La relocalisation de la mode en France est-elle une solution durable ?
Demande des consommateur.rice.s, exigences sociales et écologiques, pandémie mondiale… Les motifs poussant l’industrie de la mode à la relocalisation sont nombreux. Constitue-t-elle réellement une solution ? Éléments de réponse.
87 % des produits de l’industrie textile, de l’habillement, du cuir et de la chaussure consommés en France proviennent de l’étranger, selon l’INSEE en 2019. Le rapport du Comité stratégique de filière (CSF) mode et luxe intitulé « Relocalisation et mode durable », publié en 2021, identifie pourtant une « demande des consommateurs pour les avantages » apportés par la production sur le territoire national, souvent associée à un meilleur impact écologique et social.
La mention Made in France peut être apposée à un produit lorsqu’au moins 45 % de sa valeur a été produite sur le territoire national et que sa dernière transformation « substantielle » a été réalisée en France.
Depuis janvier 2023, les marques réalisant un chiffre d'affaires supérieur à dix millions d’euros sur le marché national et responsables de la mise sur le marché de 10 000 produits par an doivent informer les consommateurs du lieu de production sur l’étiquette des vêtements et des chaussures.
Une réduction de l’impact écologique et social
Production de matières premières en utilisant des polluants, à base de pétrole ou au détriment du bien-être animal, teinture par des substances toxiques pour les écosystèmes, transport depuis l’autre bout du monde… L’impact écologique de la mode est considérable. Peut-on le réduire en fabriquant les vêtements en France ?
Une étude réalisée par le cabinet Cycléco à la demande de l’Union des industries textiles fournit des éléments de réponse à cette question. Elle estime les émissions de gaz à effets de serre des vêtements produits pour le marché français à plus de 29 millions de tonnes équivalent carbone en 2019. Une production réalisée intégralement en France, des matières premières à la conception, réduirait cette empreinte de moitié. Le mix électrique français faible en carbone contribuerait majoritairement à cette diminution. Selon l’auteur, la diminution des articles invendus, l’éco-conception et la réutilisation amélioreraient également l’impact de la production.
L’impact écologique de la mode se double d’impacts sociaux. L’ADEME et l’association Greenpeace utilisent les exemples du Bangladesh et du Pakistan, deux pays exportateurs majeurs. Les travailleur.se.s subissent des conditions très difficiles. Ils ne disposent souvent pas de protection sociale ou syndicale, leur rémunération est inférieure aux minimums vitaux, et ils sont exposés à des polluants lors de la teinture des vêtements. En France, la législation sociale garantit évidemment des conditions préférables.
Quels freins et quelles limites ?
La relocalisation de l’industrie de la mode en France est-elle une solution durable ? D'abord, est-elle réellement imaginable ? Le CSF Mode et luxe identifie deux freins majeurs. Les salaires sont plus élevés et la protection des travailleurs plus grande en France. À l’inverse, les salaires sont bas dans les pays asiatiques, d’où plus de la moitié des importations textiles nationales proviennent en 2015, d’après l’INSEE. Les Français.e.s se disent cependant prêt.e.s à payer plus cher des produits plus responsables. Deuxième frein : le Comité rappelle la « vague de délocalisations » qui a touché la base industrielle nationale. Ainsi, relocaliser l’industrie de la mode nécessite d’investir dans de « nouveaux outils productifs », comme la filature ou la maroquinerie.
L’organisme estime toutefois que la fabrication locale pourrait « ramener le surcoût du Made in France à un niveau plus acceptable » en limitant « invendus et soldes » par des commandes plus limitées, voire effectuées à la demande. Il précise que « le 100 % Made in France n'apparaît pas envisageable pour toute l’activité ». Il rappelle d’ailleurs que des chaînes de valeurs européennes peuvent être développées.
Rendre la mode plus durable suppose aussi de réfléchir au choix des matières premières ou à l’incitation permanente à la surconsommation. Le Made in France seul ne résoudra pas ces problématiques, pourtant essentielles. 80 % des vêtements achetés, fabriqués en France ou non, finissent à la poubelle.
Célia Szymczak