes en 2019, elles étaient 28 174 en 2010 ; -
+119 % entre 2010 et 2019 du montant des dons déclarés au titre du mécénat ;
(source : Observatoire de la Philanthropie de la Fondation de France 2021)
Christina Diego