« L’Union européenne doit ouvrir un chantier sur un droit universel à la transition professionnelle », entretien avec Hugues Vidor, président de l’Udes
L’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes) a publié une série de propositions en amont des élections européennes. Face à l’évolution des métiers, Hugues Vidor, président de l’Udes plaide pour le développement du dialogue social européen et des mesures en faveur de la formation et de la transition professionnelle.
- Pourquoi avoir publié un plaidoyer en amont des élections européennes ?
Nous voulons rappeler que l’Europe a du sens et qu’elle permet de développer les protections sociales, un accès à la formation ainsi que de lutter contre les poches de pauvreté.
En Europe, l’ESS est composée de plus de 2,8 millions de structures. Cela représente 10 % des entreprises au niveau européen, 19 millions d’employeurs, 9 % des emplois et selon le Conseil économique et social européen 10 % du PIB. Dans ce cadre, nous souhaitons une dynamique sociale, un développement du socle européen des droits sociaux, ainsi que la mise en place d’initiatives favorisant l’équilibre vie professionnelle-vie privée.
Nous voulons aussi mettre en avant la contribution positive de l’immigration sur le marché du travail. En France, toutes les organisations patronales s’accordent à dire qu’il faut développer l’insertion des travailleurs venus d’autres pays et que, sans la plus-value de travailleurs issus de l’immigration, nous rencontrerons des difficultés à remplir nos missions. Nous souhaitons vraiment que l’Europe s’engage et entame un chantier sur ce sujet.
Au cœur de nos propositions, il y a également celle d’entamer un chantier sur un droit universel à la transition professionnelle. Notre idée est de reprendre le concept du compte personnel de formation pour sécuriser les salariés.
Les nécessités de faire évoluer les métiers sont fortes. Il va y avoir de grandes ruptures, notamment avec le développement de l’intelligence artificielle. Certains métiers vont disparaître, d’autres vont se créer ou évoluer.
Nous avons aussi toute une réflexion autour de la transition environnementale. Nous pensons qu’il faut des outils pour mesurer les effets du Pacte vert, sur le modèle de ce que nous avons pu faire en France avec la mesure de l’impact social et environnemental.
Enfin, pour que l’ESS soit mieux soutenue et reconnue, nous nous inscrivons dans l’ensemble des propositions qui ont été faites sur l’orientation des financements européens vers des acteurs de l’ESS, en particulier ceux du Fonds social européen ou du Programme sur l’emploi et l’innovation sociale.
- Dans votre plaidoyer, vous appuyez sur la nécessité de mesures pour la formation et la transition professionnelle. Y a-t-il un besoin particulier sur ces questions pour l’ESS ?
Il existe des besoins forts parce que les métiers vont évoluer. Dans le secteur de l’aide et du soin à domicile, par exemple, la place des technologies numériques peut se développer de multiples manières.
Il n’y a pas de réponse toute faite, mais il faut analyser filière par filière et entamer un travail avec les acteurs des différentes branches pour voir ce qui pourrait évoluer dans ces métiers et travailler sur des référentiels de formation et de compétences à acquérir par les salariés.
Cela se construit au niveau national mais aussi européen, et nous manquons d’une vision de ce point de vue.
« Aujourd'hui, l’ESS n’est pas au cœur des débats des élections, alors que ses entreprises et ses employeurs jouent un rôle majeur pour accompagner les transitions sociales et écologiques »
- Trouvez-vous que l’ESS est assez reconnue au sein de l’Union européenne ?
Il y a eu des travaux importants, notamment le Plan d’action pour l’économie sociale adopté par la Commission en 2021, concrétisé par une recommandation du Conseil de l’Union. Il y a aussi l’intergroupe de l’économie sociale au Parlement européen, dont le renouvellement est un des enjeux des élections, de même que l’adoption de la directive sur le statut de l’association transfrontalière et du but non-lucratif. Nous soutenons bien évidemment cette initiative, qui permettra d’assurer une liberté d’établissement, un enregistrement unique, une définition du but non-lucratif en droit européen, ainsi que le principe de liberté d’association.
Pour développer la lisibilité de ces enjeux, nous pensons aussi qu’il est important d’avoir une forme d’incarnation. À l’Udes, nous soutenons l’idée d’un Commissaire européen dédié aux questions de formation et de transition, en plus d'un Commissaire européen à l’ESS. Nous l’avons baptisé « Commissariat aux compétences » car nous savons que la grande rupture va être sur les problématiques du numérique. Il faut le financer et qu’il y ait une incitation forte.
Aujourd'hui, l’ESS n’est pas au cœur des débats des élections, alors que ses entreprises et ses employeurs jouent un rôle majeur pour accompagner les transitions sociales et écologiques.
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« Dans l’idéal, il serait bon qu’avant de proposer ou de voter une directive, les députés européens mesurent mieux les conséquences sur leurs économies respectives. »
- Vous plaidez pour plus d’attention envers les très petites entreprises (TPE). Quelles mesures plébiscitez-vous en particulier ?
Parmi les intentions repérées par un certain nombre d’employeurs, il y a celle de vérifier que les différentes mesures sont adaptables au TPE et donc de procéder à des études d’impact en amont.
Aujourd’hui il y a aussi une réflexion en France sur des mesures de simplification.
Il s’agit enfin de se pencher sur l’articulation entre les mesures adoptées à l’échelle européenne et leur application au niveau français. Par exemple, la transposition du droit de l’Union européenne en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie n’avait pas eu lieu. Elle a nécessité une consultation préalable des partenaires sociaux pour l’ajuster au droit français et plusieurs allers-retours avec le ministère du Travail.
Dans l’idéal, il serait bon qu’avant de proposer ou de voter une directive, les députés européens mesurent mieux les conséquences sur leurs économies respectives.
- Vous incitez également à harmoniser par le haut les règlementations en matière de droit social et de protection sociale. Pourquoi citez-vous la directive sur le salaire minimum ?
C’est un exemple à valoriser. Selon cette directive, le salaire minimum doit se définir dans chaque pays à partir du salaire moyen, ce qui permet d’être mieux-disant tout en respectant l’équilibre économique de chaque pays.
Il s’agit d’une incitation à réfléchir sur un modèle qui doit pouvoir se décliner en fonction des systèmes économiques des États et qui doit être construit avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs.
« Je pense aussi que, malgré tout, le modèle social français peut être une forme d’exemple en Europe. »
- Comment faire vivre le dialogue social au niveau européen ?
Il faut aller plus loin, mais il existe déjà des outils européens que l’on peut largement mettre en avant.
À l’Udes, nous sommes notamment présents à SGI Europe. Cette association, qui représente des entreprises publiques et des entreprises offrant des services d’intérêt économique généraux publics ou privés au Comité de dialogue social européen, est l’un des trois partenaires sociaux reconnus par la Commission européenne.
Nous sommes également présents au conseil d’administration d’Eurofound, l’agence européenne pour l’amélioration des conditions de travail. Nous avons pu y défendre nos positions sur les questions d’emploi et de qualité de vie au travail. Enfin, nous sommes présents au Comité économique et social européen, via notre vice-présidente Marie-Pierre Le Breton.
Dans un certain nombre d’endroits, il existe donc un vrai dialogue social européen. Il faut y ajouter les dialogues sociaux sectoriels.
Je pense aussi que, malgré tout, le modèle social français peut être une forme d’exemple en Europe car dans un certain nombre de pays, notamment les pays d’Europe de l’Est, la culture du tripartisme n’existe pas. Pour placer les politiques sociales parmi les orientations de l’Union, nous pouvons aussi utiliser le levier du Semestre européen, processus de coordination des politiques socio-économiques des différents pays membres, qui a lieu chaque année de novembre à juillet.
- Marie-Pierre Le Breton a été co-rapporteure de l’avis relatif aux instruments financiers innovants dans le cadre des entreprises à impact social. Quels sont vos positions sur ces instruments ?
Il existe un certain nombre de dispositifs, mais nous pensons qu’il faut aller plus loin.
Nous avons une vision mesurée du dispositif sur les contrats à impact social. Même si l’objectif est de favoriser l’émergence d’innovations sociales et environnementales par la mesure d’impact et de résultats, l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations relève un bémol important : le contrat à impact rencontre des difficultés à appréhender la qualité des actions menées par les associations, ce qui fait peser un risque de perte de sens et de financiarisation de l’action sociale.
Cet aspect a d’ailleurs été relevé par Maxime Baduel, le délégué ministériel français à l’ESS, qui considère que le contrat à impact n’est pas la réponse absolue à tous les besoins, mais un outil parmi d’autres permettant de développer les démarches plus risquées ou de financer une expérimentation.
Par ailleurs, il y a tout l’aspect de l’accès aux financement européens par les structures de l’ESS. Là-dessus, nous nous référons à la feuille de route de Liège, adoptée en février dernier, qui souligne la nécessité de promouvoir l’accès aux financements européens pour les structures de l’ESS, en leur apportant un soutien pour accéder aux instruments et fonds européens existants. Nous n’aurons de cesse de le rappeler à la Commission.
Nous pensons aussi que le Parlement européen doit renforcer les allocations budgétaires - comme le Fonds social européen ou comme le Programme pour l’emploi et l’innovation sociale, qui vise à soutenir l’emploi et les politiques sociales -, l’accès au micro-crédit et la mobilité des travailleurs dans l’Union européenne. Il y a déjà eu des exemples probants notamment avec le plan de relance Next Generation EU.
« L'ESS a une expertise sur la capacité à développer des politiques d’emplois et de compétences. »
- Qu’est-ce que l’ESS peut apporter de plus à l’Europe par rapport aux autres modèles d’entreprises ?
L’ESS peut apporter d’une part la connaissance d’un certain nombre de publics, notamment les personnes éloignées de l’emploi, en situation de précarité ou qui ont des besoins sociaux.
D’autre part, nous avons une expertise sur la capacité à développer des politiques d’emplois et de compétences. Si on compare les politiques d’emplois de l’ESS avec celle des autres branches, la contribution des entreprises à la formation est beaucoup plus forte. C’est une spécificité et une façon de concevoir les personnes. Je ferai le lien avec l’Appel des employeurs engagés, lancé par l’Udes. Dans cet appel, nous soutenons la nécessité de ne pas considérer l’humain dans l’entreprise comme une charge, mais comme une chance.
La culture de l’économie sociale est solidaire est assez alternative par rapport à l’économie conventionnelle, en mettant au cœur de l’entreprise la participation des personnes et des citoyens. Les entreprises de l’ESS sont celles qui sont en capacité sur les territoires et dans les pays de faire évoluer les choses dans ces domaines.
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Propos recueillis par Élisabeth Crépin-Leblond