Cop 16 sur la biodiversité : des avancées mais des discussions ajournées sur le financement
Les ONG mettent en avant plusieurs décisions importantes prises lors de la Cop 16, qui s’est déroulée du 21 octobre au 2 novembre à Cali (Colombie). Parmi elles : la création d’un organe permanent pour les peuples autochtones et les communautés locales, le partage des avantages découlant du séquençage des ressources génétiques ou la cartographie de zones marines à protéger. En revanche, des discussions cruciales portant sur les financements sont reportées à plus tard.
« La Cop 16 a débuté dans un contexte compliqué », constate Arnaud Gilles, responsable Diplomatie verte pour WWF. À Cali (Colombie), du 21 octobre au 1er novembre, 196 États devaient examiner et poursuivre la mise en œuvre de l’accord de Kunming-Montréal, adopté en 2022 lors de la Cop 15.
Mais au moment du lancement de la Cop 16, une vingtaine de pays seulement avaient soumis la mise à jour de leurs plans d’action nationaux pour la biodiversité pour se conformer à cet accord. La protection des terres et des mers a peu avancé depuis son adoption. « La baisse de l’aide publique au développement dans de nombreux pays, dont la France, n’était pas susceptible de créer un climat de confiance », estime Antoine Gilles, alors qu’un des enjeux des négociations était l’aide des pays du Nord aux pays du Sud pour protéger la biodiversité.
« En dépit de ce contexte, il s’est passé des choses intéressantes à Cali, assez historiques au regard des négociations se déroulant à l’ONU depuis 1992 [la date d’ouverture de la Convention sur la diversité biologique] », poursuit Arnaud Gilles.
Reconnaissance du rôle des peuples autochtones et des communautés locales
Première avancée : une décision actant la création d’un organe permanent dédié à la participation des peuples autochtones et communautés locales. « Cela devrait leur garantir une participation un peu plus solide et systématique. Cela a une énorme portée symbolique, c’est une reconnaissance de leur rôle dans la protection de la biodiversité et de la manière dont ils sont affectés par son effondrement », détaille Arnaud Gilles. « C’est une réelle avancée, cela fait trente ans qu’ils le demandaient. Ils pourront discuter avec les parties signataires du type d’action menée et du mode de financement des actions les concernant », confirme Arnaud Schwartz, vice-président de France nature environnement (FNE). Une autre décision reconnaît le rôle des personnes afrodescendantes dans la conservation et l’usage durable de la biodiversité.
Mise à contribution des entreprises sur les ressources génétiques
Une décision paraît essentielle aux deux représentants d’ONG : la mise en place d’un mécanisme de partage des avantages découlant de l’utilisation d’informations de séquençage numérique des ressources génétiques. « Les entreprises utilisent des ressources génétiques issues des pays du Sud désormais numérisées et stockées dans des bases de données », explique Arnaud Gilles. Elles devraient contribuer à un fonds, appelé Fonds de Cali. « C’est un moyen de rétribuer les pays du Sud qui ont protégé la biodiversité et notamment les peuples autochtones », à qui 50 % des recettes devraient être reversées, précise-t-il. « La règle n’est pas encore suffisamment opérationnelle, on ne sait pas si c’est volontaire ou obligatoire pour les entreprises », regrette toutefois Arnaud Schwartz.
Troisième avancée notable : les États se sont mis d’accord sur le fait de cartographier les zones en haute mer à protéger « C’est très bien, ces zones appartiennent à tout le monde et il y a d’importants enjeux de biodiversité », commente Arnaud Schwartz. Par ailleurs, les parties ont adopté une décision soulignant la nécessité de mettre en œuvre des politiques intégrant la protection de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. « C’est très important. Nous n’avons pas vraiment intégré la biodiversité dans nos têtes, dans nos politiques, dans les actions des entreprises », déplore le vice-président de FNE.
700 milliards manquants pour la biodiversité
Malgré ces avancées importantes, d’autres éléments restent en suspens. D’abord, les États devaient préciser les modalités de suivi de l’accord de Kunming-Montréal. « Les négociations ont avancé de manière inégale », indique Arnaud Gilles de WWF. « Une partie des indicateurs ne sont pas aussi bons que ce qu’on aurait voulu, ils sont parfois trop flous », complète Arnaud Schwartz.
C’est surtout la question de la mobilisation des financements pour la biodiversité qui a été reportée à plus tard. Le déficit de financement de la biodiversité s’élève à 700 milliards de dollars par an, selon l’accord de Kunming-Montréal. Celui-ci prévoit la mobilisation de 200 milliards de dollars par an d’ici à 2030 provenant « de toutes les sources », dont 30 milliards de dollars par an versés par les pays développés aux pays en développement.
Aider les pays en développement à protéger la biodiversité
La négociation sur ce sujet a dû être interrompue par la présidence colombienne, le quorum de représentants des États n’étant plus atteint le samedi 2 novembre, après la fin prévue de la Cop. « Le sujet a été abordé trop tard dans les négociations, estime Arnaud Gilles. Le fossé politique entre les pays du Nord et les pays du Sud ne s’est pas du tout comblé à la Cop. Les pays du Nord disent qu’ils font beaucoup d’efforts, les pays du Sud disent qu’ils ne pourront pas avancer sans les financements », décrit-il.
Huit pays, dont la France, ont bien déclaré abonder à hauteur de 163 millions de dollars le Fonds du cadre mondial pour la biodiversité (GBFF), destiné à soutenir les pays en développement dans la mise en œuvre de l’accord de Kunming-Montréal. « La France a apporté cinq millions de dollars. Tout est bon à prendre, mais cela paraît un peu faible par rapport aux immenses besoins », affirme Arnaud Gilles.
Les débats portent aussi sur la création d’un nouveau fonds pour la biodiversité, appelé de leurs vœux par des pays en développement, tandis que des pays développés sont réticents.« C’est un grand axe problématique et les pays n’ont pas réussi à tomber d’accord », précise Arnaud Schwartz.
Incitations fiscales et subventions
« Ils n’ont pas avancé sur ces sujets importants, ça devient de plus en plus urgent, ajoute-t-il. Des sommes beaucoup plus significatives sont attendues et elles doivent notamment être trouvées sur des moyens privés. Il n’y a pas de décisions ayant permis d’avancer ». Cela lui fait dire que cette Cop est un « échec ».
L’accord de Kunming-Montréal prévoit aussi une réduction d’au moins 500 milliards de dollars par an d’ici à 2030 des incitations fiscales et des subventions préjudiciables à la biodiversité. « Tout ce qui est mal utilisé et détruit la biodiversité représente plus d’argent que ce qu’il faudrait pour mettre en œuvre toutes les actions découlant de l’accord de Kunming-Montréal. On aurait assez d’argent public, mais il est mal utilisé. C’est dramatique », souligne le vice-président de FNE.
Célia Szymczak