Comment les milliardaires contribuent-ils aux inégalités climatiques dans le monde ?
Yachts, jets privés, investissements polluants… Dans un rapport publié le 28 octobre, Oxfam revient sur les « émissions excessives d’une élite » ultrariche et leurs contributions au réchauffement climatique.

« Si tout le monde se mettait à émettre autant de CO2 que les 1 % les plus riches de la planète, le budget carbone restant serait épuisé en moins de cinq mois. Si tout le monde émettait au même rythme que les transports de luxe des 50 milliardaires les plus riches du monde, le budget carbone serait épuisé en deux jours », alerte Oxfam dans un nouveau rapport publié lundi 28 octobre, intitulé Les inégalités carbone tuent.
La confédération d’organisations caritatives, qui lutte contre la pauvreté et les inégalités, met en lumière « le rôle disproportionné des ultra-riches dans le réchauffement climatique » et appelle à « la réduction drastique des inégalités » pour répondre à l’urgence climatique et instaurer une « véritable justice sociale ».
« La quantité limitée de dioxyde de carbone que nous pouvons encore émettre en évitant le désastre est connue sous le nom de budget carbone. Au rythme actuel, ce budget sera épuisé dans quatre ans », avertit-elle en préambule avant de détailler les postes les plus responsables de ces émissions.

Les superyachts encore plus polluants que les jets privés
Le rapport se concentre notamment sur les moyens de transport utilisés par les personnes les plus riches de la planète. « À l’échelle mondiale, 1 % seulement de la population est responsable de la moitié des émissions de CO2 produites par les avions », met en avant Oxfam.
De leur côté, les ventes de jets privés ont doublé en vingt ans. L’ONG a notamment identifié des jets privés appartenant à 23 des 50 milliardaires les plus riches du monde et calculé qu’ils avaient chacun effectué en moyenne 184 trajets en avion en 2023 et passé 425 heures dans les airs, « ce qui équivaut à faire dix fois le tour du monde ».
« Ces jets émettent en moyenne 2074 tonnes de CO2 par an, ce qui équivaut à 300 années d’émissions pour un citoyen lambda ou à 2 000 années d’émissions pour un personne appartenant à la tranche des 50 % les plus pauvres de la planète », analyse Oxfam.
L’ONG a également analysé 23 superyachts appartenant à 18 milliardaires et estime l’empreinte carbone annuelle moyenne de chacun de ces navires à 5 672 tonnes, « soit plus de trois fois les émissions des jets privés des milliardaires ».
« Cela équivaut à 860 années d’émissions pour un citoyen lambda et à 5 610 fois les émissions moyennes d’une personne appartenant à la tranche des 50 % les plus pauvres de la planète », ajoute Oxfam. « Même s’ils restent à quai la plupart du temps, il est à noter que près de 22 % de leurs émissions globales sont générées pendant cette période “d’inactivité” », précise-t-elle.
Les investissements, première cause d’émission de CO2
Mais plus encore que leur consommation, ce sont surtout les investissements réalisés par les ultra-riches qui « constituent la composante la plus importante de leur impact global sur la population et la planète », dénonce Oxfam.
En tant que PDG ou actionnaire principal, « les milliardaires contrôlent 34 % des 50 plus grandes sociétés cotées en bourse dans le monde, dont sept des dix plus grandes », rappelle l’organisation.
Cette dernière a identifié les émissions liées aux investissements de 41 individus, parmi les 50 personnes les plus riches du monde, qui s’élèvent à environ 2,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 en moyenne. « Cela représente près de 340 fois les émissions de leurs jets privés et superyachts combinés », précise Oxfam qui estime que « les investissements des milliardaires sont bien plus néfastes pour la planète que les portefeuilles d’investissement ordinaires ».
« Les émissions de chaque milliardaire liées à ses investissements équivalent à près de 400 000 années d’émissions liées à la consommation d’une personne ordinaire, ou à 2,6 millions d’années d’émissions liées à la consommation d’une personne appartenant à la tranche des 50 % les plus pauvres de la planète », met en comparaison l’organisation.
En effet 40 % des investissements réalisés par les grandes fortunes concernent des secteurs émetteurs de gaz à effet de serre comme l’industrie pétrolière, l’exploitation minière, le transport maritime et l’industrie du ciment. « Seulement 24 % des entreprises dans lesquelles ces personnes investissent se sont fixés pour objectif d’atteindre zéro émission nette », ajoute encore Oxfam, estimant que « si ces investissements étaient placés dans des fonds consacrés à des activités à faible empreinte carbone, les émissions liées à ce portefeuille seraient treize fois moins élevées ».
Bernard Arnault, Elon Musk et la famille Walton
L’ONG n’hésite pas à pointer du doigt certains noms dans son rapport. « Bernard Arnault émet 1 200 fois plus de gaz à effet de serre de CO2 qu’un Français moyen », met ainsi en avant Oxfam. Le même Bernard Arnault a une empreinte carbone liée à son patrimoine financier 200 000 fois plus élevée que celle d’un Français moyen. « Autrement dit, Bernard Arnault émet autant de CO2 en 200 minutes (3h20) qu’un Français durant toute sa vie, via le patrimoine financier », souligne Oxfam.
Elon Musk quant à lui possède au moins deux jets privés, selon l’ONG, qui « produisent à eux deux 5 497 tonnes de CO2 par an, ce qui équivaut à 834 années d’émission pour un citoyen lambda ou à 5 437 années d’émission pour une personne appartenant à la tranche des 50 % les plus pauvres de la planète ».
La famille Walton, héritière de la chaîne de magasins Walmart, possède quant à elle trois superyachts, dont la valeur est estimée à plus de 500 millions de dollars américains. « Ces bateaux ont parcouru 56 000 milles nautiques en un an, générant une empreinte carbone combinée de 18 000 tonnes. Ce chiffre équivaut au CO2 émis par environ 1 714 employés des magasins Walmart », rapporte Oxfam.
L’ONG appuie dans son rapport sur la manière dont ces émissions contribuent à augmenter les inégalités, la faim et la mortalité dans le monde. Pour les limiter, elle formule plusieurs propositions.
Parmi elles, des plans nationaux « visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles et à aider les ménages pauvres et ceux de la classe moyenne à affronter plus aisément la transition vers des économies à faible émissions de carbone », des taxes sur les ultra-riches, l’interdiction ou la taxation de manière dissuasive de la consommation de produits de luxe à forte empreinte carbone, ou encore la réglementation de l’activité des entreprises et des fonds d’investissement pour qu’ils réduisent radicalement et équitablement leurs émissions de carbone.
Élisabeth Crépin-Leblond